Fatiha Saïdi: « Il est temps que l’on donne la parole aux femmes qui ont été longtemps les oubliées de l’histoire »

© Raisa Vandamme

Elle n’a pas attendu de prendre sa retraite pour écrire. Car depuis longtemps déjà, les livres comptent pour elle. A 60 ans, Fatiha Saïdi publie son cinquième ouvrage, Echos de la mémoire sur les montagnes du Rif. Cette Belgo-Marocaine qui fut un temps femme politique connaît la valeur de la transmission.

Les vieilles femmes du Rif marocain n’ont jamais eu la parole. J’avais été dans cette région montagneuse, qui est aussi ma terre d’origine, après le tremblement de terre de 2004, en tant que députée bruxelloise. J’y avais découvert des femmes extraordinaires, d’une créativité et d’une agentivité hors du commun. Elles faisaient preuve de sang-froid et de résistance à la souffrance. Je m’étais rendu compte qu’elles étaient en première ligne, qu’elles allaient bientôt disparaître et qu’on n’entendrait plus jamais parler d’elles, j’avais envie de connaître davantage celles que je considère comme mes aïeules.

Un fossé me sépare de ces femmes rurales. Par ma trajectoire migratoire et politique, je suis devenue une femme petite bourgeoise, même si je n’ai pas coupé les liens avec ma communauté d’origine. J’avais le sentiment qu’elles étaient soumises, recluses, au garde-à-vous devant les bastions et les diktats masculins. J’ai découvert que non, qu’elles étaient fortes, dans un contexte très dur au coeur de cette région enclavée, sinistrée économiquement et qui a connu les colonisations, la famine et la guerre.

J’ai voulu donner une voix à ces femmes sans voix, qui ne savent ni lire ni écrire. J’espère que ce livre fera des émules, que des académiciens vont s’en servir, à tous les niveaux… des tas de chantiers peuvent être ouverts. Il est temps que l’on donne la parole à ces femmes qui ont été longtemps les oubliées de l’histoire, comme de nombreuses autres femmes par ailleurs. « Qu’attends-tu des vieux débris que nous sommes? », m’a demandé l’une d’elles. C’était révélateur de la mésestime et du mépris que l’on a toujours eus pour elles et qu’elles avaient pour elles.

Fatiha Saïdi:

Elles ont réveillé en moi un sentiment d’universalité. Car nous partageons un même problème de fond, le patriarcat. Elles ont vécu l’exclusion et les discriminations en tant que femmes. Cela m’a permis de faire une espèce de pont entre leurs témoignages et mes combats féministes, même si bien sûr, elles ne revendiquaient pas le droit à l’IVG ou l’égalité salariale… A travers elles, j’ai également pu retracer les trajectoires de mes grands-parents. Ce fut une façon de me réapproprier ma propre histoire.

Si j’ai pu devenir celle que je suis, c’est grâce aux livres qui m’ont sauvée.

Le salut d’une femme passe par le savoir. J’en suis convaincue. Si j’ai pu devenir celle que je suis, sortir des liens forcés du mariage, c’est grâce aux livres qui m’ont sauvée. Ils m’ont permis de comprendre ma situation et me rebiffer contre ces conditions. On sait que les femmes qui lisent sont dangereuses! Or, ces Rifaines illettrées ont été dépossédées du savoir. Volontairement, pour les laisser dans l’ignorance, essayer de les museler, ne pas leur donner de pouvoir et faire en sorte qu’elles ne revendiquent pas grand-chose, même si elles le faisaient pourtant avec les faibles moyens dont elles disposaient. Suite à ce livre, je me suis inscrite à l’université pour suivre un master en études de genre, j’avais envie de continuer mes recherches sur les femmes et je voulais acquérir les outils pour étudier leur invisibilité. Pour le moment, je travaille sur Marie de l’incarnation, qui, au début du XVIIe siècle, trouve les moyens de transgresser les normes pour voyager, être la première missionnaire française et ouvrir une école pour filles au Québec. Je bûche également mon sujet de mémoire qui portera sur l’invisibilité des femmes sans-abri.

Personne n’est invisible. Mais on rend les gens invisibles via des constructions sociales, culturelles, religieuses. De sorte qu’on gomme ainsi un groupe de population qui dérange – les femmes, les homosexuels, les personnes d’origine étrangère … – et qu’on l’instrumentalise en fonction des époques, du contexte socio-économique, de mille et une choses, rien n’est le fruit du hasard.

Je crois à la transmission. J’ai dédicacé mon livre à ma petite-fille Leyah, je le lui laisse en héritage. J’ai le sentiment que l’on transmet plus par l’écriture. Surtout quand il s’agit de femmes qui prennent la plume, on a tellement parlé en leur nom. Il importe qu’elles se disent, s’écrivent, se racontent. Car s’exprimer en terme de « je » est très puissant, l’écriture est une arme.

Echos de la mémoire sur les montagnes du Rif, éditions La croisée des chemins.

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