L’illustration est morte, vive l’illustration!

© DRAWBERTSON
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Après être tombé en désuétude face à l’hégémonie de la photo, le dessin a retrouvé toute sa place auprès des marques et des créateurs. Avec, à sa tête, une nouvelle génération d’auteur(e)s prêt(e)s à sortir les griffes.

L’ illustration de mode ?  » Une notion assez floue, quelque chose comme la plus petite unité de l’élégance. L’expression à la fois la plus subtile et la plus complexe de l’ensemble du design, de la tendance, du tissu, de la texture, de l’attitude, de la sociologie…  » Cette définition, la discipline la doit à l’Espagnole Carmen Garcia Huerta, considérée par les éditions Taschen comme l’un des cent meilleurs illustrateurs du monde, toutes tendances confondues. Et une des rares à vivre actuellement pleinement de ses dessins fashion, qu’ils soient chics et commerciaux, au service des plus grandes marques, ou teintés d’imperfection dans ses productions plus personnelles. D’autant qu’aujourd’hui, son métier semble vivre un nouvel âge d’or, les griffes et la presse se disputant ces artistes au trait si parlant. Une renaissance marquée par les réseaux sociaux et les techniques picturales les plus modernes, après des décennies passées sous le règne de la photographie.

L'illustration est morte, vive l'illustration!
© RENÉ GRUAU – DR

Aux origines, mode et dessin étaient intimement liés. Dès le XIXe siècle, lorsque Paris s’affirme comme la capitale du style, et que les revues se multiplient, l’illustration est le seul vecteur de communication et de visibilité des créateurs de vêtements ou d’accessoires. Paul Iribe ou Giovanni Boldini seront ainsi les véritables stars du genre au début du XXe, sous un trait forcément Art nouveau. Devenu un véritable art pictural, le secteur aura le vent en poupe durant plusieurs décennies, jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. L’école française règne alors sur le genre et les magazines tels que Vogue, Harper’s Bazaar ou Femina ne jurent plus que par les Erté, René Bouché, René Bouët-Willaumez ou Drian, qui sont parvenus à assimiler les courants artistiques du moment, de l’expressionnisme au surréalisme, qu’ils insufflent dans leurs dessins, voués pour l’essentiel à la haute couture. L’avènement de la photographie mettra un terme, brutal, à ce terreau d’une rare fertilité.

Révolution digitale

Adieu René Bouché, René Gruau ou Paul Iribe ; bonjour Richard Avedon ou Irving Penn. Dans les années 60, les stars de la mise en boîte remplacent brutalement les vedettes à la mine affûtée. Même un certain Andy Warhol préfère laisser tomber le crayon après quelques illustrations dans Glamour… Le dessin de mode se réfugie alors dans la publicité, la lingerie ou les accessoires, en attendant des jours meilleurs. Et il faudra la succession de plusieurs révolutions pour mettre fin, avec l’entame d’un nouveau millénaire, à trente années de monopole. Révolution sociologique d’abord : le dessin s’est féminisé ces dernières années, presque la moitié des auteurs sont désormais des femmes. Technologique ensuite, l’ordinateur ayant ouvert le champ des possibles en matière de graphisme, parallèlement à l’avènement des réseaux sociaux et du  » tout-à-la-com’  » qui a profondément bouleversé le rapport entre les artistes et le public. Des auteures françaises comme Margaux Motin ou Pénélope Bagieu se sont ainsi d’abord fait remarquer par leurs blogs avant d’être repérées par les labels et enfin, les éditeurs. Aujourd’hui star de la BD française, Pénélope Bagieu a ainsi collaboré, dès 2009, avec Etam pour la création d’une mini-collection de lingerie. Des marques qui trouvent aujourd’hui dans le dessin le meilleur des vecteurs pour faire parler d’elles autour de  » leurs valeurs  » ou de  » leurs univers « , plutôt que par une allusion frontale à leurs produits. A ces changements de paradigmes s’ajoutent aussi un doux mélange des genres, dans lequel votre réseau vaut au moins autant que votre talent, et qui voit les nouveaux illustrateurs se partager sans états d’âme entre presse, marques et travaux personnels, mais toujours avec Instagram ou Facebook comme principales cartes de visite.

Un secteur concurrentiel

La Belgique, terre historique de l’illustration et de la bande dessinée, n’est évidemment pas en reste. Dans un pays où la formation au dessin est l’une des plus développées d’Europe et du monde, il n’est que logique de voir apparaître de nombreux illustrateurs, mais surtout de nombreuses illustratrices, bien décidé(e)s à en faire, si pas leur seul métier, la plus importante corde de leur arc. Séverine Piette confirme :  » Ça fait quelques années que cette technique est en plein boom dans la presse et le secteur de la mode. C’est évidemment lié aux technologies numériques : c’est devenu assez simple de montrer son travail et d’avoir une visibilité internationale. Etre présent sur Instagram ou Facebook, c’est vraiment le minimum ! Mais la concurrence est rude et c’est souvent les marques qui viennent vous chercher, pas le contraire : elles ont une idée très précise des styles qui peuvent leur correspondre. « La jeune femme fait en tout cas partie de cette légion de  » newcomeuses  » bruxelloises décidées à poser leur empreinte sur la discipline.

