L’empire Costes, retour sur une success story familiale

Une sculpture monumentale de Xavier Veilhan perce le plafond du Germain. © © Benjamin Loyseau

Devenue incontournable sur la scène nocturne parisienne, la famille est à la tête de brasseries, restaurants, hôtels et boîtes de nuit arty qui attirent la jet-set internationale. Retour sur cette success-story avec l’un des membres du clan, Thierry Costes.

Le Georges, restaurant sculptural sur le toit du Centre Pompidou ; le Marly, élégant café au Louvre ; ou le Costes, hôtel baroque de la rue Saint-Honoré : les établissements du  » clan Costes  » incarnent autant le chic parisien que les Champs-Elysées ou la place Vendôme.

Cette année, la famille exporte son savoir-faire et sa notoriété au Louvre Abu Dhabi, dessiné par Jean Nouvel. Néanmoins, si ses réussites commerciales sont largement commentées, la tribu a plutôt tendance à fuir les médias. En témoigne notamment Beaumarly Paris, un livre sur son empire, qui paraîtra en juin prochain (*). On peut y lire des essais de l’architecte Christian de Portzamparc, de l’artiste Xavier Veilhan et d’autres créatifs.

Le Georges de Jakob + MacFarlane au Centre Pompidou, un défi de taille.
Le Georges de Jakob + MacFarlane au Centre Pompidou, un défi de taille.© © Benjamin Loyseau

Mais les magnats de l’horeca, eux, ont choisi le silence : aucune photo personnelle n’alimente les pages.  » Notre intention n’est pas de cultiver le mystère, assure Thierry Costes (42 ans), chef de file de la deuxième génération, dans la superbe brasserie du Thoumieux, un luxueux hôtel-boutique situé près de la tour Eiffel. Nous tenons simplement à notre vie privée. Et pour comprendre comment nous travaillons, il suffit de regarder nos réalisations, nées d’influences croisées avec des concepteurs de tous bords. Nous préférons leur laisser la parole.  »

Intuition

La conquête des Costes débute à la fin des années 60, lorsque Gilbert – le père de Thierry – et son frère Jean-Louis quittent leur village natal de Saint-Amans-des-Côts, dans l’Aveyron, pour la capitale. Ces fils de paysans, âgés de 18 et 19 ans, n’ont d’autre bagage que les bons conseils de leur mère Marie-Joseph, qui tient une table d’hôte à la maison. Jean-Louis devient apprenti cuisinier et étudie la gestion hôtelière, tandis que son frangin travaille comme serveur tout en suivant des cours de droit.

Dès les années 80, le duo mise sur la rénovation. Jean-Louis achète, en 1984, un bar près des Halles et demande à Philippe Starck, encore inconnu, de le redessiner. L’intérieur avant-gardiste, le personnel habillé tendance et le menu sans chichis feront le succès de ce Café Costes. Trois ans plus tard, Gilbert, lui, ouvre le Café Beaubourg en face du Centre Pompidou. La contribution de Christian de Portzampac et la large terrasse portent leurs fruits : le lieu devient un pôle d’attraction pour les artistes et les figures de la mode. Il confirme aussi l’intuition du tandem selon laquelle les Parisiens ont besoin d’endroits où l’on peut voir et être vu.  » Si la déco de votre établissement est soignée, vous attirerez une clientèle qui l’est tout autant « , analyse notre interlocuteur.

Le théâtral Café Ruc, signé par le décorateur Jacques Garcia.
Le théâtral Café Ruc, signé par le décorateur Jacques Garcia.© © Matt Guegan

Au début du nouveau millénaire, une quarantaine d’adresses figurent au palmarès de la fratrie. Ils exploitent eux-mêmes les lieux les plus prestigieux. Dans le même temps, ils imaginent les établissements d’autres membres de la famille, tout en investissant dans les projets d’amis ou d’anciens salariés. Mieux : ils monnayent leur nom en produits dérivés : parfums, bougies odorantes et compilations Hôtel Costes, remixées par Stéphane Pompougnac.

