Top: La revanche des beaux gosses

Les beaux gosses du défilé Dolce & Gabbana 2016 © DR

Et si l’heure de gloire avait enfin sonné pour les top models masculins ? Ils font aujourd’hui le buzz sur Instagram mais leur durée de vie médiatique est pourtant loin d’être assurée…

Lucky Blue Smith entouré de son fan club, les
Lucky Blue Smith entouré de son fan club, les « Lucky Charms »© Imaxtree

Elles doivent être près de cinq cents, à la sortie du défilé Etro, prêtes à dégainer leurs portables dans l’espoir d’immortaliser sa mèche blond platine et ses yeux bleu acier. De préférence, pour les plus chanceuses d’entre elles, en version selfie. Si elles se sont rassemblées là, en cet après-midi de juin, c’est qu’il l’a vendue cette mèche, justement, en temps utile, pour qu’elles puissent se presser en nombre devant la porte des backstages : il faut lui laisser cela, le jeune mormon de 17 ans, devenu top model comme ses trois soeurs avant lui, n’est pas avare de sa personne et met un point d’honneur à rencontrer, dès qu’il le peut, celles qu’il surnomme ses « Lucky Charms ». Une stratégie qui paie : Lucky Blue Smith, quasi inconnu il y a deux ans encore, affiche plus de 2 millions de followers au compteur de son Instagram. L’un des plus beaux scores du mannequinat masculin, pourtant dix fois moindre que celui de sa « collègue » Cara Delevingne, qui peut sans doute prétendre au même zéro en plus sur le montant des chèques de ses contrats…

Jon Kortajarena, un sourire ravageur... et 1,5 million de followers sur la Toile.
Jon Kortajarena, un sourire ravageur… et 1,5 million de followers sur la Toile.© Getty Images

Ils sont cependant de plus en plus nombreux à faire parler d’eux en dehors du petit milieu modeux grâce à leurs profils de gars bien connectés. Signe que l’évolution est en marche, Lucky Blue Smith vient de rejoindre la prestigieuse dream team des égéries L’Oréal Paris, davantage peuplée jusqu’ici au rayon Homme par des acteurs installés que par des tops encore mineurs. « Lucky Blue est inspirant, parce que c’est « le » it boy ultratrendy, justifie Grégory Benoît, Global Vice President Men Expert chez L’Oréal Paris. Son look est unique, son regard incomparable. A la fois classique et mystérieux, il ne peut qu’intriguer et inspirer la gente masculine. Véritable fureur de vivre du XXIe siècle, il est le modèle par excellence de réussite sur les réseaux sociaux : ce  » digital born leader » sait toucher sa tribu qui ne fait que monter en puissance. Nous pensons qu’il pourra donner à la marque un souffle nouveau et valoriser le soin auprès des hommes. »

Si une présence active sur la Toile, Instagram en particulier, pourrait devenir une condition nécessaire pour se faire un nom dans le mannequinat, on est encore loin du compte, en Europe surtout, où l’adage « pour vivre heureux vivons cachés » n’a pas encore perdu toute sa pertinence. Le top français Clément Chabernaud illustre la tendance. A 26 ans, le jeune homme, qui continue à enchaîner les campagnes, est de toutes les Fashion Weeks sans posséder le moindre compte perso : les images de lui qui circulent sont souvent postées par des fans – qui alimentent de faux comptes à son nom… -, par les marques qui l’emploient ou par ses collègues qui n’hésitent pas à le tagger, histoire de bénéficier d’une notoriété par ricochet.

Se faire désirer

Hugo Sauzay, égérie Tod's
Hugo Sauzay, égérie Tod’s© SDP

 » Son succès, il le doit sans doute aussi à sa capacité à savoir dire non, à la distance qu’il a par rapport au métier », analyse Hugo Sauzay. L’architecte d’intérieur parisien connaît le milieu de la mode dans lequel il a navigué durant ses études, avant de décrocher, il y a trois ans, pour lancer l’agence Festen qu’il dirige depuis lors avec Charlotte de Tonnac. Lui qui se définit comme « un minable de l’Instagram » – l’agence y est, mais avant tout pour montrer ses réalisations plutôt que des scènes de la vie quotidienne de ses patrons – est comme beaucoup tombé dans le mannequinat par hasard. « Je cherchais un job pour financer ma formation à Paris, rappelle-t-il. Un type m’a abordé dans la rue, à environ 17 ans. J’ai cru à un plan drague. Mais un ami de ma mère qui avait travaillé chez Saint Laurent m’a convaincu de tenter ma chance. » Elle semble avoir été au rendez-vous. Il shoote sa première campagne pour Benetton : face à lui, le photographe David Sims et le directeur artistique Fabien Baron. Le déclic se fait, les contrats suivent. « La difficulté pour moi, c’était de faire des choix, mais dans ma tête ça a toujours été clair, poursuit Hugo Sauzay. J’ai d’emblée donné priorité à mes études, même si je reconnais qu’à 19 ans il faut apprendre à résister à la tentation de l’argent facilement gagné. Etre le mec qui dit non ne m’a jamais porté préjudice. Bien sûr ça énerve un peu les marques au début, mais on finit par vous booker pour de plus gros projets, mieux payés, peut-être à cause de ce petit côté inaccessible. » S’il a arrêté les défilés, il arrive à Hugo Sauzay d’accepter, de temps à autre, une campagne comme celle de Tod’s pour son nouveau mocassin Leo Clamp. Plus que de simples modèles, les ambassadeurs de ce Tod’s Band ont un « petit quelque chose en plus » – ils ont tous un profil créatif ou artistique – et vendent davantage un style de vie qu’une simple chaussure.

