Vivienne Westwood, 80 ans: « J’aime les signes de l’âge »

Ce printemps, Vivienne Westwood joue les mannequins pour la collection de son partenaire dans la vie et dans le travail, Andreas Kronthaler for Vivienne Westwood. © imaxtree

A l’aube de ses 80 ans, la créatrice britannique Vivienne Westwood reste une entrepreneuse et une activiste prête à tout ou presque, pour faire entendre sa voix. Elle a ouvert sa première boutique il y a un demi-siècle, sur King’s Road, lieu de naissance du mouvement punk. No future? Oubliez ça!

En avril 1989, une Margaret Thatcher plus vraie que nature fait la couverture de Tatler, le magazine de société britannique destiné à la classe supérieure. La Première ministre fixe le lecteur vêtue d’un tailleur de la prestigieuse maison londonienne Aquascutum, d’un chemisier à lavallière et d’un collier de perles. Sous elle, un titre en grosses lettres: « This woman was once a punk ». Un scoop? La dame de fer fut jadis punk? Pas vraiment, car la femme brushée en couverture de la vénérable revue est en réalité Vivienne Westwood, déguisée. La ressemblance est frappante: la créatrice a davantage les traits de la dirigeante que l’actrice Gillian Anderson l’incarnant dans la série The Crown.

Il faut dire que les deux Britanniques partagent des points communs. Elles sont déterminées et radicales, portent le titre de « dame », et sont filles d’épicier. De plus, elles ont toutes deux marqué l’histoire de l’après-guerre en Grande-Bretagne. Si en 2016, la créatrice a écrit « Margaret Thatcher était une hypocrite », dans son autobiographie Get a Life!, elle a aussi loué dans le passé le style de la Première ministre. Et déclaré dans le Daily Telegraph: « A ce moment de l’histoire, Thatcher était sans aucun doute la femme la mieux habillée. »

Let It Rock

Vivienne Swire n’est de toute évidence pas une punk depuis sa naissance. Elle voit le jour le 8 avril 1941, dans un petit village portant le doux nom de Tintwistle. Son père, autrefois épicier, travaille comme magasinier dans une usine d’avions. Elle suit une formation de bijouterie à l’école d’art, mais abandonne après un an – « Je ne savais pas comment une fille de la classe ouvrière pouvait faire carrière dans le monde de l’art », a-t-elle déclaré dans une interview. Elle trouve un emploi dans une manufacture, avant de retourner sur les bancs pour devenir enseignante. Durant toutes ces années, elle ne cesse pourtant de fabriquer des bijoux.

Vivienne Westwood en bottes argentées. A ses côtés, son ex-partenaire Malcolm McLaren, dans leur boutique sur King's Road à Londres, vers 1985.
Vivienne Westwood en bottes argentées. A ses côtés, son ex-partenaire Malcolm McLaren, dans leur boutique sur King’s Road à Londres, vers 1985.© Getty images

En 1962, elle épouse Derek Westwood, alors apprenti dans l’entreprise d’aspirateurs Hoover. Elle célèbre ce jour particulier dans une robe créée par ses soins. Les Westwood ont un fils, Ben. Mais, quelques années plus tard, la jeune femme rencontre Malcolm McLaren, un étudiant étroitement impliqué dans les révoltes de la fin des années 60. La mère et le beau-père de cet homme sont actifs dans l’industrie textile: ils possèdent leur propre usine de vêtements ainsi qu’un commerce de gros. Vivienne Westwood divorce et s’installe avec Malcolm dans un logement social en plein coeur du quartier londonien de Clapham. C’est là que naîtra, en 1967, leur fils Joseph Corré – qui lancera, plusieurs décennies plus tard, la marque de lingerie Agent Provocateur.

En 1971, le couple ouvre sa première enseigne, dans une petite cour à Chelsea, In The Back of Paradise Garage. Il y vend des disques et des vêtements vintage, en particulier des invendus. Entre-temps renommée Let It Rock, la boutique devient l’adresse choisie par les Teddy Boys, la sous-culture inspirée des rockers des années 50. En 1973, le magasin prend une autre voie, et rechange de nom: Too Fast to Live, Too Young to Die propose désormais majoritairement du cuir noir et des clous argentés.

