Chloé Winkel: « J’ai du mal avec la prudence, pour moi il n’y a pas de demi-mesure »

© Sven Ulmerich / SDP

Elle joue de son corps et du violon, sur scène, en photo, sur les podiums des défilés et sur les plateaux de cinéma. Actrice, mannequin, musicienne, la jeune femme est pour l’heure l’incarnation théâtrale de Bess dans Breaking the Waves. Pas de demi-mesure.

Est-ce le ressac qui l’a laissée là, à trois pas de la gare du Midi ? Elle avait pris le train à Luxembourg-ville, portant en elle les stigmates de Bess et, sur le crâne, une queue de cheval défaite muée en couette sauvage sur le côté. Le temps d’un week-end, Chloé Winkel ne jouera pas « la partition de fou » de Breaking the Waves, mise puissamment en scène par Myriam Muller au Grand Théâtre du Grand-Duché voisin. C’est relâche, avant une tournée qui, elle l’espère, s’annonce longue et qui passera par le Théâtre de Liège (*). Avec l’entièreté étrange et fascinante qui la caractérise, elle s’est emparée de ce personnage d’amour total, cette jeune femme sacrificielle dont la foi sauve les autres, pas elle.

J’ai du mal avec la prudence.

Pourtant, enfant, quand Chloé Winkel fréquentait l’école Saint-Dominique à Schaerbeek, elle ne rêvait pas de scène; elle se serait bien vue cardiologue ou océanographe. Mais à peine sortie de rhéto, la voilà partie à Düsseldorf, puis à Tokyo, pour endosser le rôle principal dans The Stratosphere Girl de Matthias X. Oberg. Il l’avait vue en cover du magazine Dazed & Confused car elle mannequinait depuis deux ans. Déjà étrange et fascinante, il l’avait auditionnée, alchimie. Elle avait ensuite voulu entamer des études de maquillage de cinéma, « no way » lui avait répondu son père, elle en sourit aujourd’hui. Elle étudiera l’histoire de l’art, mémoire sur « L’institutionnalisation du post-graffiti », grande distinction, inscription de concert en slavistique, séjour à Prague et Czech Studies à la Karlova Univerzita, puis entrée, à 25 ans, au Conservatoire de Liège parce que le théâtre qu’elle pratiquait à l’académie la rattrape par le cou. « J’y ai appris la vie, j’avais le droit d’être moi. » Et d’y spécifier les contours fermes de ce qu’elle a déjà compris intuitivement – son désir de précision, sa jouissance à embrasser toutes les partitions du jeu, émotionnelles, physiques, textuelles, musicales, sa justesse qui lui permet d’être « au point de rendez-vous des acmés », sa façon de ne pas se ménager. « J’ai du mal avec la prudence, confirme- t-elle, pour moi il n’y a pas de demi-mesure. » Son curriculum vitae ne dit pas autre chose, qui entrelace une performance avec Romeo Castellucci dans le cadre de ses études, neuf ans de karaté, ceinture marron 1er ku, Le Bouc de Fassbinder au Théâtre Océan Nord ou Méphisto au Parc, une pièce jeune public au titre plus qu’évocateur – Dis des mots sur ce que tu parles – et des workshops de musique roumaine à Beica, Transylvanie. Elle y part chaque été avec son violon travailler avec Marcel Ramba, « un maître de la musique roumaine et gitane qui nous apprend le répertoire, on boit de la tuica, il nous emmène dans les mariages et les enterrements, on joue non-stop jusqu’à 5 heures du matin ».

Parmi la profusion d’expériences, se glissent aussi des incursions dans la mode, mais plutôt que les campagnes Armani, Marc Jacobs et Calvin Klein Jeans, on comprendra qu’elle préfère retenir les chemins alternatifs: défiler à Paris pour la créatrice Marine Serre ou s’engager dans les projets éditoriaux et photographiques de Benoît Béthume pour son Mémoire universelle. Elle y incarna Lolo Ferrari et la femme à barbe, « c’était costaud ». Et si dans tout ça, on se prend à suivre les points de suspension, on tombera sur son projet personnel d’écriture et de mise en scène titré De-Siderium, comme désir et aussi comme privé d’astre, où elle transcende la disparition de sa grand-mère et peut-être aussi un peu ce que sa perte avait généré en elle. Elle avait 12 ans et, périlleuse, avait soudain « affiché un corps qui allait vers la mort ». Depuis, en revenante entêtée, Chloé Winkel savoure l’éloge du risque artistique.

(*) Breaking the Waves, Théâtre de Liège, www.theatredeliege.be

Du 27 février au 2 mars prochain.

Bio express

1984 Naît à Bruxelles.

2000 Débute comme mannequin.

2002 Obtient le rôle principal dans le film The Stratosphere Girl.

2013 Est diplômée du Conservatoire royal de Liège.

2015 Interprète Sarah dans Notre peur de n’être de Fabrice Murgia.

2019 Endosse le rôle de Bess dans l’adaptation de Breaking the Waves.

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