« La culture, ce n’est pas seulement Cécile de France, Benoît Poelvoorde ou Angèle »

© FRÉDÉRIC RAEVENS
Mathieu Nguyen

Comédien et président de l’Union des Artistes, Pierre Dherte monte au créneau pour défendre le secteur culturel, notamment via le soutien au Fonds Sparadrap ou encore à l’initiative No Culture No Future.

La culture, ce n’est pas seulement Cécile de France, Benoît Poelvoorde ou Angèle. C’est bien sûr eux mais aussi 220.000 personnes qui travaillent au quotidien. La crise actuelle nous interroge: que choisit-on de mettre en valeur? On parle d’un secteur économique florissant, de 5% de notre PIB, du troisième plus grand pourvoyeur d’emplois au niveau européen. Mais surtout, la culture et les arts demeurent une sacré nécessité pour la bonne santé d’une démocratie en général, au même titre que l’enseignement ou la santé, justement. La culture empêche les consciences de s’endormir et elle réveille les neurones! Elle peut aussi divertir tout simplement.

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Il y a un déficit démocratique au niveau économique et sociétal pour le moment. Que convient-il de sauver? Brussels Airlines, avec 290 millions d’euros pour sauver 1000 emplois? Et notre secteur? Aujourd’hui, près de 93% de nos activités sont à l’arrêt. Après deux mois de confinement, c’est à peine si on évoque le secteur culturel au Conseil National de Sécurité. Je fais un appel à la RTBF – qui vient de libérer 8 millions pour soutenir la culture. Je lui demande de consacrer aussi toute l’année plus de temps d’antenne à nos artistes, créateurs, auteurs, techniciens. France Inter avait programmé une journée entière, « Culture, état d’urgence ». Chez nous, c’est 3 minutes juste avant la pub et la météo.

L’enseignement, la culture et la santé sont les fondements d’une société. On l’a vu aux balcons, quand on applaudissait les soignants. Les maîtres du monde changeaient de camp. Mais ce geste nous a aussi rappelé combien les soignants étaient mal considérés, dans leurs priorités et leurs insatisfactions adressées aux pouvoirs publics sans réponse satisfaisante bien souvent. Que ferions-nous sans école, sans pompiers, sans médecins? Et sans culture? Tout un pan de la démocratie prend évidemment un coup dans l’aile quand la culture va mal. Par ailleurs notre production culturelle est reconnue à l’international. On est présent dans tous les festivals, on est à Avignon, Cannes, aux Oscars… Regardez, il y a cinq ans, il n’y avait pratiquement pas de séries belges. Alors pourquoi le gouvernement fédéral semble-t-il nous accorder si peu d’importance?

Ça fait vingt ans qu’on nous interroge sur le statut de l’artiste. J’ai connu trois états généraux de la culture. Bien souvent c’est une montagne qui accouche d’une souris. Depuis plus de vingt ans, nous répétons les mêmes choses: pas de « statut » digne de ce nom, pas de compréhension de nos réalités ni de nos spécificités. Ces débats n’ont jamais vraiment abouti à faire bouger les lignes. Et quand on parle de « remettre l’artiste au centre », celui-ci n’en demeure pas moins toujours en périphérie. Et voilà qu’à nouveau on reparle subitement de remettre « la culture au centre » avec un grand plan de sauvetage national? Et pour la fin de l’été s’il vous plaît! Beaucoup savent déjà qu’il faudra aussi user du « copier-coller » avant de vouloir réinventer! Remettons déjà la culture au coeur de la crise actuelle, cette dernière étant loin d’être derrière nous.

Chaque euro investi dans la culture en rapporte 1,6. Avez-vous déjà compté le nombre de personnes impliquées au générique d’un film? Parfois on est obligé d’accélérer ces génériques tellement ils sont longs! Et toutes ces personnes, il faut les loger, les nourrir, les faire voyager, etc. Ce n’est pas pour rien que l’on parle d’industrie culturelle car c’est en effet une véritable économie. Les chiffres le prouvent: nous sommes un secteur d’activités florissant. Par ailleurs nous sommes loin d’être des privilégiés. Il faut parfois le rappeler: nous alimentons les caisses de la sécurité sociale et comme tout citoyen, tantôt nous cotisons pour les autres, tantôt nous en bénéficions.

L’idée du Fonds Sparadrap n’est pas de se substituer à l’Etat. Et No Culture No Future est une initiative à laquelle participe l’Union des Artistes, qui défend une liste de mesures prioritaires d’urgence et de redéploiement à considérer pour le fédéral, la FWB et les régions. Quant au Fonds Sparadrap, nous avons décidé d’entreprendre une action solidaire visant à venir en aide aux artistes et aux techniciens. Notre souhait est de soutenir, avec des micro-aides, les plus précarisés par la crise. On va aider les gens à notre mesure, on espère que les pouvoirs publics le feront à la leur. Une culture exsangue entraîne une société totalitaire: si la culture n’a plus de moyens propres, ses moyens seront ceux de l’Etat, qui décidera à qui donner la parole et n’aura plus de contre-pouvoir.

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