On a discuté statut d’artiste et Palais Idéal avec Antoine Moulinard, artiste plasticien

antoine moulinard artiste portrait
© Laetitia Bica
Anne-Françoise Moyson

Il n’a que 26 ans et a déjà bâti son propre tombeau. Le Français Antoine Moulinard œuvre à Bruxelles où il pratique la céramique en rêvant de son Palais Idéal. Il montre aussi son travail à Londres, avec MAD Brussels et hub.brussels, et surtout, il expose deux pièces magistrales dans le cadre de Fire à la Fondation Boghossian.

Il ne faut jamais remettre son destin entre les mains d’une voyante

Durant le confinement, j’ai postulé à la Haute école d’art et de design à Genève et à La Cambre à Bruxelles. J’ai été accepté dans les deux, donc j’ai dû choisir… Comme j’hésitais, je suis allé voir une voyante. Elle m’a dit des trucs tellement bateau qu’on pourrait les appliquer à n’importe qui, à n’importe quoi. Elle voyait une ville avec de l’eau… Bon, à Genève, il y a le lac, à Bruxelles, il pleut! Heureusement, j’avais déjà pris ma décision la veille du rendez-vous, je l’avais maintenu juste pour l’expérience.

C’est dur pour les artistes

Quand on me propose d’exposer, je demande toujours naïvement s’il y a des frais de monstration et on me répond invariablement: «Non, mais c’est une visibilité énorme.» Ma propriétaire, elle, ne prend pas de chèque en visibilité. Bienvenue dans la réalité. Et quand je vois que le gouvernement Arizona veut remettre en cause le statut d’artiste… C’est ma survie.

‘J’aimerais bien construire mon Palais Idéal en céramique.’

J’adorerais mieux gagner ma vie, ce n’est pas mon grand plaisir d’être au SMIC mais s’il n’y avait pas ce minimum-là, je ne sais pas où je vivrais ni ce que je mangerais. J’aimerais aussi sortir du calendrier traditionnel de l’art contemporain. Souvent, les expos ne durent qu’un week-end. Tu te motives à faire des pièces pour les présenter dans ce contexte, puis, dans le meilleur des cas, elles sont vendues et vivent une vie ailleurs, dans des collections, mais c’est très rare. Dans le pire des cas, elles te reviennent à l’atelier. Et tu en fais quoi? J’ai presque l’impression de travailler dans la fast fashion et de faire des trucs jetables. Je rêve qu’on revienne à l’époque médiévale où l’on créait des œuvres qui traversaient les époques.

La vie est quand même bien faite

J’étais étudiant en mode à Duperré à Paris et je faisais un stage chez une styliste complètement folle. C’était vraiment Le diable s’habille en Prada, sauf que ce n’était pas Anna Wintour et qu’on n’était pas chez Vogue. Comme ça se passait extrêmement mal, j’ai cherché à faire un autre stage. Et, karma, j’en ai trouvé un chez le céramiste Emile Degorce Dumas. Une révélation. Il était hyper sympa et funky, il m’a guidé. Presque dix ans après, je fais toujours de la céramique. C’est même devenu ma pratique principale.

Mes collectionneurs sont les meilleurs

J’ai fait une petite série de posts Instagram pour tous les remercier. Parce que c’est important d’acheter les œuvres de jeunes artistes. J’espère aussi, même si je ne suis pas dans leur tête, que cela leur fait plaisir de vivre avec ces objets et qu’ils ne les voient pas comme une espèce de ticket de loterie en espérant que cela prenne de la valeur plus tard.

«T’inquiète pas, ça va bien se passer.»

Littéralement, c’est ce que je dirais à l’ado que j’étais si je le rencontrais aujourd’hui. Et j’ajouterais: «La vie va devenir cool, il faut juste attendre un peu. Et arrête de t’excuser tout le temps. Ce pour quoi on te déteste, tu peux aussi en faire ta force.»

J’ai créé une installation qui s’appelle L’effet du logis. Tous mes personnages se rassemblent dans une safe place où ils peuvent être tranquilles, loin du monde. Ils sont à la fois sujets habitants de l’espace mais aussi sujets décoratifs. La cheminée, c’est un yéti, le canapé, un géant, les pieds de la table, ce sont des gnomes qui deviennent des cariatides grecques. Tout ça part d’un trauma de harcèlement quand j’étais ado… Il m’a fallu attendre un peu pour que ça se passe mieux.

Laisser une trace de mon passage sur terre

Voilà mon objectif. J’aimerais bien construire mon Palais Idéal en céramique. Et qu’il devienne un musée après ma mort. Mais comme je me sens coincé parce que je n’ai pas d’espace physique pour le bâtir, j’ai regardé la vie du Facteur Cheval. Il a passé ses quatre dernières années à construire son propre tombeau dans le cimetière de son village.

Je me suis alors dit que j’allais commencer par la fin, que ce serait plus simple. Et j’ai créé ma propre tombe. Mon gisant est moulé sur ma tête, le reste est en modelage. C’est un peu l’idée de me préserver à 26 ans dans une espèce d’état de grâce, avant que mon corps vieillisse et se flétrisse. Ce gisant a une armure de chevalier et, aux pieds, un bracelet avec un coquillage, comme celui de Saint-Jacques-de-Compostelle. Je l’ai compris après seulement: je me suis représenté comme étant un personnage en quête de quelque chose. Et je crois bien que c’est une quête artistique.

Fire, à la Fondation Boghossian, jusqu’au 1er mars 2026. boghossianfoundation.be

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