Aymeric Caron: « Défendre les animaux, c’est défendre les plus faibles »

© BELGAIMAGE

Le journaliste, essayiste et ancien chroniqueur de l’émission On n’est pas couché est aussi ardemment impliqué dans la cause végane. Pour lui, le refus de l’exploitation animale est la seule manière d’envisager, sous un angle nouveau, le vivre-ensemble. Entretien avec un militant qui divise et ne lâche jamais prise.

Quand on lui demande ce que cela lui fait d’être le porte-parole attitré du véganisme, il répond avec lucidité qu’il l’a un peu cherché. Aymeric Caron, 46 ans, a fait de la défense d’un monde sans viande – No Steak est le titre d’un de ses livres paru en 2013 – et du refus de l’exploitation animale son cheval de bataille. Son engagement ne fait toutefois pas l’unanimité. Le militant, qui n’est jamais à court d’arguments, peut même se vanter d’être l’une des figures médiatiques les plus détestées de France.

Dans son dernier bouquin clairement anti-système, Utopia xxi (Flammarion), il en appelle à l’édification d’une société plus égalitaire qui fait écho au REV (Rassemblement des Ecologistes pour le Vivant), le mouvement politique qu’il a fondé en janvier dernier. Pas de quoi calmer ses détracteurs qui lui reprochent son intolérance – on ne parle pas ici de gluten – et fustigent ses idées chocs, comme de mettre sur le même plan élevage et esclavage ou de marteler que l’humain est un animal et qu’il n’y a, entre les  » animaux non humains  » et nous, qu’une simple différence de degré. Rencontre devant une assiette de haricots verts, à l’heure du lunch, dans une brasserie parisienne.

Le véganisme est né il y a plus de septante ans, en Grande-Bretagne. Comment expliquez-vous sa montée en puissance et sa popularité depuis quelques années ?

Je suis devenu végétarien, avant de devenir végan, il y a vingt-cinq ans, après avoir vu un reportage à la télévision, dans un JT qui passait à minuit. C’était une vidéo qui avait été tournée dans un abattoir par une association qui montrait les mauvais traitements infligés aux animaux. Pour voir ce genre de document, ce n’était pas évident. Il fallait vraiment chercher l’info ou avoir la chance de tomber dessus. Avec le développement des nouvelles technologies et des réseaux sociaux, beaucoup de gens ont découvert des pratiques qui existaient depuis très longtemps mais dont ils n’étaient absolument pas conscients. Une association comme L214 – ce n’est pas la seule – s’infiltre aujourd’hui dans les élevages ou les abattoirs avec des caméras miniatures et fait en sorte que l’information soit ensuite relayée très largement sur Twitter ou Facebook.

L’autre explication du succès, dites-vous, est l’émergence d’une nouvelle génération. Les 15-25 ans sont majoritaires chez les végans. Pour quelles raisons ?

Nous serons probablement remplacés un jour par une autre espèce. On sera peut-être gibier à notre tour et mis en cage.

Quand on a 20 ans, on a envie de changer le monde. Nous sommes dans une période où il n’y a plus aucun projet politique novateur hormis celui qui porterait la défense des droits des animaux. S’engager pour ceux-ci, c’est s’engager en faveur de cette nouvelle catégorie d’individus discriminés, maltraités, c’est-à-dire les plus faibles qui ne peuvent pas se défendre eux-mêmes. C’est le prolétaire d’avant et qu’on a un peu du mal à identifier aujourd’hui parce qu’il y a eu un tassement social des catégories. Je pense que l’animal non humain peut incarner la cause pour laquelle quelqu’un qui est épris de justice va se battre.

Pourquoi y-a-t-il autant de virulence dans le débat végan, à la fois chez les détracteurs et les partisans ?

J’ai du mal à accepter cette affirmation. La plupart des végans ne sont pas virulents. Il y a une partie d’entre eux qui ont choisi un mode d’action assez dynamique mais je n’ai jamais vu de commando végan attaquer un resto de viande ou traquer les consommateurs dans les supermarchés. En revanche, c’est vrai que, de l’autre côté, il y a une forme de violence parfois très forte à l’égard des défenseurs des animaux.

La violence est dans le camp d’en face ?

Ce n’est pas nouveau. J’ai énormément d’admiration pour ceux qui ont manifesté ou qui luttent depuis des années contre la chasse à courre, par exemple. Ils se rendent pacifiquement sur le terrain en sachant qu’ils peuvent se prendre des coups. Les végans sont non violents et se retrouvent face à des gens qui disent le contraire, qui affirment que la violence est intrinsèque à ce monde et n’hésitent pas à faire le coup de poing.

Les propos de certains végans peuvent quand même être très durs…

Dans un mouvement qui réclame une justice pour des êtres qui sont violentés, assassinés, c’est normal que certaines personnes s’expriment avec un peu moins de diplomatie que d’autres.

