Mathieu Nguyen

Ôde aux Bisounours par temps de coronavirus

Un événement récent remis en perspective à l’aide de références historiques ou pop culture, de mauvaise foi occasionnelle et d’une bonne dose de désinvolture.

A la recherche d’un sujet à traiter, on avait eu l’attention attirée par quelques infos assez cocasses relatives à la peste noire, qu’il aurait peut-être été intéressant de mettre en parallèle avec l’un ou l’autre événement plus récent. Une idée comme une autre, rapidement tempérée par l’intervention d’un collègue, qui suggéra  » Tu parlerais pas plutôt de Bisounours ou de chats ? « , manière polie de m’orienter vers des thématiques moins buboniques. A raison, sans doute. Le recours aux chatons et autres mini-félidés pour éluder les plus désagréables aspects de la réalité, c’est même devenu l’une de nos spécialités. En novembre 2015, lors du lockdown de Bruxelles, les internautes belges avaient en effet saturé les réseaux sociaux de boules de poils afin d’éviter d’interférer avec les opérations policières en cours – une initiative pas banale, qui avait démontré notre résilience et notre sens de l’humour, dont les médias du monde entier s’étaient fait l’écho. A première vue, nos amis les chats partaient donc clairement avec une longueur d’avance sur les Bisounours, personnages dont la bonhomie un peu niaise ne semblait pas d’un grand secours face à l’adversité.

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Créés en 1981 par l’illustratrice Elena Kucharik, les oursons colorés peuplaient initialement une série de cartes de voeux à succès, avant d’être transposés en série TV dont l’unique objectif était de vendre des camions-bennes de jouets, comme à peu près toute la production animée des années 80.

Depuis, ils ont disparu, sont revenus, mais leur persistance dans le langage courant s’explique surtout par leur qualité d’insulte préférée des cyniques et des politiques souvent positionnés à tribord de l’échiquier – on traite volontiers de Bisounours ceux qui font preuve d’un minimum de foi en l’avenir ou en l’espèce humaine, ceux qui réclament un soupçon de compassion à l’égard des plus vulnérables, ceux qui tentent de défendre l’altruisme, l’humanisme, et tout un tas de valeurs peu rentables que l’estampillage  » bien-pensance  » achève de disqualifier. Ces diverses accusations d’angélisme ont assurément été dopées par l’overdose de teintes pastel, le décor de nuages moelleux et les noms franchement cucul (Groschéri, Grosdodo, Grostaquin, sérieusement ? ) des sympathiques plantigrades, dont le lexique infantilisant n’est d’ailleurs pas dénué d’enseignements.

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Déjà, on se permettra de noter qu’au Québec, ils s’appellent Calinours, pour ne pas évoquer le mot  » bizoune « , terme relevant de l’argot génital dans la Belle Province. En version originale, pas de trace de bisou non plus, leur nom est Care Bears,  » care  » étant entendu au sens  » le soin, le souci « , exactement comme le cura, curae cher aux latinistes, mais sans rapport apparent avec celui-ci. Tout ça pour dire quoi ? Que ça soulage de s’extirper de l’actu, même pour deux minutes de digression sans but au pays des Bisounours. Mais encore ? Que par les temps qui courent, on ferait bien d’oublier des repères entretenus depuis l’enfance, pour suivre l’exemple des ursidés américains : on prend soin des autres, on se soucie des autres, et, surtout, on évite les bisous.

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