Tout le monde tout nu ?

La World Naked Bike Ride, à Brighton, une balade à vélo dénudée, avec message écologique en prime. © Getty images

Body positivisme, authenticité, bain de nature, égalitarisme… Prônant des valeurs qui font particulièrement écho à l’air du temps, le naturisme n’est pas près d’aller se rhabiller. Le public convaincu s’élargit et les activités se développent, notamment en ville (là où tout a commencé).

Cet été a été celui de la première fois pour de nombreux estivants : ils ont tombé maillot et paréo pour expérimenter la plage, la piscine ou le camping en  » tenue de peau « . Sur le forum www.etre-naturiste.com, une section est consacrée aux découvertes de ce mode de vie et les témoignages affluent. On peut y lire des récits de révélation : « Quel bonheur d’avoir cette sensation de liberté en plein air, les vagues sur le corps, faire bronzette tranquille et voir des préjugés tomber. Surprise, pas de regard des autres, pas de « réaction inadaptée », que du plaisir à recevoir le soleil, les vagues, le vent… »

Chaque année, les curieux sont de plus en plus nombreux, et de plus en plus jeunes, à tenter l’aventure, et la plupart transforment l’essai. Les chiffres officiels 2018 de la Fédération française du naturisme (FFN) évoquent 13,8 millions de pratiquants réguliers en Europe. Sans compter que le sujet est toujours plus médiatisé : combien de fois avez-vous vu des corps nus au JT au cours des derniers mois ? Les caméras se sont posées à Londres pour la World Naked Bike Ride (un cortège à vélo dans le plus simple appareil, assorti d’une dimension écologique), à Paris pour l’ouverture d’un restaurant où les clients mangent en tenue d’Adam, mais aussi pour la nouvelle saison de l’espace naturiste du bois de Vincennes ou la visite  » nue  » du Palais de Tokyo.  » Plus que jamais, la FFN est présente, visible, et va développer de plus en plus d’axes de communication « , annonce le chargé de communication de la fédération, Julien Claudé-Pénégry, qui évoque une stratégie très complète entre les distributions de flyers, la présence sur les réseaux sociaux et dans les médias, avec comme volonté de  » donner des éclairages, défendre des causes, exposer ses ambitions, montrer qu’il s’agit plus que jamais d’un art de vivre en phase avec son temps, respectueux de chacun, tolérant, écoresponsable, bienveillant et source de bien-être « .

On dit : pour vivre heureux vivons cachés, mais le naturisme n’a rien à cacher.

La Belgique n’est pas en reste avec notamment les négociations visant à ouvrir une seconde plage dédiée à cette pratique – la première se situant à Bredene. Mais là aussi, l’enjeu pédagogique est de taille, et il faut en rappeler sans cesse les valeurs pour se débarrasser des a priori qui persistent.  » Les gens associent encore nudité et sexe de manière totalement erronée, probablement car ils ne sont nus que quand ils font l’amour « , se désole Jacques Valckenaere, convaincu depuis vingt ans et membre du conseil d’administration de la Fédération belge de naturisme (FBN). Il ne compte plus le nombre de fois où il a dû expliquer que les orgies du Cap d’Agde relevaient plutôt de l’échangisme et ne s’étonne plus que la première question qu’on lui pose ait souvent trait à la peur d’érections involontaires.  » Quand on pratique, on ne pense pas du tout à ça. L’approche est tellement différente, précise-t-il à nouveau. Les gens demandent aussi régulièrement ce qui se passerait s’ils rencontraient quelqu’un qu’ils connaissent, oubliant que la personne en face serait dans la même position. Le regard des autres est encore un frein alors que justement, dans le naturisme, il y a un regard sans jugement.  »

 » Pas tous des Beyoncé  »

L’absence de jugement, c’est le message qu’il essaie de faire passer à la cible qu’il s’est donné pour mission de convaincre, les jeunes de 20 à 30 ans.  » Le problème est que c’est la génération portable et Photoshop. Certains veulent être parfaits et n’osent pas se déshabiller devant n’importe qui. Je conseille souvent de venir sur un site pour voir que ce ne sont pas tous des Beyoncé. Ça leur serait bénéfique de se sentir bien dans leur peau et de profiter de ce type d’endroit, car il y a quelque chose de fondamental à y trouver : les gens sont terriblement gentils, aimables, on ne parle pas de boulot, d’argent, de politique.  » Pour faciliter la mise à nu, les photographies sont interdites sur la plupart des spots (sauf accord explicite) et dans les clubs belges, ces structures permettant de pratiquer la nudité en groupe, la priorité est donnée aux couples et à leurs enfants.  » On veut garder le cachet de club familial, explique Jacques Valckenaere. Nous ne sommes pas très réceptifs aux demandes de personnes seules.  »

