Audrey, c’est tout

Pas de doute, en 2009, pour Audrey Tautou, l’année sera Chanel ou ne sera pas. Rencontre express à Paris.

Pas de doute, en 2009, pour Audrey Tautou, l’année sera Chanel ou ne sera pas. A l’affiche du dernier film d’Anne Fontaine, Coco avant Chanel, elle est aussi le nouveau visage du N°5, un parfum à l’image du style Chanel : inusable autant qu’indémodable. Rencontre express à Paris.

Les habitués des junkets – ces interviews marathon d’une star par la presse internationale, à la sortie d’un nouveau film – vous le diront : il paraît qu’elle fait ça tout le temps. Alors que d’autres chargent leur attaché(e) de presse de s’assurer que vous ne poserez aucune question personnelle – comprenez, rien sur le petit copain, les parents, les amis, les enfants, la crise d’adolescence mal vécue… -, Audrey Tautou a une faveur à vous demander : « Est-ce que je peux faire ma petite photo ? » Armée de son Leica, elle se love dans le coin de la pièce, insiste pour que les journalistes présents « se serrent bien pour que tout le monde soit dans le cadre » avant de vérifier qu’elle a bien les noms et prénoms de chacun. « Elle trouve qu’en répondant à vos questions, elle vous a donné quelque chose, justifie son assistant. Elle ne veut pas repartir sans rien. Alors, elle prend une photo en échange. » On imagine qu’elle doit garder tout ça dans d’étranges albums, à la manière des photomatons ratés que collectionnait Nino Quincampoix, l’étrange amoureux d’Amélie Poulain… « Peut-être que si elle n’aime pas les articles, elle vous pique avec une aiguille, comme une statue vaudou », plaisante le collègue venu de Croatie. On en doute. Ce petit jeu, c’est sa signature. Son truc à elle. Et on a bien senti que ce petit bout de fille, pas du tout fragile malgré les apparences, ne fait au bout du compte que ce qu’elle veut vraiment. Et c’est parti pour la première question, celle d’une autre brunette, sur le coin de l’image en partant de la gauche.

Weekend Le Vif/L’Express : Est-ce plus difficile de se glisser dans la peau de quelqu’un qui a existé, qui plus est un mythe comme Coco Chanel, que de laisser libre cours à son imagination?
Audrey Tautou : Oui, c’est plus difficile, car on a quand même l’obligation de proposer une interprétation qui fasse écho à ce que certaines personnes connaissaient d’elle. On doit honorer son image et sa personnalité, et finalement essayer de disparaître derrière elle le plus possible.

Mais il y a tellement de légendes à propos de Coco Chanel, des histoires vraies, des histoires fausses, elle-même mentait à propos de son enfance. Comment savoir ce qu’il faut garder dans tout cela ?
Cela compliquait certainement le travail. Car le film a choisi de traiter une période de sa vie qui était assez méconnue, dont peu de gens avaient été témoins. Coco Chanel était quelqu’un de très secret, donc je devais essayer de me faire ma propre opinion en faisant le tri dans tout ce matériel. Si j’avais dû l’interpréter quand elle était davantage connue, j’aurais peut-être pu utiliser, pour me calquer sur elle, un matériel vidéo, des descriptions précises que d’autres personnes avaient pu faire d’elle. Mais là, il fallait aussi faire preuve d’imagination. Je devais me faire confiance.

Avez-vous eu du mal à quitter Coco Chanel une fois que le tournage du film a été terminé et vous hante-t-elle encore parfois ?
Pas du tout, au contraire. Peut-être parce qu’elle m’a hantée suffisamment pendant le tournage. A la fin, c’était plus un soulagement qu’autre chose. Car Coco Chanel était un personnage complexe, d’une nature un peu chaotique : sa jeunesse, son enfance ont été pour elle des périodes de souffrance, de solitude. Elle s’est forgé un caractère très dur, très autoritaire. C’est assez lourd à porter.

Quelle perception aviez-vous de Coco Chanel avant de tourner ce film ?
Je connaissais le mythe, avec tous les clichés que cela implique. Mais je ne savais rien du début de sa vie, de ses origines. Je savais qu’elle venait d’Auvergne, comme moi, mais c’est tout. Je voyais une femme intelligente, brillante, avec un fort tempérament, autoritaire, orgueilleuse. Mais je n’avais pas conscience de l’exploit qu’elle avait réalisé en devenant ce qu’elle est devenue, en créant cette maison de couture, compte tenu des cartes qu’elle avait dans son jeu au départ : une condition sociale qui la fragilisait et sa condition de femme qui compliquait tout. Mais dans le fond, à cause sans doute des drames qu’elle a connus étant enfant, son père l’a abandonnée à la mort de sa mère, elle n’était pas aussi sûre d’elle qu’on pourrait le penser. C’est toujours facile a posteriori de prédire la réussite de quelqu’un. Quand on est la personne concernée, on n’a pas nécessairement cette perception. Coco Chanel voulait devenir quelqu’un, elle voulait être libre et indépendante financièrement. Mais elle ne pouvait pas s’attendre à réussir à ce point.