Achraf & others

L'illustration est morte, vive l'illustration!
© LAURA LOUIS

On le voit, notre capitale, et la Belgique plus généralement, ne manquent pas de « newcomeuses » dans ce secteur si particulier de l’illustration de mode. Ainsi Laura Louis, récente gagnante d’un concours Web avec ses dessins pop mêlant crayons et tablettes, ou Valentine De Cort, qui, avec ses petits croquis proches du cartoon, multiplie désormais les publications dans la presse mais décore aussi les vitrines de Delvaux ou répond aux commandes de Nespresso.

L'illustration est morte, vive l'illustration!
© Achraf Amiri

Beaucoup de jeunes femmes donc, et de temps en temps, un mec : le plus remarquable des jeunes Bruxellois reste aujourd’hui certainement Achraf Amiri, boule d’énergie destroy, désormais installé à son propre compte à Londres et fondateur d’un nouveau magazine 100 % mode, tendance et dessin portant parfaitement son nom : Illustrashion ! Soit « 120 pages d’illustrations exclusives, réalisées en collaboration avec la crème internationale de l’industrie de la mode, musicale et créative ». On y découvre ainsi des portraits ou rencontres avec l’actrice Rose McGowan, le top transgenre Yasmine Petty ou le groupe punk des Savages, entre les dessins de l’auteur, tout en couleurs criardes, corps longilignes et vedettes, de Lady Gaga en Versace à Kardashian en Balmain en passant par Madonna en Givenchy.

www.achrafamiri.com

Séverine Piette

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© Olivia Garcia Comorera

« Il faut aimer ce qu’on illustre. Nous sommes toutes des passionnées. » Séverine Piette sait de quoi elle parle, et son parcours symbolise bien cette génération d’illustratrices fashion, belges et investies.

L'illustration est morte, vive l'illustration!
© Illustration: Séverine Piette

Folle de dessin dès sa petite enfance, fréquentant les écoles d’art communales de la capitale de 6 à 22 ans, Séverine obtient son diplôme en communication à l’ULB avant d’apprendre le stylisme à Saint-Luc, tout en continuant l’académie.

Aujourd’hui attachée de presse dans une fameuse agence de com’ bruxelloise branchée lifestyle, elle passe ses nuits et ses week-ends à croquer pour la presse et parfois pour des griffes. Celle qui illustra notre shooting joaillerie, dans Le Vif Weekend du 2 décembre dernier, jongle élégamment avec l’aquarelle et le dessin réaliste et impose peu à peu son univers, protéiforme mais à suivre.

www.instagram.com/severinepiette/

Melanie Gregoire

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© Melanie Gregoire

Preuve s’il en est que l’illustration lifestyle est aujourd’hui ouverte à tous les styles : la jeune Melanie Gregoire, bruxelloise et autodidacte, se revendique du courant artistique Memento Mori, vieux comme l’Antiquité et signifiant littéralement « Souviens-toi que tu vas mourir ».

L'illustration est morte, vive l'illustration!
© MELANIE GREGOIRE

Elle pratique donc, depuis quatre ans, le dessin mais aussi la photographie, la typographie, voire la vidéo pour suggérer le temps qui passe, la vanité des hommes et notre inévitable mortalité… Formée elle aussi au graphisme à l’école supérieure des arts de Saint-Luc à Bruxelles, l’artiste s’inspire de la botanique et de l’époque victorienne pour exprimer, d’un trait fin mais d’un grand réalisme, la dégénération des végétaux et la beauté des fleurs fanées. Un univers atypique et très personnel qui aime à rendre le laid beau et qui commence à attirer regards et commandes.

www.melaniegregoire.be

Mado Berthet

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© Mado Berthet

Encore une (très) jeune pousse, à peine sortie, elle aussi, de Saint-Luc, option Illustration. A 21 ans, la Bruxelloise Mado Berthet se lance avec autant d’enthousiasme que de talent dans le dessin et le graphisme.

L'illustration est morte, vive l'illustration!
© MADO BERTHET

Aussi à l’aise avec les techniques picturales artisanales (gouache, acrylique, aquarelle, fusain, gravure et brou de noix) qu’avec les outils informatiques devenus inévitables dans le métier (d’InDesign à Photoshop), Mado a déjà réalisé des oeuvres pour le Musée d’Ixelles et des livres, mais c’est avec ses dessins de mode qu’elle impressionne le plus – de véritables tableaux chargés en matière et en couleurs, quand elle ne s’essaie pas aux collages – et qui matchent parfaitement, par exemple, avec l’univers punk et bariolé d’une Vivienne Westwood. Une maturité picturale peu commune à son âge, qui devrait lui assurer un avenir a priori très fashion.

http://mado-b.wixsite.com/mado-illustrations

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