Mathieu Nguyen

Le Brexit, la croix et la bannière

Un événement récent remis en perspective à l’aide de références historiques ou pop culture, de mauvaise foi occasionnelle et d’une bonne dose de désinvolture.

D’après l’agence financière Bloomberg, le coût économique du Brexit atteindra les 200 milliards de livres aux derniers jours de 2020. Détail qui pique : cette note rondelette dépasse la contribution nette du Royaume-Uni à l’Europe depuis son adhésion en 1973. Bien sûr, on peut discuter la méthodologie du calcul, mais quoi qu’on trouve à y redire, la prédiction a de quoi troubler plus d’un flegme – et même si Bloomberg s’était largement planté, pas besoin d’avoir fait Solvay pour augurer une quantité pharaonique de contrariétés.

On avait même franchement hésité à encore traiter du Brexit, partagés entre 1) l’empathie envers ses victimes, 2) la flemme de recenser les tartuferies à railler, et 3) une certaine réticence à tirer sur une ambulance déjà à l’arrêt, voire posée sur quatre parpaings puis incendiée. Un sinistre total qui ne manque pas d’évoquer l’état de délabrement du système de santé publique outre-Manche ; au vu des pénuries annoncées de personnel ou de médicaments, on prendra bientôt la croix de saint Georges pour un signal de détresse adressé à la Croix-Rouge d’Henry Dunant.

Profitons de cette douteuse allégorie médicale pour nous livrer à une séance d’héraldique de comptoir : de ces deux croix rouges sur fond blanc, si la première fut imaginée en hommage à la Suisse – nation peu europhile par ailleurs -, celle de saint Georges révèle une origine plus tortueuse. Hautement symbolique hier comme aujourd’hui, elle mérite qu’on s’y intéresse un instant – ne minimisons pas l’importance des symboles et des couleurs, alors même que l’un des rares accomplissements effectifs du Brexit s’est matérialisé par le retour aux précieux passeports bleu foncé. En toute (vexillo-)logique, on suppose en outre que, si un jour l’Ecosse décide de se faire la malle, elle laissera le Royaume désuni. Et l’Angleterre agrippée à son drapeau bicolore, suite à la dislocation d’un Union Jack qu’on avait bêtement cru éternel.

La banniu0026#xE8;re dans laquelle ils aiment tant se draper fut supposu0026#xE9;ment imposu0026#xE9;e par un roi aquitain incapable de parler anglais.

Mais d’où vient-elle à la fin, cette Saint George’s Cross ? Elle remonte au XIIe siècle, époque durant laquelle l’Etat insulaire commerçait volontiers avec le continent, notamment avec la puissante République de Gênes. Des navires marchands britanniques battaient le pavillon de la Sérénissime, blanc à croix rouge donc, pour faire leur petit business en Méditerranée sous la protection de la flotte du doge. Il faut croire que ce qui n’était encore que la croce di San Giorgio leur a plu, puisque l’Albion tout entière se l’est ensuite appropriée au fil des siècles – la légende prétend que Richard Coeur de Lion himself a profité de sa croisade pour faucher définitivement à la fois l’étendard et le saint patron génois. Devenue malgré elle l’emblème préféré des nationalistes à poils courts, cette glorieuse étoffe a également été récupérée par les plus ardents Brexiters. On pourrait tester leur proverbial sens de l’ironie en rappelant que la bannière dans laquelle ils aiment tant se draper fut supposément imposée par un roi aquitain incapable de parler anglais, qu’elle honore un saint né dans l’actuelle Turquie, et rappelle un accord historique visant à faciliter les déplacements et échanges commerciaux entre l’Angleterre et l’Europe.  » Nul homme n’est une île « , avait mis en garde le poète londonien John Donne. Il est malheureusement un peu tard pour s’en souvenir.

mathieu.nguyen@levif.be

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