Pour réussir, elle a dût tout sacrifier : le mariage, les enfants, une histoire d’amour… Croyez-vous que l’on exige encore cela des femmes aujourd’hui ?
Je crois qu’elle refusait l’idée de l’amour qui lui venait de l’image du couple que formaient ses parents, une servitude douloureuse pour sa mère, et elle Coco, ne voulait être l’esclave de personne. Mais je crois que lorsqu’elle rencontre Boy Capel, elle en tombe éperdument amoureuse. Si elle ne l’épouse pas, ce n’est pas son choix à elle. Si cela se trouve, en l’épousant, elle aurait eu une vie totalement différente. Je ne crois pas que le fait qu’elle n’ait pas eu d’enfants, qu’elle ne se soit pas mariée soit un gage de réussite. Mais ce qui est sûr, c’est que le travail a été pour elle le remède à ses souffrances et à sa solitude.

Etes-vous touchée personnellement par ce parcours de femme indépendante, par rapport à votre travail à vous ? Pour oser, par exemple, refuser des rôles qui ne vous plaisent pas, tourner le dos à des hommes de pouvoir ?
Le contexte social de l’époque était extrêmement différent. Ce film rappelle, en tout cas, que la condition de la femme n’a pas toujours été ce qu’elle est aujourd’hui. Cela permet de prendre la mesure de l’avant-gardisme de Chanel qui s’est traduit dans sa mode. Mais c’était avant tout une femme différente des autres. Moi, je n’ai jamais eu les mêmes difficultés à exister, et je crois qu’il est moins compliqué de nos jours de s’imposer en tant que femme qu’au siècle dernier. Pour une femme, être moderne aujourd’hui, c’est refuser d’être soumise ou faible.

Pensez-vous que Coco Chanel était féministe ?
On pourrait la définir comme cela, même si à son époque, elle ne se voyait sans doute pas de cette manière. Elle était féministe parce qu’avant les autres elle a voulu avoir les mêmes libertés, la même indépendance qu’un homme. Elle ne voulait pas être une femme accessoire, un objet de décoration.

Vous ressemblez tellement physiquement à Coco Chanel que c’est étonnant qu’on ne vous ait jamais proposé auparavant d’endosser le rôle ?
Oh, mais on m’a fait de nombreuses offres que j’ai toujours refusées. Je voulais, si je devais un jour m’y confronter, qu’il y ait un point de vue particulier, qu’il ne s’agisse pas d’un biopic classique et que le réalisateur en ait une compréhension intelligente et sensible. Anne Fontaine ne voulait pas faire un film retraçant toute sa vie, en accumulant une succession de clichés. Elle préférait se concentrer sur ces moments où Coco Chanel est en train de construire sa personnalité.

La mode, c’est quelque chose qui vous intéresse personnellement ?
J’adore les vêtements Chanel mais non, je ne suis pas une passionnée de mode. Et ce n’est en tout cas pas pour cette raison que j’ai eu envie de faire le film. Elle m’intéressait au-delà de son talent de styliste. J’aimais l’idée que son style soit le reflet de sa nature profonde, de ses convictions. C’est pour cela que ses créations ont réussi à traverser les décennies et sont restées aussi actuelles qu’indémodables.

Pourquoi après le Da Vinci Code n’avez-vous plus voulu tourner d’autres films hollywoodiens ?
Grâce au succès d’Amélie Poulain, on m’avait déjà fait des propositions qui auraient pu me donner accès à une carrière plus internationale. Mais ce n’est pas quelque chose qui m’intéresse en soi. Je me plais ponctuellement à participer à une aventure exotique mais je n’ai pas envie d’en faire un but en soi. Parce que j’adore faire des films en France, parce que j’adore le cinéma français, parce que je n’ai pas envie d’être plus connue que ce que je suis. Surtout parce que c’est beaucoup, beaucoup de travail pour des rôles difficilement intéressants parce que l’on reste toujours « la Française de service ». Ce me plaît, mais je ne veux pas travailler pour cela. Et pour y arriver, il faut le vouloir.

Vous êtes aussi la nouvelle égérie du parfum N°5 de Chanel. La sortie quasi concomitante du film et du spot ne vous dérange pas ?
Ce sont deux aventures complètement différentes. Et la sortie des deux au même moment est un hasard du calendrier. Je me méfie un peu des médisants qui pourraient y voir une espèce d’opportunisme. J’ai eu grâce au film l’occasion de connaître Chanel davantage et de réaliser que son style restait indémodable. Mais aussi qu’elle avait réussi à créer un parfum il y a 90 ans, le jus encore le plus vendus au monde. Il reste moderne et n’a pas vieilli du tout, la fragrance n’est pas écoeurante comme cela peut être le cas pour d’autres parfums de l’époque qui ne se basaient que sur une fleur ou une senteur. Ce parfum est à l’image de son génie, de son goût, de son oeil incroyable.

Propos recueillis par Isabelle Willot

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