Greta Thunberg en une du Vogue, un paradoxe ?

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Pour la première édition du Vogue Scandinavie, c’est Greta Thunberg qui fait la couverture. Dans le magazine et sur les médias sociaux, elle critique les conséquences dévastatrices de l’industrie de la mode pour les personnes et la planète. Complètement paradoxal ? Pas vraiment.

Greta Thunberg, militante suédoise du climat de 18 ans, fait la toute première couverture de Vogue Scandinavie. Accompagnée du cheval islandais Strengur, elle pose devant l’objectif du duo de photographes Iris et Mattias Alexandrov Klum en pleine campagne suédoise. Les photos sont magnifiques et Greta semble à l’aise. L’interview a été réalisé par le journaliste Tom Pattinson et l’un des thèmes abordés est l’impact de la fast fashion sur l’environnement et le climat. « Lorsque vous achetez de la fast fashion, vous contribuez à cette industrie, vous l’encouragez à se développer et vous encouragez le processus de production très néfaste », déclare Greta.

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Elle-même choisit d’acheter le moins possible de vêtements neufs et de réparer ce qu’elle possède. Lorsqu’elle a besoin de quelque chose de différent, Greta achète d’occasion ou emprunte des vêtements à des personnes qu’elle connaît. Le legging qu’elle porte pour l’interview est celui qu’elle possède depuis des années et qu’elle a réparé elle-même avec du fil et une aiguille.

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Comment concilier cette vision avec le fait de poser pour un magazine de mode ? Les vêtements que l’équipe de Vogue a sélectionnés pour elle pour le shooting étaient faits de matériaux naturels certifiés, de textiles de surstockage et de vestes qui ont eu une seconde vie selon les principes de l’upcycling. Vogue Scandinavie souhaite d’ailleurs être aussi durable que possible et ne se vendra qu’en ligne, n’utilisera pas d’emballages en plastique, plantera des arbres et s’efforcera de mettre en place une chaîne de production totalement neutre en carbone. L’équipe scandinave veut prouver qu’une réflexion radicale sur la durabilité ne doit pas faire obstacle à un journalisme de mode de qualité.

Produits jetables

Acheter des vêtements d’occasion, les chérir et les réparer, emprunter des vêtements à des amis ou à la famille sont autant de solutions qui fonctionnent pour Greta, mais qui peuvent ne pas suffire pour d’autres. « Bien sûr, je comprends que pour certaines personnes, la mode joue un rôle important dans l’expression de leur identité », reconnaît-elle dans son interview à Vogue. « Mais c’est justement parce que la mode est une partie de l’identité des gens qu’elle doit changer. Si l’industrie de la mode veut avoir un bel avenir, elle doit tenir compte des souhaits des clients et des limites de notre planète. C’est cela la vraie durabilité. »

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« L’industrie de la mode a un impact considérable sur le climat et l’environnement, sans parler de son impact sur les innombrables travailleurs et communautés du monde entier qui sont exploités au profit de la fast fashion, que beaucoup considèrent comme jetable ». Le concept de fast fashion, que Greta décrit dans l’article comme polluant et non éthique, est né dans les années 1980 grâce à la mondialisation. Elle fait référence à la production rapide de vêtements bon marché dans les pays à bas salaires. Les chaînes de fast fashion proposent constamment de nouvelles collections à bas prix. Aujourd’hui, il existe même des marques de mode ultra-fast fashion, telles que Shein, Missguided, Boohoo et Fashion Nova. Ces marques sont encore moins chères et produites encore plus rapidement. Mais de nombreuses marques « normales » ou même haut de gamme sont coupables de produire dans des usines douteuses dans des pays comme le Bangladesh, le Vietnam, l’Éthiopie et la Chine. Dans ces usines, les travailleurs ne reçoivent pas un salaire décent et travaillent dans des conditions dangereuses. On y ignore aussi l’impact sur l’environnement. L’une des raisons de ces méthodes de production contraires à l’éthique est une chaîne d’approvisionnement complexe, où la transparence sur les sous-traitants est insuffisante. Ils suivent en cela le principe de ce qu’on ignore ne peut pas nous faire de mal.

Greenwashing

« Ils sont nombreux à donner l’impression que l’industrie de la mode commence à prendre ses responsabilités, en dépensant au passage d’énormes sommes d’argent pour des campagnes qui se présentent comme « durables », « éthiques », « vertes », « climatiquement neutres » ou « équitables ». Mais soyons clairs : il s’agit presque toujours d’un pur écoblanchiment. Il est impossible de produire des vêtements en masse ou de consommer « durablement » comme le fait le monde actuel. C’est l’une des nombreuses raisons pour lesquelles nous aurons besoin d’un changement de système », explique Greta.

La jeune activiste climatique fait ainsi référence aux collections durables des chaînes de fast-fashion, aux programmes de recyclage qui ne concernent qu’une petite partie des collections ou à d’autres tentatives d’assainissement de la chaîne. Parfois, les marques investissent beaucoup d’argent dans certaines innovations écologiques, mais leurs efforts sur le plan éthique laissent beaucoup à désirer. Non pas qu’ils ne doivent rien faire, mais en fin de compte, Greta a raison de dire que les énormes quantités de vêtements neufs produits à bas prix restent problématiques, même si un pour cent d’entre eux est fabriqué à partir de textiles recyclés.

