Virginie Viard, portrait d’une femme secrète qui a passé sa vie dans les coulisses de Chanel
La directrice artistique de Chanel s’en va. On ne connaît ni le nom de sa ou son successeur ni les raisons de ce départ qui surprend le monde de la mode. Par contre, pour l’avoir rencontrée, on connaît deux ou trois choses d’elle – sa franchise, sa fidélité à Karl Lagerfeld, son amour du métier et sa volonté de ne jamais se laisser aller.
Virginie Viard n’aime pas les interviews. Pourtant, on l’avait rencontrée, quand elle était encore « le bras droit et le bras gauche » de Karl Lagerfeld, c’est le maître lui-même qui lui avait donné ce titre de noblesse.
C’était il y a plus d’une décennie, Virginie Viard était alors directrice du studio Chanel, au numéro 31 de la Rue Cambon, à Paris. On avait fini assises par terre sur la moquette crème. Ses longs cheveux noirs frangés lui barraient le visage, elle portait des boots Chanel zébrés et une combinaison– « le vêtement que j’aime le plus au monde », avait-elle avoué dans son phrasé mitraillette, avec une pointe de gouaille.
Droit au but
On avait illico saisi qu’elle ne s’embarrasserait pas de salamalecs et de courbettes, pas son genre. Droit au but. Voilà pourquoi sans doute elle me tutoyait puis me vouvoyait et inversement. Elle, si peu bavarde sur le sujet, se demandait comment expliquer au mieux son métier, qui lui est venu naturellement.
Petite fille, elle ne se rappelle pas d’avoir imaginé quoi que ce soit. Elle ne rêvait pas de mode, même si elle est née à Lyon, pays de soyeux et que ses grands-parents y étaient fabricants de soie. « Je ne rêvais de vêtements, confiait-elle alors. Même si mes grands-mères étaient très à la mode, ma mère portait du Sonia Rykiel et mes tantes du Saint Laurent. J’adorais cet univers, on faisait du shopping ensemble. »
“J’aimais coudre”
Enfant, elle se pique de coudre, avec des tissus qu’elle prend chez son grand-père, « c’était facile, je faisais des robes, j’adorais, j’achetais patrons tout faits, je cousais du jersey. Je n’étais pas reine de la veste tailleur, c’est sûr, mais j’aimais coudre.»
Logique dès lors qu’elle s’inscrive au Cours Georges dans sa ville natale en 1984, elle a 22 ans, elle avait d’abord tenté la fac de lettres mais elle avait « détesté l’ambiance ». Il lui fallait un univers plus familial, le Cour Georges, c’était parfait – « c’était chez une drôle de vieille dame dans un appartement, avec deux ou trois punks et des crânes rasés, dans tous les cas de figure, c’était provincial… Ce n’était alors pas à la mode de travailler dans la mode. » Elle est donc costumière, débute avec Dominique Borg, sur le film Camille Claudel de Bruno Nuytten, elle habille Isabelle Adjani. Puis Juliette Binoche dans la trilogie Trois couleurs, Bleu, Blanc Rouge de Krzysztof Kieslowski – que rêver de mieux pour débuter ?
« Cela me plaisait vraiment. Jusqu’à ce que je fasse un stage chez Chanel et que je rencontre Karl. » La messe est dite ! « Je me suis sentie bien immédiatement. Je ne sais comment l’expliquer, on s’est apprécié tout de suite, je l’ai senti, il me demandait tout le temps mon avis. Il faut dire qu’à l’époque, la maison était minuscule, nous n’étions pas nombreux, nous étions rue Cambon, aujourd’hui, si je vous fais visiter, nous occupons tout le pâté de maisons. Il n’y a que les ateliers qui n’ont guère changé, parce que cela a toujours été le principal chez Chanel. »
“Que tout soit parfait”
Peu à peu, elle occupe sereinement sa place aux côtés Karl Lagerfeld, à la broderie, à tel point que lors qu’il devient en sus directeur artistique de Chloé en 1992 (jusqu’en 1996), il lui propose de se concentrer avec lui sur cette maison moribonde, fondée par Gaby Aghion, où il avait déjà œuvré de 1966 à 1988 – que rêver de mieux pour comprendre le flou et la féminité ?
« J’ai adoré la maison, ce fut une chouette expérience. » Comme elle n’est pas du genre fashionista, rien d’étonnant à ce qu’elle ait conservé des pièces de cette époque-là, qu’elle disait porter encore de temps en temps.
Comme Karl Lagerfeld était le genre d’homme qu’on avait envie de suivre, surtout quand il vous propose la lune, elle le suit fidèlement. Retour chez Chanel en 1997 donc, « je n’irais pas ailleurs, confiait-elle alors, c’est porteur, c’est magique. »
Bras droit bras gauche
Au studio, Virginie Viard affine ses connaissances, ses intuitions, ses préférences -elle aime travailler dans ce cocon maison. Il faut pour elle que tout soit empreint de créativité et que les rapports humains soient « riches ». Son job : « essayer que ce soit le mieux possible, pas question de se laisser aller. »
Voilà pourquoi au bout de 31 ans de maison, en octobre 2018, Karl Lagerfeld alors malade l’entraîne dans son sillage en clôture du défilé Chanel, la femme de l’ombre est venue saluer aux côtés du directeur artistique, cela vaut toutes les passations de pouvoir. Quand il meurt le 19 février 2019, tout est plié. Virginie Viard est nommée directrice artistique de la maison, pour une transition « en douceur » comme le souligne alors le président des activités mode et des Métiers d’Art de Chanel Bruno Pavlovsky.
Des critiques (pas) unanimes
Cinq ans plus tard, après le défilé Croisière à Marseille sur le toit de la Cité Radieuse, le même président faisait taire les rumeurs en soulignant son excellence.
« Depuis que Virginie a pris la relève de Karl Lagerfeld, martelait-il à Fashionnetwork, le 3 mai 2024, beaucoup de gens spéculent et évoquent d’autres designers à la tête de Chanel. Mais je vais être clair : Chanel ne cherche pas de nouveau directeur artistique. Vous pouvez l’imprimer ». En parallèle, le grand mercato a (re)commencé. Sans un commentaire de Virginie Viard. Elle n’aime guère les interviews.
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