Votre plaidoyer repose sur de nombreux interdits et peut apparaître comme liberticide, n’est-ce pas gênant ?

La liberté fondamentale du cochon, c’est quoi ? C’est de pouvoir continuer son existence.

Je prône une société où chacun puisse s’épanouir et poursuivre une voie personnelle, tant que cela ne gêne pas autrui. C’est ce que le philosophe français Ruwen Ogien, disparu l’an dernier, appelle l’éthique minimale de la liberté. Cette règle-là me semble juste. Quand on demande de ne pas tuer un cochon, je nuis à la liberté du mangeur de cochon, c’est vrai. Mais dans le cercle de ceux qui ont le droit de jouir de la liberté, j’inclus des êtres auxquels on n’a pas pensé jusqu’à présent. La liberté fondamentale du cochon en question, c’est quoi ? C’est de pouvoir continuer son existence. Ce droit-là est plus important que ma liberté égoïste qui consiste à le tuer pour avoir dix minutes de plaisir gustatif.

Est-ce que vous comprenez les crispations des paysans à votre sujet ?

Nous sommes face à des gens qui défendent leur travail, c’est compréhensible. Et quand ce métier est pratiqué dans les familles depuis des générations et des générations, ce n’est plus seulement un gagne-pain auquel on touche, mais à une identité, à de l’intimité. Beaucoup d’agriculteurs sont persuadés de ne pas maltraiter les animaux. Depuis des siècles, on nous transmet l’idée que dominer des animaux, les élever pour les tuer, c’est normal. Je comprends que des personnes soient surprises qu’on leur dise qu’il faut changer tout cela. Le véganisme demande que l’on refonde les piliers de tous nos comportements.

N’est-ce pas utopiste ?

Les progrès moraux de l’humanité, qui nous permettent de vivre mieux ensemble, ont tous été le fait d’utopistes. L’esclavage a été envisagé comme une chose des plus normales pendant des siècles. Les premiers abolitionnistes ont été regardés comme des énergumènes. C’était des utopistes.

Et à ceux qui vous reprochent d’être dans l’émotionnel, que dites-vous ?

Qu’au contraire, c’est la raison qui me guide, pas l’émotion, même si je peux être bouleversé par la souffrance animale. Dans tous mes livres, je me base sur le travail reconnu d’éthologues, de neurologues ou de paléoanthropologues.

Au coeur du véganisme, il y a l’antispécisme auquel vous avez consacré un livre et qui refuse d’opposer l’homme et l’animal…

Quand on a décrété que les humains étaient la création supérieure qui nous autoriserait à tous les traitements sur toutes les autres créatures de la Terre, nous avons fait une terrible erreur. Compte tenu des avancées scientifiques, les antispécistes demandent simplement que l’on repense cette vision des choses car elle n’est pas en adéquation avec la réalité. On comprend aujourd’hui beaucoup mieux que par le passé la logique du vivant, entre autres grâce aux recherches sur l’ADN. On commence à en finir avec l’idée que nous humains, sommes la version finale, achevée et forcément réussie du vivant. C’est comme si avec l’Homo sapiens, la nature avait fini son travail. C’est faux. Nous ne sommes qu’une étape de l’évolution et nous serons probablement remplacés un jour par une autre espèce. On sera peut-être gibier à notre tour et mis en cage.

Vous pensez à La planète des singes ?

Ce qu’a écrit Pierre Boulle, c’est formidable. La littérature d’anticipation me fascine. Aldous Huxley, Isaac Asimov, George Orwell sont des auteurs essentiels pour moi. Ils parlent de ce nous sommes mais on ne s’en rend compte que trente ou quarante ans après. C’est le contraire de l’autofiction, qui est à la mode dans la littérature française et que je trouve inintéressante au possible. Elle est à l’image de l’anthropocentrisme qui régit notre société. On se regarde le nombril et on fait 300 pages pour dire qu’on a mal à la tête.

Plus jeune, étiez-vous sensible à la cause animale ?

J’ai toujours eu un rapport particulier avec les animaux. Je n’ai jamais pu comprendre l’expression :  » Ce ne sont que des animaux.  » Quand j’avais 10 ans et que je voyais à la télé des images de bébés phoques se faire exploser la tête à coups de bâtons par des chasseurs, je pouvais être triste et angoissé pendant une semaine. Cela m’était insupportable. Mais il y a trente-cinq ans, la cause animale était réservée à des militants. Et on ne grandit pas avec l’idée de le devenir, même si ma famille était par ailleurs écolo. Je voulais être grand reporter, je l’ai été mais il y a toujours eu dans un coin de ma tête l’envie de servir la cause animale.

Comment voyez-vous l’avenir du véganisme ?

La cause va continuer à progresser. Je pense que l’élevage industriel va être aboli dans un avenir plus ou moins proche, peut-être dans quelques décennies. En même temps, on est dans une phase où l’on n’a jamais tué autant d’animaux pour les manger. La demande ne cesse de croître. Les décennies qui vont venir vont être paradoxalement assez terribles pour les animaux.