Clément Chabernaud, la réussite sans compte Instagram !
Clément Chabernaud, la réussite sans compte Instagram !© Imaxtree

« La majorité des jeunes qui se lancent dans le mannequinat n’en feront pas leur métier, note Yves Cattelain, directeur de l’agence bruxelloise YC Models spécialisée dans l’Homme. Beaucoup démarrent lorsqu’ils sont encore en secondaire, prennent parfois une année sabbatique à leur sortie de rhéto, histoire de voir si ça décolle. En quelques saisons, ils seront allés à New York, Paris, Milan, Tokyo, auront gagné pas mal d’argent. Ce sont rarement ceux qui rêvent d’en faire leur métier qui réussissent le mieux. Mais ceux qui dégagent quelque chose, qui ont de la personnalité, plus bruts de décoffrage que lisses en tout cas. » Comme chez la Femme, l’industrie est de plus en plus en demande de nouveaux visages lors des défilés.  » La durée de vie médiatique de ces jeunes gens est toujours plus courte, regrette Yves Cattelain. A Paris, surtout, on voit des petits gars au top, demandés partout qui, la saison suivante, ne travaillent déjà plus ! Pour un post-ado qui goûte ainsi au succès, c’est dur à encaisser ! Même les « exclus » – un top qui ne défile que pour une seule marque dans une ville ou pour toute la saison – ne sont plus du tout rémunérés comme il y a dix ou quinze ans. C’est davantage une affaire de prestige que d’argent. »

Parmi les cinq mannequins les plus suivis sur la Toile, le Britannique Stephen James
Parmi les cinq mannequins les plus suivis sur la Toile, le Britannique Stephen James© Getty Images

Un domaine dans lequel même les « digital natives  » ne sont pas encore près de rattraper les filles… « Personnellement, cela ne m’a jamais dérangé, note Hugo Sauzay. J’ai un petit côté féministe pour ça. C’est d’autant plus mérité que nous ne vendons pas la même chose, elles et nous, sur une image. Quand vous regardez une photo de mode, un mannequin homme en soi est beaucoup moins scruté, analysé qu’une fille. Elle donne une part d’elle-même, bien souvent. »

L’image 2.0

Un partage d’intimité renforcé encore par la nécessité pour ces jeunes stars de se mettre en scène sur le Net. « C’est comme cela que le métier tourne pour l’instant, admet Yves Cattelain. C’est aussi le rôle d’une agence de leur apprendre à gérer leur visibilité, à poser des balises car Instagram est un outil professionnel sur lequel il vaut mieux s’abstenir de poster certaines images susceptibles de déplaire à un client potentiel. » Le rêve peut paraître soudain à portée de clic. Mais pour un Lucky Blue Smith à 2 millions de followers, ils seront bien plus nombreux à tomber dans l’oubli, leur première – et dernière – saison de shows terminée.

Lucky Blue Smith, le selfie-made man

Lucky Blue Smith
Lucky Blue Smith© Reuters

Repéré à l’âge de 10 ans – il est vrai que ses trois soeurs sont elles aussi dans le milieu -, le top model aux 2 millions de followers sur Instagram s’est fait un prénom – sans avoir à changer le sien car il ne s’agit pas d’un pseudo – en quelques saisons à peine. Elevé dans une famille de mormons – il prie avant chaque repas et tweete de temps en temps des passages de la Bible… -, il n’hésite pas à informer ses fans, qu’il a baptisé(e)s ses « Lucky Charms », de chacun de ses déplacements, les encourageant même à l’attendre à la sortie des défilés pour prendre des photos avec lui. Une proximité qui lui permet d’accroître chaque jour de 2 000 en moyenne le nombre de personnes qui le suivent aujourd’hui sur les réseaux sociaux, toutes plates-formes confondues. Le post-ado à la chevelure platine est aussi le batteur du groupe de surf-pop The Atomics – les autres membres sont une fois de plus ses trois soeurs… – et fera ses débuts au cinéma l’été prochain dans Love Everlasting, une romance fleur bleue à coup sûr destinée à sa cour virtuelle. Il vient aussi de rejoindre le gang glamour et ultraconnecté des nouvelles égéries L’Oréal Paris en devenant le visage de la franchise Men Expert.

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