Cinq personnalités belges nous parlent de leurs intimes connexions avec leur maman

Véronique Culliford, Angelo Bison, Clément De Clercq, John-John Dohmen et Valentine Brognion © Merel Hart
Isabelle Willot

Du hockeyeur John-John Dohmen à l’acteur Angelo Bison, en passant par la chanteuse Valentine Brognion, le créateur Clément De Clercq et la chef d’entreprise Véronique Culliford, ils nous racontent ce que leur mère leur a transmis.

Entre fusion et émancipation, continuité et rupture, les liens que nous tissons avec celle qui nous a vu grandir sont riches et complexes, souvent indéfectibles, mais pas nécessairement évidents à assumer ou à mettre en mots. Nous avons exploré cet attachement si particulier au fil des récits de cinq personnalités. Créateur, sportif, chanteuse, acteur ou chef d’entreprise… Chacun à sa manière a levé un voile sur ce rapport personnel et touchant. Certains, sans doute apaisés dans leur relation, ont joué le jeu jusqu’à poser de manière décomplexée avec l’objet qui matérialise leur filiation. D’autres ont préféré l’évoquer de manière plus ténue… Mais avec cette envie constante de raconter leur propre route et la sienne, comment elles se sont suivies ou éloignées. Pour toujours se recroiser.

Cinq personnalités belges nous parlent de leurs intimes connexions avec leur maman
© MEREL HART

Angelo Bison, comédien – « Ma part de féminité »

Rien ne le prédestinait à monter sur les planches, le théâtre n’a jamais été une affaire de famille. Pourtant, c’est indirectement à sa mère qu’Angelo Bison doit d’être devenu comédien. A l’origine du lien qui les unira au-delà du visible, une perte indicible dont l’acteur ne mesurera véritablement la portée qu’en devenant père lui-même. « Maman était enceinte de moi, j’étais un foetus de 6 mois lorsque ma soeur aînée, âgée d’1 an et demi, est morte d’une méningite, confie-t-il. Mon père était de ces hommes qui ne se laissent pas aller à la douleur. Maman m’a toujours dit qu’elle avait dû porter son chagrin toute seule. En réalité, je l’ai porté avec elle. » Même s’il ne se souvient pas formellement de cette expérience in utero, Angelo en acquerra une sensibilité à fleur de peau, une part de féminin qui vient contrebalancer « un physique assez dur » venant de son père. Sans cette épreuve familiale, ces fils invisibles, il ne serait jamais devenu artiste. A 61 ans et plus de 100 pièces au compteur, il s’est offert depuis 2016 le rôle de Guy Béranger, le monstre de Vielsart, antihéros de la série Ennemi Public dont la deuxième saison vient de se terminer. Un homme mutique, cruel, au regard glaçant. « Les yeux noirs de ma mère », sourit-il. Arrivée en Belgique juste après la guerre, elle parle alors un « vilain patois du Nord, rien de romain » qui, mêlé au wallon de Morlanwelz, tient lieu de sabir familial. Une langue métissée qui lui donnera du fil à retordre à son arrivée au Conservatoire de Bruxelles dans la classe de Claude Etienne. « Je déplaçais les accents toniques, les sons n’étaient pas purs », se rappelle-t-il. Le phrasé s’est lissé et Angelo Bison, après s’être joué des personnages du répertoire classique pendant des années, n’aime rien tant que d’explorer, rôle après rôle, ces mystères du subconscient qui lui parlent tant et font que les hommes deviennent ce qu’ils sont. Dans Un homme si simple, il relate aujourd’hui les confessions de l’écrivain anversois André Baillon, interné à la Salpêtrière, au bord de la folie. Une âme de composition. I.W.