Déjeuner sur l’herbe

Cette même année, Malcolm McLaren et Vivienne Westwood s’envolent pour New York afin d’assister à la National Boutique Fair. Ils y rencontrent les New York Dolls, un des premiers groupes punk, et le tandem se met à dessiner les costumes de scène de Johnny Thunders et ses musiciens, dont une série de tenues en cuir rouge, décoré d’un marteau et d’une faucille, symboles de l’Union soviétique. Malcolm est nommé un temps manager des Dolls mais le groupe se sépare en 1975 – « à cause de Malcolm », accuse le leader.

Jamais deux sans trois, la boutique de Londres est rebaptisée Sex et met désormais en rayon des vêtements en caoutchouc, en PVC et en cuir. Un curieux mélange entre le fétichisme et la mode. Plus tard, le mari de Vivienne Westwood devient manager des Sex Pistols. Le bassiste Glen Matlock était vendeur dans le magasin du couple, tandis que les membres du groupe, Paul Cook et Steve Jones, étaient des clients. Selon Malcolm McLaren, le groupe fut créé comme une sorte d’outil de marketing pour le magasin, affirmation qui fut ensuite contredite par le chanteur de la formation.

Kate Moss défilant pour sa collection été 1995 à Paris, en octobre 1994.
Kate Moss défilant pour sa collection été 1995 à Paris, en octobre 1994.© Getty images

En 1976, une fois de plus, l’enseigne fashion change de patronyme et devient Seditionaries. Le duo vend alors des tee-shirts à slogans ou garnis de collages provocants – la reine avec une épingle à nourrice dans le nez par exemple -, des pantalons à imprimés écossais en tartan et des bottes de combat. Invention du couple, le costume bondage rejoint la garde-robe punk. Ce dernier est inspiré d’un pantalon militaire rapporté par Malcolm de son voyage aux Etats-Unis. Il y ajoutera des brides et des fermetures Eclair à des endroits quelque peu inattendus. Le résultat? Un vêtement entre la camisole de force et la tenue SM.

Un dressing anarchiste

Autre pièce phare du dressing protestataire de cette époque: une chemise arborant l’inscription « Only anarchists are pretty » (littéralement, seuls les anarchistes sont beaux) et faisant désormais partie de la collection du Metropolitan Museum de New York. On y retrouve des rayures verticales grises, qui semblent peintes à la main, comme un ancien uniforme de prisonnier, une photo de Karl Marx sur la poitrine, et une croix gammée sur le col. Sur un brassard est griffonné le mot « Chaos ». Il existe des photos des musiciens Johnny Rotten et Sid Vicious arborant cette chemise, qu’ils se partageaient. En réalité, ces vêtements étaient beaucoup trop chers pour être produits en plusieurs exemplaires.

A cette époque, Vivienne Westwood porte, elle, « des jodhpurs, une sorte de pantalon d’équitation des Indes, ou des minijupes en cuir ornées de badges, un pull en mohair et des bottes pointues », écrit Nils Stevenson dans Vacant: A Diary of the Punk Years 1976-79. Elle a les cheveux hérissés, décolorés au peroxyde, la peau blanche comme neige et les lèvres peintes en violet. Elle habille entre autres les filles de The Slits – qui ont posé couvertes de boue et puis nues sur leur premier album -, les pop stars Adam & The Ants – en costume de pirate -, et Bow Wow Wow – la chanteuse Anabella Lwin, 15 ans à l’époque, est également nue sur la couverture de son premier album avec le groupe, une évocation du tableau Déjeuner sur l’herbe de Manet.

Malcolm McLaren et Vivienne Westwood devant le tribunal, après une arrestation en 1977. Signe extérieur de provoc': un tee-shirt représentant la reine avec une épingle à nourrice dans le nez.
Malcolm McLaren et Vivienne Westwood devant le tribunal, après une arrestation en 1977. Signe extérieur de provoc’: un tee-shirt représentant la reine avec une épingle à nourrice dans le nez.© Getty images

Vers 1983, c’est la rupture pour Vivienne Westwood et Malcolm McLaren. Le magasin est renommé pour la toute dernière fois: World’s End. Cette boutique existe toujours aujourd’hui, à cette même adresse historique: 430, King’s Road à Chelsea. Malcolm commence alors sa carrière de chanteur solo. Le groupe World Famous Supreme Team, avec qui il fera le hit Buffalo Gals, portera des vêtements de Vivienne Westwood. L’ex-époux décédera en 2010, après, entre autres, un duo avec Catherine Deneuve.

