« Vivre, c’est déterminer son propre chemin »: rencontre avec la graphiste belge Barbara Duriau

© LIN WOLDENDORP

Cette graphiste belge, vivant à Amsterdam, a lancé, fin mars 2020, alors que nous étions confinés, le groupe Facebook View from my window. Elle y proposait de partager la vue depuis nos fenêtres, un concept qui a cartonné dans le monde entier. Elle en a fait un livre, et publie, en cette fin d’année, un second tome.

Je me suis toujours demandé comment était la vie ailleurs. J’ai grandi dans un petit village près de Binche où j’ai eu une enfance plutôt sage, sans embûches, un peu monotone. Par ricochet, à 26 ans, je suis partie avec mon compagnon de l’époque faire un tour du monde pendant un an, afin d’enfin vivre des expériences. Notre but n’était pas de parcourir les grands sites touristiques mais de s’imprégner du pays et de la vie quotidienne de ses habitants. Aujourd’hui, ce voyage définit toujours qui je suis et ce que je fais. Si je ne l’avais pas fait, View from my window n’aurait probablement pas existé.

Il faut prendre les choses en main au lieu de les subir. Avant de m’installer à Amsterdam en 2018, j’ai travaillé dix-sept ans à Bruxelles, chez Moulinsart ( NDLR: la société chargée de l’exploitation commerciale de l’oeuvre de Tintin). Un travail confortable, mais routinier et graphiquement restrictif. En 2015, j’ai été chargée d’habiller un Airbus A320 à l’effigie de Tintin et de superviser sa production en République tchèque. C’était dingue de voir au jour le jour ce mastodonte se construire. Je me suis sentie vivre! Mais tout est vite revenu « à la normale », comme si je passais à côté de ma vie. Démissionner et déménager à Amsterdam a été une libération. Là-bas, je n’ai pas immédiatement trouvé un emploi dans mon secteur. Je me suis retrouvée à servir de la fondue savoyarde dans un restaurant. Ce n’était pas ce que j’avais envisagé mais j’étais heureuse. Vivre, c’est déterminer son propre chemin.

Chez moi, j’ai besoin d’une connexion physique avec le monde extérieur. Lorsque j’ai quitté la Belgique, je me suis débarrassée de la moitié de mes affaires. J’ai chargé ma voiture et je suis partie. J’occupe actuellement un 40 m2 mais le plus important, pour moi, c’est la vue vers l’extérieur. Je préfère vivre dans un petit flat et voir la vie de la rue se dérouler devant moi plutôt qu’être dans une villa entourée d’une haie, où rien ne se passera vraiment. Je suis au bord d’un canal, je peux donc regarder les bateaux et entendre les petites poules d’eau hurler.

Quand on entre dans un pub rempli et bruyant, on se sent vivant. Une grand partie de l’écriture de ce deuxième livre s’est faite dans des cafés d’Amsterdam ; j’y ressens l’énergie de la ville. A Bruxelles ou Londres, j’aime aussi me rendre dans des bars typiques. Le mois dernier, j’ai atterri à Ostende, dans un petit café, avec des locaux qui dansaient des farandoles. J’y suis restée jusqu’à la fermeture…

Il n’est pas nécessaire d’aller loin pour que tout soit différent. Amsterdam n’est qu’à 200 km de Bruxelles, mais la vie est tout autre. C’est une ville ouverte d’esprit, avec des musées de premier plan, mais c’est aussi un grand village où les voisins s’installent sur le trottoir pour un simple « borrel » (l’apéro). Chaque matin depuis le confinement, ma voisine passe en maillot et tongs devant chez moi pour aller se baigner 200 m plus loin. Par tous les temps! A Bruxelles, ce serait juste impensable. Le sentiment de liberté à Amsterdam est inestimable. Par contre, je ne m’habitue ni au dîner à 18 h ni au côté très direct des Néerlandais!

Pour des êtres sociaux comme nous, se voir coupés des autres est un désastre. De nombreux membres m’ont écrit pour dire que View from my window les avait aidés à surmonter les lockdowns. J’ai reçu des messages touchants portant sur des amitiés qui se sont formées ou sur des amis qui s’étaient perdus de vue et se sont retrouvés, grâce au groupe. Faire carrière ne signifie rien pour moi, mais là, j’ai réussi quelque chose, pour les autres et pour moi-même.

D’une idée spontanée, View from my window s’est transformé en phénomène sociétal. Il y a un an et demi, je suis montée dans un train à grande vitesse duquel je n’ai jamais pu descendre. Parce que ce momentum est là et que je sais que si je saute en route, ma valise, elle, va y rester. J’ai appris dix métiers à l’arrache, à la punk. J’ai aussi bien dû endosser la casquette d’éditeur que d’administrateur d’un groupe de 2 millions de membres et de personnage public. Ce qui signifie répondre aux interviews du monde entier mais également faire face aux critiques de ceux qui vous jalousent. J’ai pris des risques, je suis fatiguée mais je ne regrette rien. C’est une aventure hyper enrichissante et je ne suis plus la même personne aujourd’hui. Quand la vie vous jette ça dans les bras, vous devez en faire quelque chose.

View from my window. Vol. 2, par Barbara Duriau. En librairie ce 17 novembre. En ligne sur viewfrommywindow.world

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