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Véronique Culliford, chef d’entreprise – « Son sens de l’humour »

Elle a décidé de suivre les pas de son père, Pierre Culliford alias Peyo, fondateur des Schtroumpfs, en s’occupant à son tour de la tribu des petits hommes bleus. Véronique Culliford est une vraie businesswoman et n’hésite pas à se donner à fond pour faire persister le minuscule village de champignons. Bien que Peyo soit reconnu mondialement pour son talent, Janine, sa femme, possédait elle aussi un sens artistique exceptionnel. En plus d’être une véritable mère poule pour ses enfants et une oreille attentive pour ses amis, elle coloriait les bandes dessinées de son mari. Mais pas que, son petit plaisir personnel c’était l’art de la décoration et, plus précisément, les collections. « Elle thésaurisait absolument tout et rien: des petits oeufs, des canards, des boîtes de toutes les tailles…, explique Véronique. Mais ce qu’elle aimait plus encore, c’était faire rire les autres. Elle possédait une grande collection d’objets comiques comme des faux nez, des lunettes amusantes, etc. Sa table était perpétuellement décorée de clowneries quand on recevait des gens et elle achetait des gadgets en autant d’exemplaires qu’elle avait d’hôtes, afin que chacun y trouve sa part de rigolade. » Véronique, qui, de son propre aveu, ne sait pas vraiment dessiner, a donc plutôt hérité de cet autre trait. Elle veut, comme sa maman, toujours avoir le mot pour rire, même parfois dans des cas de figure très sérieux. « Je ne peux pas m’empêcher de lancer une vanne à chaque phrase. Elle m’a toujours dit que l’humour était très important. Chaque situation a besoin de sa touche de plaisanterie. Sans quoi, la vie serait totalement ennuyeuse », observe celle qui a récupéré et étoffé une partie des collections et a même accepté de revêtir de drôles de binocles pour notre photo. Entretenir la passion de sa mère lui a appris à être plus volontaire, à aller jusqu’au bout des choses qu’on a commencées. Caractère fondamental lorsqu’il s’agit de reprendre une tâche aussi importante que celle que ses parents lui ont déléguée: baby-sitter 101 gnomes bleus. M.D.

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Clément De Clercq, créateur – « Je l’appelle Sophie »

Elle a la simplicité des belles choses, la blanche monochromie du pur classicisme. Elle ressemble aux chemises qu’a toujours portées sa mère, à celles aussi qu’il propose sous sa griffe Kelly et dans son enseigne bruxelloise de la rue Darwin, qui répond au même nom empreint de réminiscence gracieuse. Clément De Clercq, mi-pudique, mi-crâneur, s’est adossé à la porte de sa devanture et a laissé ses yeux bleus s’imprégner de la couleur du ciel, on y reconnaît également une filiation – Sophie Helsmoortel a les mêmes, on les a croisés à quelques rues d’ici, chez Cachemire Coton Soie, la boutique de mode qu’elle a créée il y a presque trente ans maintenant. Les chiens ne font pas des chats. Il a beau l’appeler par son prénom – parce que c’est « un peu délicat » de croiser son fils de 38 ans dans les allées d’un salon de prêt-à-porter parisien et qu’il vous donne du « maman » -, il a beau répéter qu’il a dû se faire tout seul, il ne peut nier que, à dresser l’inventaire de la beauté, il esquisse le portrait impressionniste de sa mère. Mais il n’est pas l’heure de s’étendre sur le divan, il a déjà donné. Enfance bruxelloise, parents divorcés, famille recomposée, il occupe la deuxième place d’une fratrie de quatre garçons et une fille, souvenirs laconiques, galères scolaires, études publicitaires au CAD où il trouve enfin ses repères – « J’ai une chance folle, notre père nous a toujours conseillé de choisir des études et un métier dans lesquels on serait heureux. » En 2008, il peaufine les contours d’un projet en commun, avec « Sophie », une nouvelle adresse pour les filles de ses clientes. Il finira par se lancer seul, proposant des collections Homme, jouant les équilibristes débutants qui pratiquent l’essai-erreur. Depuis, Clément De Clercq a brillamment élargi le propos, ouvert deux lieux dédiés à la Femme tout en faisant ses armes avec Repetto dans le centre-ville et en créant sa marque, il y a trois ans déjà. Laquelle a valeur d’essentiel avec ses pantalons, ses chemises et ses robes impeccables « made in Italy ». Il n’en disconviendra pas, tout cela répond à ses critères exigeants et à quelques intuitions justes. Un peu aussi à ce qui lui fut transmis par capillarité. A.-F.M.

