Ce que la taille des poches des femmes dit de l’inégalité des sexes

Pourquoi les poches des femmes sont-elles plus petites? Getty Images
Pourquoi les poches des femmes sont-elles plus petites? Getty Images
Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

Si des avancées épisodiques apportent regain d’espoir et (trop brèves) réjouissances, à l’aube de 2025, l’inégalité des sexes n’a toujours pas été abolie. Cela vaut pour la parité des salaires, la répartition des tâches ménagères, et même… pour les poches. Et si c’est peut-être un détail pour vous, pour celles à qui elles manquent cruellement, ça veut dire beaucoup.

Comment garantir qu’un groupe de femmes vibre instantanément d’un plaisir exubérant et collectif? Rien de plus simple – ni de moins coquin, on vous voit venir, les esprits mal tournés. Il suffit simplement de les rassembler pour une occasion festive, ou du moins, qui implique que l’une d’entre elles porte une robe (même si une jupe peut aussi faire l’affaire) et que celle-ci… ait des poches. Un « détail » annoncé fièrement en réponse au moindre compliment sur le vêtement, car leur présence sur la plupart des vêtements pensés comme traditionnellement féminins est relativement rare. Et leur absence, extrêmement pénible. Ô rage, ô désespoir, ô inégalité des sexes ennemie: même quand un vêtement, un pantalon par exemple, est pourvu de poches, celles-ci auront tendance à être plus petites que leur équivalent sur les modèles pour Hommes.

Et ce, alors même que non seulement les smartphones des dames sont aussi volumineux que ceux de ces messieurs, mais en prime, il s’agit également d’avoir suffisamment de place pour ranger toute une série d’essentiels sans forcément s’encombrer d’un sac à mains ou d’une pochette.

Raison pour laquelle, donc, la découverte d’une robe ou d’une jupe munie de poches, ou encore d’un pantalon où elles sont suffisamment volumineuses pour être utiles et pas seulement décoratives, suscite extase et convoitise.

Problème de taille

C’est qu’à l’heure d’écrire ces lignes, la plupart des poches de vêtements estampillés « pour femmes » sont, en moyenne, 48% plus petites et 6.5% plus étroites que celles des « vêtements pour hommes ». Plus injuste, encore?

D’après une étude réalisée en 2018 par le média américain The Pudding, seules 40 % des poches avant des femmes sont assez grandes pour y transporter les modèles de smartphones les plus répandus sur le marché… Et seulement 10% (!) d’entre elles sont assez spacieuses pour contenir la main d’une femme, laquelle n’y rentre la plupart du temps que jusqu’au phalanges.

À titre de comparaison, 100% des poches pour hommes, soit la totalité, donc, peuvent contenir une main d’homme de taille moyenne.

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Ce qui est l’évidence même puisqu’au-delà de leur fonction de rangement, les poches servent aussi à protéger les mains du froid ou tout simplement, à avoir un endroit où les enfoncer pour se donner une contenance. Un « privilège » visiblement réservé aux hommes… Mais pourquoi donc? S’il faut en croire Christian Dior, ce serait parce que « les hommes ont des poches pour garder les choses, les femmes pour la décoration ».

Et le célèbre couturier français ne croyait pas si bien dire.

Un choix politique

Jusqu’au 17e siècle, tous les vêtements, tous sexes confondus, étaient cousus sans poches, et on transportait ses petites affaires dans des sacoches nouées autour de la taille. Un ancêtre du sac banane remplacé, il y a quatre siècles de ça, par des poches cousues à l’intérieur de leurs vêtements… Mais seulement ceux de ces messieurs, car dès le début des années 1800, la mode féminine est aux silhouettes épurées, ce qui veut dire que les poches sont cousues sur, et non plus dans les vêtements, et que leur taille est réduite pour coller aux standards esthétiques.

Et pour cantonner les femmes au foyer?

Ainsi que le dénoncent les experts qui se sont penchés sur la question, on privant une femme de poches, on l’empêche de facto de ranger en toute sécurité ce dont elle pourrait avoir besoin (papiers, monnaie…) pour se déplacer. Est-ce donc surprenant que lors de sa fondation à l’aube du 20e siècle, The Rational Dress Society, qui milite pour des tenues féminines plus « sensées », épingle le corset mais aussi, l’absence de poches?

Il faudra toutefois attendre une centaine d’années, et la popularisation des blue jeans, pour que les femmes aient, elles aussi, un endroit sur leur personne où ranger leurs mains ou de menus objets. Et 50 ans plus tard, un problème de taille persiste.

Les poches, (petit) espace d’émancipation pour les femmes

Raison pour laquelle la marque bruxelloise branchée Paradox a collaboré avec le spécialiste des paiements en ligne Payconiq pour créer The Equal Pocket Denim, un jean (unisexe) qui vise à dénoncer cette inégalité à l’aide de ses deux poches de tailles différentes: l’une suffisamment spacieuse pour accueillir confortablement un téléphone, et l’autre, rikiki, pour sensibiliser à ce détail de taille de l’inégalité entre les sexes.

SP

« Petit flash-back historique : les poches ont été les premières « cachettes » porteuses d’émancipation pour les femmes » pointe-t-on du côté de chez Payconiq. « Depuis le milieu du XIXe siècle et leur apparition sous forme de compartiments cousus à même le vêtement, les poches restent des éléments d’indépendance, financière notamment. Elles représentent aujourd’hui à la fois l’indépendance et le pouvoir d’achat ».

Mais aussi, donc l'(in)égalité.

« Pour les femmes, il s’agissait (et il s’agit toujours) d’une question d’égalité » dénoncent Jan Diehm et Amber Thomas, les auteurs de l’étude publiée sur The Pudding. « Les poches, contrairement aux sacs à main, sont des espaces cachés et privés. En restreignant l’espace dans lequel les femmes peuvent garder des objets en sécurité et conserver la mobilité de leurs deux mains, nous limitons également leur capacité à naviguer dans les espaces publics, à transporter des écrits séditieux (ou simplement amoureux) ou à voyager sans être accompagnées ».

Alors que 2024 a été marquée, entre autres tendances 2.0, par le cri de ralliement « je choisis l’ours », en réaction à une capsule virale où, en réponse à la question de ce qu’elles préfèreraient croiser en forêt, un homme ou un ours, 9 femmes sur 10 ont répondu un « ours », la question de pouvoir transporter en toute sécurité des objets divers dans un espace privé est plus d’actualité que jamais.

Car si une poche est trop petite pour contenir un smartphone, elle est aussi très certainement trop petite pour y ranger l’un ou l’autre moyen d’auto-défense « au cas où ». Même si, le fait même que cela doive être pris en compte est encore exponentiellement plus navrant que les inégalités entre les sexes qui persistent dans la conception des vêtements…


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