Risques

 » Mon père et Jean-Louis ont été à plusieurs reprises au bord de la faillite. Ils ont dû s’endetter pour faire face à ces lourds investissements, et leur penchant pour l’innovation les a souvent poussés à prendre des risques. Jusqu’au milieu des années 90, je les ai vus en baver. A la maison, on ne s’entourait pas de luxe ; on devait vivre dans la sobriété « , nuance Thierry Costes.

Thierry Costes
Thierry Costes© Kevin Faingnaert

Ce dernier entre en scène en 1999, après la nomination de son père au poste de président du Tribunal de commerce de Paris.  » Comme il ne pouvait pas être à la tête d’une entreprise, j’ai travaillé aux côtés de mon oncle. Cette décision s’est imposée comme une évidence. Ado, je bossais comme serveur au Café Beaubourg, et pendant mes études de droit, j’étais déjà le manager d’un restaurant à la Cité de la Musique.  » Son baptême du feu ? L’inauguration du Georges au Centre Pompidou en 2000.  » Aucun exploitant n’osait tenter l’aventure. Un quartier qui n’avait rien de chic, une table au sixième étage, sans aires de stationnement et de livraison – les obstacles ne manquaient pas.  »

Liberté

La collaboration entre les différents membres de la lignée fut précieuse, insiste Thierry Costes.  » Chacun a toujours poursuivi et géré ses propres projets en toute autonomie. Une brasserie ou un hôtel, c’est une petite entreprise en soi. C’est peut-être pour cela que nous fonctionnons comme une entreprise familiale : parce que nous respectons la liberté de chacun et que nous ne devons pas décider de tout ensemble.  »

Pourtant, les chemins des frères Costes se séparent en 2009. Jean-Louis conserve l’hôtel Costes, tandis que Gilbert s’occupe des restaurants. Beaumarly, le groupe que Gilbert et Thierry ont fondé cette même année et qui n’a cessé de s’étendre depuis, gère désormais quelque vingt-cinq brasseries, restaurants, hôtels et boîtes de nuit. La plupart de ces établissements doivent leur existence au fils Costes, à qui les observateurs attribuent l’intérêt du groupe pour les quartiers en plein essor et la génération bobo. L’exemple par excellence, c’est l’hôtel Amour, dont l’audace fait des merveilles à Pigalle, et qui propose 24 chambres d’artistes à un prix abordable – du moins pour une signature Costes. L’homme refuse néanmoins de se voir comme la nouvelle locomotive de la société :  » Mon père est tout aussi vif et visionnaire qu’autrefois, et il a beaucoup plus de souffle que moi.  »

Habillage

Un fil conducteur traverse pourtant toutes ces adresses branchées : le style. Les Costes accordent une attention presque obsessionnelle au design et aux détails. Chaque esquisse de table, de chaise ou de lampe est un travail de précision. Même le couteau pliant du groupe Beaumarly, conçu par le studio graphique parisien M/M, est devenu un article très recherché.  » Un restaurant qui se respecte choisit avec soin son service et son linge de table, sans laisser l’éclairage et la musique au hasard, justifie Thierry Costes. Même les chaînes bon marché en font autant. Et si les décorateurs étaient autrefois de vrais indépendants, aujourd’hui, ils s’entourent d’un directeur artistique, de graphistes et de stylistes. Est-ce nécessaire pour le consommateur ? Oui, car celui-ci possède un regard bien plus averti et exigeant qu’avant.  » L’entrepreneur va même plus loin, comparant la conception des établissements horeca tantôt au travail d’un cinéaste passant d’un genre à l’autre, tantôt à l’habillage d’une scène de théâtre. L’homme invoque même l’urbanisme :  » Un café, c’est comme une ville avec ses boulevards centraux et ses places, ses rues latérales, ses perspectives et sa circulation. « 

Excitation

Les esprits créatifs, comme les architectes Jakob + MacFarlane (pour le Georges) ou l’architecte d’intérieur Jacques Garcia (hôtel Costes, Café Ruc, Le Matignon) ont passé le relais en 2009 à de nouveaux noms.