En ce sens, les marques et les entrepreneurs de mode qui ralentissent leur production et examinent véritablement leur chaîne de A à Z pour se lancer véritablement dans l’économie circulaire méritent davantage de félicitations.

Rationnel

Tom Pattinson, le journaliste qui a interviewé Greta, répète souvent dans son article qu’elle est sympathique, joyeuse et calme. « Je ne vois pas une petite fille en colère. Au lieu de cela, il y a une jeune femme joyeuse et confiante en face de moi. Greta est vraiment une nana cool. »

Cet éloge de la personnalité agréable de Greta est probablement une sorte de lubrifiant pour mieux faire passer ses opinions critiques. Elle a été assez souvent dépeinte comme une jeune femme hystérique alors qu’elle parlait et débattait objectivement de manière beaucoup plus calme que certains hommes plus âgés qui la houspillaient sans retenue (comme Trump par exemple). Greta dit qu’elle essaie de faire face aux critiques de manière rationnelle. « Je ne suis pas attristée par les personnes qui m’attaquent. J’essaie de voir les choses de leur point de vue et de faire preuve d’empathie pour comprendre pourquoi ils font ce qu’ils font ».

La publication de l’interview de Greta a lieu la même semaine que le lancement du rapport du GIEC sur le climat, qui avertit que, sans une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre au cours des prochaines décennies, le réchauffement de la planète dépassera facilement 1,5°C, voire 2°C, au cours de ce siècle. Le statu quo ne suffira pas. Pas même dans le secteur de la mode.

Optimisme

« C’est du blabla négatif et fataliste », entend-on souvent lorsque des études de ce type sont publiées. Pourtant, pour Greta, il y a une sorte mythe qui prévaut à propos des militants. Surtout en ce qui concerne les activistes climatiques. « Les gens semblent penser que nous sommes des pessimistes, des gens négatifs qui veulent juste se plaindre et répandre la peur. C’est le contraire qui est vrai. Nous faisons tout ce que nous faisons parce que nous avons de l’espoir. Nous sommes optimistes quant à la possibilité de réaliser ces changements », a-t-elle déclaré à Tom Pattinson dans Vogue.

Il est cependant tout simplement impossible de présenter un rapport alarmant sur le climat d’une manière gaie et agréable. C’est écrit noir sur blanc : les choses ne vont pas bien et nous devons agir. Est-ce du « porno de la peur », comme le disent les critiques ? Non, il s’agit simplement d’être réaliste et d’appeler à agir. Les scientifiques et les militants ne tiennent pas ces propos parce qu’ils pensent qu’ils ont une quelconque supériorité morale, mais par souci réel de notre avenir commun.

« Certains pensent que nous sommes naïfs parce que nous croyons que nous pouvons changer le monde, mais si nous sommes assez nombreux, nous le pouvons vraiment », déclare Greta.

On n’arrête pas de prendre l’avion, de consommer ou de manger des produits d’origine animale simplement parce qu’on veut réduire son empreinte carbone personnelle. Cela peut être une des motivations, mais pour moi et la plupart des gens que je connais, ce n’est pas la raison principale. Nous faisons tout cela parce que nous voulons avoir un impact sur notre environnement. En agissant ainsi nous voulons surtout indiquer que nous sommes dans une situation de crise et que dans une telle situation, on ajuste son comportement. Lorsqu’une personne commence à modifier son comportement, il y a un effet boule de neige. L’idée se propage et les gens commencent à réfléchir.

Allons-nous sauver le monde en faisant des choix conscients en tant qu’individus ? La réponse n’est pas un « oui » ou un « non » sans équivoque, mais ensemble – en tant que citoyens – nous sommes puissants. Un message devient assourdissant lorsqu’il provient de millions de bouches. Il n’est peut-être pas de notre responsabilité individuelle de mettre des systèmes comme l’agriculture ou l’industrie de la mode sur la bonne voie, mais nous pouvons le demander en le disant, mais aussi en modifiant nos comportements d’achats.

Quelques chiffres

Le cabinet de conseil McKinsey & Co. et le Global Fashion Agenda ont publié le rapport « Fashion on Climate » en août 2020. Ils ont calculé qu’en 2018, le secteur de la mode était responsable de quatre pour cent des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit environ autant que le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France réunis.

L’impact climatique de l’industrie de l’habillement et de la chaussure a augmenté de 35 % entre 2005 et 2016, selon Milieucentraal.

En 2015, pas moins de 79 milliards de mètres cubes d’eau ont été nécessaires pour fabriquer des vêtements. Pas mal quand on sait qu’il faut en moyenne 10 000 litres d’eau pour produire un kilo de coton.

Le travail des enfants est encore d’actualité dans l’industrie textile, et les travailleurs des pays à bas salaires ne peuvent compter sur un salaire décent.

Le fait que le concept de la fast fashion incite les gens à acheter de plus en plus, est également étayé par des chiffres. Une étude McKinsey de 2016 montre qu’entre 2000 et 2014, les achats de mode par habitant ont augmenté de soixante pour cent.

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