Frances Glessner Lee, miniaturiste et experte en meurtres, célébrée par l’Amérique

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Des analyses ADN aux études de projections de sang, on connaît les outils sophistiqués de la police scientifique américaine. On sait moins en revanche que ses experts se forment encore avec des maisons de poupées construites dans les années 1940, par une femme passionnée d’affaires de meurtre.

Plus d’un demi-siècle après sa mort, Frances Glessner Lee (1878-1962) a reçu à Washington un hommage mérité, sous l’égide de la prestigieuse Smithsonian Institution.

Les oeuvres en trois dimensions de cette pionnière des enquêtes criminelles ont fait l’objet ces dernières semaines d’une exposition à la Renwick Gallery, en face de la Maison Blanche.

Le public s’y est pressé avec une foule de questions: est-ce de l’art? Du modélisme? Une déviance morbide? Mais tout le monde s’accorde sur un point: le travail de détail de Mme Lee est extraordinaire.

Originaire de Chicago, elle a réalisé à partir de l’âge de 65 ans des reproductions de théâtres de faits divers, chacune à peine plus grosse qu’une boîte à chaussures, où le souci du réalisme est frappant.

Avec des bouts de bois ou de tissu, l’artiste reconstitue l’intérieur d’une cuisine où apparaît le cadavre d’une ménagère, une masure dévorée par les flammes, ou une chambre au lit souillé d’hémoglobine, dont l’occupant a péri par arme à feu.

Chaque accessoire miniature se veut le plus fidèle possible, étant susceptible d’être un élément de preuve.

Frances Glessner Lee, miniaturiste et experte en meurtres, célébrée par l'Amérique
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Devant chacun de ces « dioramas », dont la solution n’est pas donnée, le spectateur est appelé à trancher: s’agit-il d’une mort naturelle, accidentelle, d’un suicide ou d’un homicide?

Ainsi, dans la « Salle de bain rose », Mme Lee a reproduit la scène exacte qu’a découverte le 30 mars 1942 Samuel Weiss, un concierge d’immeuble alerté par des locataires dérangés par l’odeur nauséabonde émanant de l’appartement de Rose Fishman.

Etranglée… ou pendue ?

Lorsque M. Weiss pénètre chez cette veuve, dont le courrier s’entasse dans la boîte aux lettres, la porte de la salle de bain est fermée de l’intérieur. Le concierge passe donc par l’escalier anti-incendie fixé à la façade.

Il trouve Mme Fishman étendue près de la baignoire, en robe de chambre, une corde sectionnée autour du cou, le visage cyanosé. A-t-elle voulu se pendre? A-t-elle été étranglée par un agresseur entré par la fenêtre? Au spectateur de juger.

Frances Lee a patiemment confectionné ses « Nutshell Studies of Unexplained Death » pour enseigner aux étudiants du département de médecine légale d’Harvard comment ratisser les lieux d’un crime potentiel, à une époque où la science médico-légale en était à ses balbutiements.

Créées dans les années 1940 et 1950, ces miniatures, que l’on inspecte à l’aide d’une torche électrique, servent toujours à former les limiers de la police scientifique de Baltimore.

Etonnant destin que celui de Frances Glessner Lee, issue d’un milieu aisé et contrainte de se marier à 19 ans, elle qui aurait voulu satisfaire sa curiosité par des études supérieures.

Passionnée par les meurtres et les mystères, mais condamnée à vivre une vie de mère de famille de la bonne société, elle a senti la frustration s’accumuler, malgré la relation d’égalité qu’elle a tissée avec George Burgess Magrath, un éminent médecin légiste.

Sherlock à chignon

« Frances Glessner Lee était généreuse, progressiste, persévérante, obstinée et novatrice. Amatrice de Sherlock Holmes et de faits divers, elle a suivi son instinct plutôt que ce que la société et son père estimaient convenable », explique à l’AFP la professeure Katherine Ramsland, experte médico-légale.

Ce n’est qu’avoir divorcé et hérité de la fortune familiale, en 1936 que Mme Lee a pu s’imposer dans cet univers exclusivement masculin, qui a pourtant su reconnaître sa valeur.

Sur certaines photographies d’archives, on la voit trônant au milieu d’une trentaine de policiers, les cheveux réunis en chignon et le visage sévère. « Elle a tracé un sillon pour les femmes, en devenant la première femme invitée aux réunions fondatrices de l’Académie américaine des sciences de la criminalistique, et la première femme invitée par l’Association internationale des chefs de police », rappelle Mme Ramsland. « Comme elle avait cette faculté d’enseigner les compétences d’observation, de déduction, de reconstitution des faits, Mme Lee a sensibilisé des milliers d’enquêteurs, de juristes et de journalistes à des détails criminels qu’ils auraient pu négliger. »

NDLR : Frances Glessner Lee fait l’objet d’un chapitre dans le tome2 de Culottées de Pénélope Bagieu.

Frances Glessner Lee, miniaturiste et experte en meurtres, célébrée par l'Amérique
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