La viande disparaîtra-t-elle un jour de nos assiettes ?

La viande disparaîtra mais je ne peux pas vous dire si cela prendra un siècle ou un millénaire.

C’est une nécessité environnementale et sanitaire. L’élevage est responsable de 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre et de 80 % de la déforestation en Amazonie. La viande disparaîtra mais je ne peux pas vous dire si cela prendra un siècle ou un millénaire. Il y aura des phases de transition. Je suis déjà très étonné de voir à quelle vitesse vont les choses. Pendant les trois années où j’ai été chroniqueur à On n’est pas couché (NDLR : sur France 2), de 2012 à 2015, j’ai vu une très nette évolution entre la première saison où tout le monde se foutait de moi et la dernière où on ne rigolait plus autant. Durant la dernière année de l’émission, on se retrouvait souvent avec des plateaux où la moitié des invités étaient végétariens ou végans. L’équilibre s’est complètement modifié.

Vous avez conscience que votre discours peut apparaître comme très moral ?

L’éthique est fondamentale pour moi.

C’est une histoire de famille ?

Je pense que oui. C’est même une question de religion. Je suis athée mais l’influence du protestantisme qui me vient de ma mère qui est néerlandaise est certaine. On a été élevés avec l’idée qu’il y a des valeurs auxquelles on doit se tenir. A l’adolescence, j’étais obsédé par le fait de ne causer aucun tort à personne.

Vous vivez à Paris ?

Non, j’habite dans un environnement champêtre qui me correspond, même si mon idéal serait de vivre à la montagne, en hauteur.

Vous avez un potager ?

Oui, et j’ai des poules. Je suis un végan qui accepte de manger des oeufs de poule.

Ce n’est pas très végan ça…

Le véganisme n’est pas livré avec un kit. Il y a 90 % d’évidences et 10 % de sujets qui prêtent à discussion. Je considère que l’on peut avoir le droit de manger des oeufs dans certaines circonstances très claires. Il faut que les poules en question soient en liberté, heureuses, bien traitées et qu’on ne les tue pas une fois qu’elles deviennent moins productives.

Mais tout le monde ne dispose pas d’un lopin de terre. C’est une réponse individuelle que l’on peut difficilement étendre au plus grand nombre…

Mais ce n’est pas pour cela qu’on ne doit pas, nous, essayer de trouver des solutions. On peut commencer par éliminer le plus possible les oeufs de notre alimentation en se contentant d’en consommer de temps en temps puisqu’il existe des produits végétaux de substitution. Cela permettrait de produire moins et de partager plus. Le problème, c’est qu’on mange trop par rapport à nos besoins réels. En augmentant le nombre de calories absorbées, la cuisson des aliments a révolutionné notre façon de manger. La question centrale, c’est la transformation chimique. Je suis curieux de savoir quelle va être la prochaine invention gastronomique que l’on va bien vouloir s’accorder et qui va, peut-être, à partir du végétal, ouvrir la voie vers de nouvelles manières de cuisiner. La défense de nos habitudes alimentaires, et la consommation de la viande en particulier qui est présentée comme un acte inaliénable, se fait au nom de la tradition. On regarde le passé en oubliant ce que l’on peut faire dans le futur.

Par Antoine Moreno

Aymeric Caron en 7 dates

Aymeric Caron:
© BELGAIMAGE

1971. Naissance à Boulogne-sur-Mer.

1998. Aymeric Caron entre chez Canal+, comme journaliste, et couvre de grands conflits internationaux au Kosovo, en Afghanistan et en Irak entre autres.

2006. Il anime le 8/10 sur iTélé.

2009. Il arrive à Europe 1, d’abord comme remplaçant estival de Marc-Olivier Fogiel dans la matinale, puis pour une émission le dimanche en début de soirée, et comme back-up de Jean-Marc Morandini dans Le Grand Direct.

2012. Il rejoint l’équipe de Laurent Ruquier, en tant que chroniqueur, sur le plateau d’On n’est pas couché (France 2). Certaines de ses interventions, jugées arrogantes, déclencheront un tollé, voire des menaces sur sa personne. Le polémiste sera finalement remplacé en 2015.

2013. Il sort son premier livre, No Steak (Fayard), se positionnant clairement dans le mouvement de défense de la cause animale. Suivront : Incorrect : pire que la gauche bobo, la droite bobards (Fayard, 2014), Antispéciste : réconcilier l’humain, l’animal, la nature (Don Quichotte, 2016) et Utopia xxi (Flammarion, 2017).

8 février 2018. Il annonce la formation du Rassemblement des Ecologistes pour le Vivant (REV) qui encourage au respect  » de la planète et de tous ses habitants « .

Par Fanny Bouvry

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content