Stephen Jones: « La mode est frivole, parfois un peu bête, mais c’est un formidable contrepoison »

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A 63 ans, Stephen Jones est le modiste le plus réputé du monde. Après avoir ouvert son atelier londonien en 1980 et s’être imposé comme une figure phare des New Romantics au même titre que des groupes comme Culture Club ou Spandau Ballet, il continue à être sollicité par les têtes couronnées, les artistes, les cinéastes et même d’autres stylistes. C’est toutefois avec Dior qu’il a entretenu sa plus longue collaboration… sur laquelle il revient dans l’ouvrage Dior Hats: From Christian Dior to Stephen Jones.

Ce métier n’a jamais été mon rêve. Je n’avais aucune expérience en couture quand j’ai entamé ma formation de mode au Central Saint Martins College, à Londres. Mais j’ai eu l’occasion de rattraper mon retard dès 1978 chez Lachasse, la célèbre maison de haute couture. J’y ai rapidement découvert que les modistes de l’atelier de chapellerie étaient nettement plus drôles que les couturiers sérieux et taciturnes. J’ai demandé mon transfert… et je me suis immédiatement découvert une passion pour les chapeaux. Une véritable épiphanie!

L’internat a fait de moi un rebelle. Mes années à Liverpool m’ont enseigné l’autonomie et les relations avec les autres, mais l’éducation britannique ultrastricte était un vrai cauchemar. Comme n’importe quel jeune un peu sensé à l’époque, je suis devenu punk, mais pas pour longtemps: au fond, plutôt que de me rallier à la rébellion des autres, j’avais surtout envie d’être créatif, d’inventer ma propre soupape.

La mode, c’est un moyen d’expression. Pour ma génération, fin des années 70 et début des années 80, dans une société britannique en plein malaise, quand on voulait quelque chose, il fallait se retrousser les manches. C’est ce qui a encouragé la jeune génération à rompre avec le monde d’avant. Les New Romantics, cette formidable explosion de créativité dans les clubs underground, MTV, la culture visuelle ou la mode constituaient des outils pour créer notre univers et nous distancier de nos aînés. Je me souviens à quel point ma grande soeur me semblait bête et insignifiante, alors qu’elle n’avait que six ans de plus que moi !

Quand j’ai ouvert mon atelier, les chapeaux étaient les vilains petits canards de la mode. Ils étaient le symbole de l’étiquette et de l’establishment façon Reine Elizabeth. Mais ce choix d’un domaine où personne d’autre n’osait vraiment se lancer, c’était aussi un acte de rébellion à ma manière. Je créais des chapeaux pour aller danser en discothèque!

Tout l’art est de savoir où s’arrêter. Il est rare qu’un chapeau s’améliore à force d’être peaufiné, même s’il ne ressemble jamais tout à fait à ce que vous aviez en tête. Un objet évolue toujours indépendamment de l’idée de départ, et tout s’inscrit finalement dans un continuum…

Dans la vie, on peut toujours choisir de rire ou de pleurer.

Les autres vous donnent carte blanche… jusqu’au moment où ils ne sont plus d’accord! Collaborer avec un créateur suppose une part de négociation. A Londres, j’aime faire à ma manière. Du coup, parfois, je prends aussi plaisir à faire l’inverse, à ranger mon ego au placard pour laisser parler uniquement mon savoir-faire. Il faut faire la différence entre ses envies et ses talents. La liberté n’est jamais absolue.

Quand un chapeau est fini, je le lâche. Je ne reprocherai jamais aux autres de ne pas porter ma création comme je l’imaginais ou d’y voir des choses dans lesquelles je ne me reconnais pas. Etre qualifié d’extravagant ou d’excentrique est parfois fatiguant, mais c’est la règle du jeu. Une fois terminée, votre création va vivre sa vie. En tant que créateur, il faut laisser chacun faire de votre oeuvre ce que bon lui semble et rester ouvert à tout.

Je ne fais pas dans la nostalgie. J’ai adoré être jeune, sortir et être au coeur de l’action à une époque passionnante, mais j’ai tourné la page pour commencer une autre histoire. La mode évolue en permanence: tant que la Terre continuera à tourner, il y aura toujours une nouvelle saison.

S’habiller peut apaiser dans les moments les plus sombres. Dans l’Angleterre homophobe de ma jeunesse, à l’époque de la crise du sida ou aujourd’hui, c’est pareil: la mode est frivole, parfois un peu bête, mais c’est un formidable contrepoison. Quand j’allais travailler pendant le confinement, je sortais mes plus beaux atours: costume trois-pièces à boutons dorés, boutons de manchettes en diamants, nouveau chapeau. Vous m’auriez pris pour un sapin de Noël! Dans la vie, on peut toujours choisir de rire ou de pleurer. Et si la fin du monde est pour demain, je veux au moins avoir la classe.

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