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John-John Dohmen, hockeyeur – « La fougue sur le terrain »

338 sélections avec les Belgian Red Lions, 3 Olympiades, un incroyable titre de Champion du monde et une toute récente première place à l’Euro League avec son club des Waterloo Ducks: John-John Dohmen accumule les titres. En 2016, il a même été élu meilleur joueur du monde par la Fédération internationale. Avec autant de reconnaissance, notre compatriote porte bien sa casquette de capitaine d’équipe. Mais s’il détient un palmarès aussi impressionnant, c’est en partie grâce à sa maman. Après avoir elle-même arpenté les terrains durant de longues années et été élue quinze fois championne de Belgique, Dominique Dohmen a en effet décidé de passer la main, ou plutôt le stick, à son fils. C’est donc à l’âge de 5 ans seulement que la future star du Waterloo Ducks s’est lancée sur le gazon synthétique. « Moi, à la base, je voulais faire du foot, explique-t-il. Mais très vite, à force d’aller voir les matchs de mes parents et de pratiquer plusieurs fois par semaine, j’ai accroché sans plus jamais m’en détacher. » Le hockey est réputé pour être un sport transmis de génération en génération et dans le clan maternel, personne n’a fait exception. Ses grands-parents était déjà dans le milieu puis ont incité leurs trois filles à s’y mettre également. Plus tard, c’est son mari que Dominique a contaminé. Et ainsi de suite. « C’est devenu une discipline très populaire, on y retrouve moins de familles qu’auparavant, précise-t-il. Je suis un des derniers de cette continuité. Donc, bien sûr, mes enfants auront très vite le stick entre les mains, assure John-John. Mais ce sera à eux de choisir ce qu’ils préfèrent et de faire leur propre chemin, je ne veux rien leur imposer. » Grâce à sa mère, ses conseils et son encouragement continu, le champion du monde a eu la chance de faire de sa passion son métier à plein temps. « Elle a toujours été là pour me soutenir et me faire évoluer dans un environnement positif. Ça se voyait, qu’elle s’investissait plus que les autres parents. Ce stick, il est ultra-important à mes yeux. C’est l’objet que je ne quitte jamais et que j’utilise le plus… à part mon téléphone peut-être. » M.D.

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Valentine Brognion, chanteuse – « Il paraît que je suis son reflet »

Dans cet univers intense mais fragile qu’est devenue la musique, seules les jolies chansons parviennent à ne pas être englouties par le temps. C’est le cas, on le sent, du premier single de Valentine Brognion, sobrement baptisé Sans disparaître et qui sonne comme « un écho à mon enfance, à ces endroits, ces lieux ou ces odeurs qui se perdent dans les souvenirs ». La jeune Belge de 21 ans, gagnante de l’émission The Voice en 2018, confesse ses penchants mélancoliques, et on la croit sur parole(s) quand elle nous explique avoir été bercée par les voix de sa maman et de sa grand-mère. « Elles chantonnaient en permanence, dans le salon, la salle de bains ou la cuisine. Dès lors, la musique est arrivée en moi de façon inconsciente, décomplexée et spontanée. La transmission s’est faite naturellement. Et même si mes parents m’ont toujours soutenue, ils ne m’ont jamais forcée. J’avance plutôt sur des coups de tête, en écoutant les signes et, parfois, en me rendant compte, après coup, que les décisions étaient évidentes. » Parmi les reliques de ses aïeux avec lesquels la Hennuyère aime fusionner, il y a notamment un grand miroir, symbole d’un état d’esprit consistant à « regarder derrière tout en regardant devant ». Que personne n’y voie une once de narcissisme, surtout. « C’est l’idée du reflet qui me touche beaucoup. Ce miroir se transmet de mère en fille depuis mon arrière-grand-mère et, aujourd’hui, il est toujours dans la maison familiale, à Neuville, où il m’arrive d’aller composer. Forcément, quand je passe devant, je pense à ma maman, puisqu’on me dit toujours que je lui ressemble énormément, que j’ai hérité de ses mimiques, de son côté solaire, de son énergie. » Pour être honnête, on s’attendait à ce que Valentine évoque un piano ou une guitare – « des instruments qui m’ont aidée à m’affirmer et à mieux m’exprimer musicalement » -, mais les reflets lui vont encore mieux. Parce qu’ils ont ce côté fragile et intense qui se réverbère dans une voix éclatante dont les mots pardonnent tout à « l’ombre du temps ». N.B.

  • Sans disparaître, chez Universal Music Belgium.

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