Le Café Français, pour lequel India Mahdavi a créé des sièges sur mesure.
Le Café Français, pour lequel India Mahdavi a créé des sièges sur mesure. © © Matthieu Salvaing

Notamment India Mahdavi, avec qui le cadet du clan a créé cinq établissements. La designer a baptisé ses fauteuils sur mesure Julia Marie (pour Le Germain) et Eva Gabriela (pour le Café Français, sur la place de la Bastille) en hommage à ses deux premiers enfants. Des artistes français ont également été appelés : Pierre Huyghe et Philippe Parreno ont imprimé leur marque sur la brasserie Etienne Marcel, et une sculpture démesurée de Xavier Veilhan crève littéralement le plafond du Germain.  » Collectionner de l’art chez moi, ça ne me dit rien, reconnaît-il. En revanche, j’apprécie de le faire dans nos restaurants et nos hôtels, parce qu’il s’agit d’oeuvres nées d’une rencontre ou de discussions. Le marketing n’y est pour rien. Ce qui est déterminant, ce sont des échanges de vues stimulants et l’intuition qui pousse à collaborer avec un artiste.  »

Institution

La famille a donc changé fondamentalement les règles du jeu dans le secteur, s’attirant à la fois louanges… et critiques. Trop de spectacle, trop d’éléments qui flattent les sens – sauf le goût -, des plats sans âme vaguement influencés par une cuisine fusion soi-disant audacieuse : le flot de commentaires assassins ne tarit pas.  » On ne peut pas plaire à tout le monde, réagit Thierry Costes. D’ailleurs, les critiques ne nous visent pas toujours personnellement : notre approche a été à ce point copiée que les gens ne savent plus quels établissements sont les nôtres. Quoi qu’il en soit, si nous sommes dans le métier depuis quarante ans, c’est peut-être parce que cela nous réussit. Du reste, un café aussi fréquenté que le Beaubourg n’est plus à la mode, c’est tout simplement un endroit où les gens aiment revenir. Une institution, tout comme le Café de Flore sur le boulevard Saint-Germain.  »

Thierry Costes est plus compréhensif envers les reproches culinaires :  » Le problème vient en partie du fait que les nouveautés que nous avons introduites à l’époque se sont, depuis, généralisées dans la cuisine de brasserie. Le défi consiste donc à continuer à innover. Mais nous montrons que nous ne nous endormons pas sur nos lauriers, notamment à l’hôtel Thoumieux, qui dispose aussi bien d’une brasserie créative que du restaurant 2-étoiles Sylvestre. Il n’y a pas de style Costes : nous jouons sur plusieurs registres, et la cuisine d’un établissement n’est pas celle d’un autre.  »

Parade

L’internationalisation de l’empire constitue un autre défi. Après l’ouverture d’un grand café et d’un restaurant au Louvre Abu Dhabi, le businessman se verrait bien lancer un projet à Bruxelles,  » la ville la plus parisienne après Paris, et la seule que les Parisiens peuvent comprendre « . En arrière-fond, se dessine la nécessité de diversifier le risque, reconnaît-il. Non pas pour affronter de nouvelles crises économiques –  » un bon entrepreneur trouve la parade  » -, mais à cause de la menace terroriste, plus imprévisible.  » Les Parisiens ont du ressort. Les activités ont vite repris après les attentats de novembre 2015, et même les endroits touchés tournent comme jamais auparavant. Mais depuis, je me rends bien compte de mon impuissance face à ce type d’événement. Autrefois, il ne me serait pas venu à l’idée d’exercer mes activités ailleurs qu’à Paris.  »

L’heure du changement aurait-elle donc sonné ? Sans doute. Et ce, même si la famille tient à garder le contrôle sur l’entièreté de son univers, c’est-à-dire en ayant tout à proximité.  » C’est parfois plus fort que moi, avoue le gestionnaire. Veiller sur la qualité, ce n’est pas comme appuyer sur un bouton. Quand vous invitez des amis à manger chez vous, vous mettez tout en oeuvre pour ne pas les décevoir. Voilà comment je considère les clients de nos brasseries et de nos hôtels : ils sont là comme chez moi.  »

* Beaumarly Paris, Assouline, en librairie en juin prochain.

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