Une nudité assumée

Dès cette séparation, l’enfant terrible de la mode, comme on la surnomme, se concentre sur la création pure. « Les pogos et les crachats, ce n’était pas assez. Etre subversif, cela requiert des idées », dira-t-elle au quotidien The Independent, en 2015. Dans les années 90, elle trouve son inspiration dans le XVIIIe siècle et ailleurs, notamment des robes de bal des tableaux d’Antoine Watteau et de François Boucher. Pour sa collection « Vive la cocotte », elle puise ses idées dans un portrait de Madame de Pompadour par Boucher et fait même apparaître une de ses peintures sur un corset. Elle se prend aussi de passion pour la toile de Jouy, un tissu d’ameublement ancien.

Les pogos et les crachats, ce n’était pas assez. Etre subversif, cela requiert des idées.

La créatrice transforme des sous-vêtements en sur-vêtements – avant même que Jean Paul Gaultier n’habille Madonna d’un soutien-gorge pointu. Elle sort le corset, y ajoute une ouverture ainsi que des élastiques pour faciliter la respiration. Elle lance également la « mini-crini », une version raccourcie de la robe à paniers victorienne, une de ses plus belles réussites. Les fans de la série La chronique de Bridgerton apprécieront.

Côté coeur, elle rencontre, en 1989, Andreas Kronthaler, un étudiant de l’Ecole des arts appliqués de Vienne où elle donne cours de mode. Il devient son partenaire de travail et de vie. Au journal The Observer, elle racontera aimer travailler avec les hommes, « car ils veulent toujours placer les femmes sur un piédestal ». Elle posera d’ailleurs nue devant l’objectif de Juergen Teller et accepte que de gigantesques tirages soient exposés à la foire de Paris Photo et à l’Institute of contemporary art de Londres, en 2013, à 71 ans!

Avec son mari Andreas Kronthaler lors des British Fashion Awards, en 2018.
Avec son mari Andreas Kronthaler lors des British Fashion Awards, en 2018.© Getty images

La septuagénaire s’assume comme elle est. Ni Botox, ni filtre Instagram. « J’aime les signes de l’âge et je n’ai aucun problème avec cela », déclarait-elle d’ailleurs déjà en 2002. Et rien ne semble avoir changé depuis.

En mouvement perpétuel

De nos jours, Vivienne Westwood fait le plus souvent la Une des journaux pour ses actions politiques. Libertarienne et écologiste, elle défend entre autres Julian Assange et Chelsea Manning, et s’est même fait enfermer dans une cage géante, en juillet dernier, en signe de protestation. « Je suis un canari dans une cage. Libérez Assange », scandait-elle. On la voit aussi aux côtés de Pamela Anderson, la voluptueuse sauveteuse d’ Alerte à Malibu, dans son combat pour préserver l’environnement. Un duo inattendu mais qui fonctionne. L’actrice apparaît même dans une campagne publicitaire de la créatrice.

Westwood dans une cage à oiseau géante, à Londres, le 21 juillet 2020: une action de protestation en faveur de Julian Assange.
Westwood dans une cage à oiseau géante, à Londres, le 21 juillet 2020: une action de protestation en faveur de Julian Assange.© Getty images

Vivienne Westwood, fidèle à elle-même, demeure une tornade. En février dernier, elle encourageait ses followers sur Twitter à changer: « Achetez moins, habillez-vous, échangez des vêtements », écrivait-elle. Début mars, elle a lancé une série sur YouTube, Save the World: The Big Picture, dans laquelle elle informe à sa façon ses téléspectateurs, en corset et chaussures à semelles compensées en or, sur l’économie, la Covid-19, le changement climatique, l’avenir de l’humanité… Et ce mois-ci encore, elle est apparue dans la présentation numérique – filmée par Kronthaler avec un iPhone – de sa collection hiver 21-22, Mayfair Lady. La créatrice britannique se tient dans la vitrine de son magasin Mayfair, récemment rénové, flanquée de deux mannequins. Elle porte une perruque noire, une robe noir brillant ainsi que des bottes argentées, et elle chante… Tout d’abord, avec des gestes amples, comme dans un vieux pantomime: Without You de la BO de My Fair Lady. Et puis, sans perruque, The White Cliffs of Dover, un tube de 1941, son année de naissance. « Il y aura de la joie et des rires / Et la paix pour toujours / Demain, quand le monde sera libre ». Le 8 avril, elle fêtera son 80e anniversaire – « Demain, il suffit d’attendre et de voir. »

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