La série Nu imagine une société
La série Nu imagine une société  » où la transparence totale passerait par une nudité obligatoire « .© Capa Drama

Le but des fédérations, au-delà de la popularisation de la pratique, est d’encourager l’adhésion de nouveaux membres. Car si les signaux semblent passer au vert au niveau de l’accueil par la société, cela ne se répercute pas forcément sur le nombre d’adhérents, relate le responsable belge. Par-delà la cotisation qui permet de mener des actions, l’encartage facilite également une certaine régulation.  » Avant, pour accéder à des sites naturistes, il fallait obligatoirement avoir une carte de membre d’une organisation ou d’un club. Elle donnait aussi des réductions sur certains services. Mais depuis quelques années, elle n’est plus indispensable. La nouvelle génération n’en a plus besoin. Ça nous gêne car, sans vouloir faire la police, on sait que cela attire aussi des gens qui n’ont rien à voir – exhibitionnistes, échangistes… Avant, on pouvait facilement signaler et enregistrer ces personnes.  »

Montrer qu’il s’agit d’un art de vivre en phase avec son temps, respectueux de chacun, tolérant, écoresponsable.

Mais ce désir de contrôle se heurte à une volonté d’ouverture au plus grand nombre, ainsi qu’au développement de zones mixtes, où la nudité est autorisée sans être obligatoire, comme c’est le cas au bois de Vincennes.  » Ce lieu est entouré par des arbres, protégé de la vue, mixte, ouvert et gratuit , décrit Julien Claudé-Pénégry de la FFN, également auteur principal de la nouvelle édition du Guide du naturisme du Petit Futé (1). Nous ne pouvons que nous réjouir de cette mixité, à condition qu’il y ait de la tolérance et que des personnes puissent, dans leur nudité, vivre un moment de détente et de tranquillité. On ne vient pas regarder, ce n’est pas un zoo. (…) On dit : pour vivre heureux vivons cachés, mais le naturisme n’a rien à cacher.  »

La transparence fait en effet partie des arguments souvent mis en avant par les adeptes. C’est cette idée qu’a voulu porter à l’écran Olivier Fox, le créateur de Nu, série OCS diffusée l’an dernier et présentant un homme qui se réveille du coma pour découvrir un monde dans lequel une loi oblige la population à vivre sans vêtements.  » Suite aux attentats du 13 novembre 2015, il y avait cette ambiance pesante autour de la nécessité d’en savoir plus sur les gens. Toute cette atmosphère sécuritaire m’a fait imaginer, comme solution, une transparence totale qui passerait par la nudité « , explique le réalisateur et scénariste. Derrière la démarche, il n’y avait aucune volonté de promouvoir ce secteur. Pourtant, dès sa sortie, le programme s’est inscrit dans un contexte de mise en avant de la nudité :  » On en parlait beaucoup dans les médias et partout, la série a trouvé son écho face à l’air du temps; ce n’était pas calculé, mais c’était très jubilatoire « , se souvient Olivier Fox. Signe que le sujet est porteur, des adaptations sont à l’étude dans différents pays dont les USA, l’Italie et la Norvège. Le cinéaste a également été surpris de la réaction des téléspectateurs face à cette série qu’il avait d’abord conçue comme une sorte de fable politique :  » Le public a eu des réactions très fortes, plutôt par rapport au corps des autres, au-delà de mes préoccupations un peu intellectuelles. C’était très puissant. Une forme de proximité s’installait immédiatement avec les spectateurs, car ils étaient heureux de voir d’autres corps, des corps qui leur ressemblent. C’était très personnel et ça témoignait d’une tolérance, d’un bonheur de se dire  » en fait on n’est pas si mal « , de s’accepter.  »

Une visite atypique du Palais de Tokyo,
Une visite atypique du Palais de Tokyo,  » un moment un peu suspendu « .© getty images

