« On ne lit pas parce qu’on en a soudain envie, on lit comme on respire. La lecture, c’est la vie »

L'avis de notre journaliste Kathleen Wuyard sur
L'avis de notre journaliste Kathleen Wuyard sur "Une histoire de la lecture" - DR
Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

La lecture n’est pas un passe-temps, c’est une promesse, celle de voyager dans le temps et l’espace au gré des ouvrages. Ivre de livres, Kathleen Wuyard vous emmène page à page dans ses périples papivores.

Il existe entre les Pays-Bas et le Danemark un archipel d’îles pittoresques battues par les vents. Sur l’une d’elles, le temps semble s’être arrêté au mitan du siècle dernier.

Les voitures y étant interdites, on s’y déplace à vélo ou à pied, pour mieux profiter de ses paysages d’aquarelle. Il n’est pas rare de croiser des échoueries de phoques sur les plages bordées de dunes, ni de partager les chemins qui serpentent ses forêts avec des faisans ou des lièvres, mais un des plus beaux panoramas s’admire au cœur du village.

A travers les fenêtres d’une petite maison en triangle typique de la région, le regard plonge dans un océan de livres. Du sol au plafond, des étagères pleines à craquer aux tables, commodes et guéridons couverts de piles menaçant de s’écrouler à tout moment, il ne s’agit pas tant d’une maison où on lit que d’une bibliothèque où on vit. Et pour moi qui suis ivre de livres, cela ressemble drôlement au paradis.

Si vous lisez ces mots, et donc, ce magazine, quelque chose me dit que l’image de cette maisonnette remplie d’ouvrages a pour vous aussi de faux airs de terre promise.

Rester fidèle à la presse à l’heure de l’actualité instantanée est en effet le signe d’une certaine gourmandise pour la langue écrite, une faim de pages qu’on ne parvient jamais vraiment à calmer sans qu’elle ne soit pour autant source de tourment. Pourquoi lit-on? Il existe autant de réponses que de lecteurs. Pour les vrais papivores cependant, ce n’est ni une question de curiosité ni une manière de tromper l’ennui, mais bien un besoin primaire.

On ne lit pas parce qu’on en a soudain envie, on lit comme on respire. On lit parce que la lecture, c’est la vie.

Et ce n’est pas Alberto Manguel qui nous contredira.

Lire comme on respire

A la fois écrivain, traducteur, et éditeur, ce fils d’ambassadeur a dirigé la Bibliothèque nationale d’Argentine et rédigé Une histoire de la lecture récemment publiée en format poche chez Actes Sud.

Plus qu’une chronologie, c’est un voyage aux confins de ce passe-temps de prime abord plutôt solitaire et qui fédère pourtant ses adeptes. C’est qu’ainsi qu’Alberto Manguel le rappelle, une société peut exister sans la lecture, mais aucune sans l’écriture.

Cela peut sembler antinomique, et pourtant, dans le processus d’alphabétisation aussi, c’est dans cet ordre que cela se produit. «Celui qui souhaite écrire doit être capable de reconnaître et de déchiffrer le système social des signes avant de l’inscrire sur la page», rappelle l’Argentin. Qui évoque les travaux du chercheur américain Edmund Burke Huey, et sa conviction qu’une analyse détaillée de ce que nous faisons quand nous lisons serait le couronnement de la carrière de tout psychologue, «car elle reviendrait à décrire un très grand nombre des mécanismes les plus délicats du cerveau humain».

La mécanique d’Une histoire de la lecture est bien rôdée, et ses centaines de pages sont remplies de faits surprenants sur un passe-temps bien moins sage qu’il n’y paraît.

Vous pensiez lire en suivant gentiment les lettres du regard de gauche à droite et de haut en bas? Erreur: ainsi que l’a démontré un ophtalmologue français, nos yeux se déplacent en faisant des bonds sur la page.

La lecture est pour vous une activité silencieuse? Elle ne se pratique ainsi que depuis le Xe siècle, le célèbre dicton «la parole s’envole, les écrits restent» étant d’ailleurs à l’origine une ode à la langue orale, et une incitation au lecteur à prêter sa voix au mot écrit.

Lirez-vous cette chronique à voix haute? Qui sait. Mais en ces temps troublés, j’espère qu’Alberto Manguel vous parlera autant qu’à moi. «Plus que toute autre création humaine, le livre est le fléau des dictatures» affirme-t-il. Lisez, lisons: c’est plus que jamais essentiel. 

Une histoire de la lecture, par Alberto Manguel, Babel.

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