Le corps et la ville

Cette réconciliation avec le corps qui refait surface depuis quelques années favorise l’essor du naturisme et rappelle le climat dans lequel la pratique s’est développée, au xixe siècle.  » Au départ, la préoccupation était la régénération physique. Il y avait la grande inquiétude que le développement de l’industrie ait des effets néfastes sur la santé. Le naturisme était une réaction à cela. La réponse aux questionnements sur la santé étant alors de se mettre nu au soleil « , rappelle Arnaud Baubérot, docteur en histoire contemporaine et auteur d’un bouquin sur la thématique (2). Même parallèle avec l’envie de nourrir sainement cet organisme que l’on expose au contact direct des éléments :  » Il y avait un mouvement analogue à la fin du xixe, un intérêt pour une alimentation saine avec des magasins spécialisés dans les grandes villes et des figures comme l’abbé Neuens qui proposait de se soigner de manière naturelle. C’était moins médiatisé qu’aujourd’hui, mais la sensibilité était là.  »

Le problème, c’est la génération portable et Photoshop. Certains veulent être parfaits et n’osent pas se déshabiller.

Quant au développement de la pratique dans les zones urbaines, que certains considèrent comme une antinomie face à l’idéal affiché de contact avec la nature, il ne serait qu’un retour aux sources :  » Le naturisme est né dans un environnement urbain, en Allemagne dans les années 1900. Il y a alors une volonté de contact avec les éléments et les gens aménagent des jardins pour se déshabiller en ville, après le travail ou le week-end, car il n’y a pas de vacances à l’époque. Quand cela apparaît en France, dans les années 20, cela se passe principalement dans la banlieue de Paris, les gens y vont le samedi et le dimanche. Ce sont uniquement les congés payés qui ont permis le déploiement dans un environnement plus naturel  » , décrypte Arnaud Baubérot.

De là à visiter, dévêtu, un musée, comme cela s’est fait en Australie dans le cadre d’une exposition sur la nudité ou, plus récemment au Palais de Tokyo, il y a plusieurs pas qui éloignent du contact avec les éléments, mais rapprochent, d’après les participants, de l’art.  » Regarder des oeuvres en étant habillé, c’est une chose ; les regarder nu apporte une dimension différente, relate Julien Claudé-Pénégry qui a fait partie des 161 personnes ayant pénétré de cette façon atypique dans le temple de l’art contemporain parisien (sur 30 000 candidats). Le vêtement est une sorte de protection face, par exemple, au gigantisme du Palais de Tokyo qui est un monstre de béton et aux oeuvres qui étaient très prenantes. Lors de la visite, il y a eu une relation différente, une approche qui a permis un moment un peu suspendu. Tout le monde est sorti plein de sérénité.  »

Convaincu ? Ne vous dévêtez pas au Kanal ou au Louvre pour autant. La nudité n’est pas autorisée dans l’espace public en dehors de certains cadres. Pour une première approche, plusieurs intervenants ont plutôt suggéré de se jeter à l’eau au sens littéral en profitant des créneaux naturistes ouverts dans les piscines, vous serez surpris du nombre d’établissements qui proposent ce genre d’expérience (3)… Entre les sensations nouvelles qui apparaissent durant la nage et le léger voile de pudeur offert par l’eau, il s’agirait de la parfaite entrée en matière.

(1)Guide du naturisme 2018, Petit Futé, Nouvelles Editions de l’Université, 157 pages.

(2)Histoire du naturisme : Le mythe du retour à la nature, par Arnaud Baubérot, PU Rennes, 380 pages.

(3) Pour découvrir les clubs, créneaux naturistes dans des piscines : www.naturisme.be

Le naturisme en chiffres
  • Au printemps, France 4 Naturisme, leader dans le secteur des villages campings naturistes, a commandé une étude auprès des personnes ayant résidé dans ses établissements.
  • 13 % de néo-naturistes avaient découvert les vacances dénudées lors de ce séjour récent.
  • Plus de 9 personnes sur 10 comptaient renouveler l’expérience du séjour naturiste. Ce qui les avait incité à franchir le cap ? Le désir de liberté, de ressourcement et de communion avec la nature.
  • Alors que durant les dernières décennies, le naturisme a fait face à un vieillissement de ses adeptes (notamment soixante-huitards), il voit ses rangs se rajeunir, avec 14 % de moins de 40 ans.

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