Le pretty person problem, ou pourquoi les femmes les plus belles sont les plus susceptibles d’abuser de la médecine esthétique
« La laideur est supérieure à la beauté car elle dure plus longtemps » affirmait Serge Gainsbourg. Confrontées au passage inexorable du temps, et à ses effets sur leur apparence, les personnes qui ont toujours été saluées pour celle-ci auraient tendance à être victimes du « pretty person problem ».
Soit, ainsi que le définit la dermatologue californienne Sam Ellis, à l’origine de l’expression « pretty person problem », un piège dans lequel les personnes ayant « gagné la loterie génétique » sont plus susceptibles de tomber, ces dernières ayant tendance à user voire abuser de la médecine esthétique pour tenter de préserver leur apparence coûte que coûte.
Quitte à rendre celle-ci pour le moins bizarre au passage.
C’est Demi Moore dans The Substance, film au gore parfois insoutenable néanmoins applaudi au dernier Festival de Cannes, qui la voit se soumettre à un traitement aussi dangereux que douloureux juste pour retrouver le frisson de sa beauté « fanée ».
Mais c’est aussi cette actrice, hier encore admirée pour ses pommettes hautes et son teint d’albâtre, aujourd’hui affublée de lèvres dont le volume n’a rien à envier à celui d’une Knacki, les yeux écarquillés en permanence par une tension vigoureuse de la peau du haut du visage. Ou bien cette influenceuse dont l’âge est devenu impossible à estimer tant ses traits, pourtant jeunes, sont boursouflés de toxine botulique et de fillers. C’est cet acteur primé qui apparaît soudain sur les tapis rouges avec la figure à la fois lisse et gonflée, pour la plus grande joie de la presse people qui en fait ses choux gras, ou encore cette artiste applaudie dans le monde entier, dont l’apparence n’est pas plissée par la moindre ride, certes, mais dont les joues ultra volumineuses, les yeux soudain bridés tant la peau est tirée et la mâchoire affutée au scalpel plutôt que de laisser apparaître le moindre signe de relâchement ont un rendu non pas « jeune » ni même « frais » mais bien, et bien… « bizarre », pour reprendre les mots du Dr Ellis.
Laquelle, dans une vidéo vue à plusieurs dizaines de milliers de reprises, explique ce « piège cosmétique » dans lequel, selon elle, les femmes séduisantes sont susceptibles de tomber entre la fin de la trentaine et le début de la quarantaine.
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La perfection sinon rien
« Cela concerne principalement des femmes qui, si on se fie à une échelle de l’attractivité de 1 à 10 basée sur le male gaze traditionnel, ont été un 8, 9 ou 10 leurs vies entières. Puis vient le cap de la quarantaine et elles commencent à remarquer les premiers signes de l’âge, qu’il s’agisse d’un contour des paupières plus fripé ou de traits plus creusés: des changements subtils, qui les persuadent néanmoins d’enchaîner les traitements de médecine esthétique pour « réparer » tout ça ».
Problème: même si la médecine n’a de cesse de progresser, et qu’il existe désormais pléthore de traitements cosmétiques parmi lesquels choisir, il reste impossible d’arrêter le temps.
Et la plupart du temps, les tentatives compulsives de le remonter, et d’afficher l’apparence d’une personne ayant 10 voire 20 ans de moins, n’ont pas vraiment l’effet escompté. Au contraire, même.
Le problème, c’est que ces personnes n’ont pas besoin de ces traitements: elles ont juste été tellement habituées à être d’une beauté remarquable toute leur vie que la moindre imperfection leur est insoutenable ».
Dr Sam Ellis
Aux grands maux (perçus) les grands remèdes, et c’est là qu’est le piège, car « ce sont elles qui vont avoir trop d’injections de Botox, remplir leur visage de fillers, et finir par avoir l’air bizarre, alors qu’elles étaient tellement belles ».
Et de pointer que ces femmes « sont tellement habituées à être sexy que lorsqu’elles commencent à constater la moindre diminution du volume de leurs lèvres ou l’apparition d’un soupçon de rides, elles se sentent obligées de recourir à toutes les interventions esthétiques possibles. Pourtant, elles ont des visages qui n’ont pas besoin de restauration ou de remplacement de volume ».
Le piège du pretty person problem
Longtemps sujette aux railleries en raison de son apparence, disons, figée, Nicole Kidman est désormais acceptée comme elle est, c’est à dire une actrice au panel d’expressions faciales quelque peu limité, mais dont la chevelure prompte à voler de manière cinématographique au vent, de préférence en bord de mer, compense – du moins, s’il faut en croire les memes partagés suite à son apparition dans la série Netflix The Perfect Couple. Et si l’actrice australienne n’a jamais abordé les éventuels traitements esthétiques auxquels elle aurait eu recours au gré des années, et encore moins admis le moindre regret quant à ceux-ci, certaines célébrités, elles, n’hésitent pas à reconnaître être tombées dans le piège du pretty person problme.
Devenue célèbre suite à sa participation à l’émission de téléréalité Love Island, l’influenceuse et entrepreneuse britannique Molly-Mae Hague a ainsi rendu publique il y a quelques années sa décision de dissoudre les produits qu’elle avait fait injecter. Alors âgée de 21 ans seulement, elle confiait avoir ressenti un choc et s’être « fait peur » en voyant certaines photos d’elle où son visage lui semblait non seulement méconnaissable, mais aussi, bien plus vieux que son âge. Et la jeune femme de décider dans la foulée de dissoudre le filler présent dans ses lèvres et dans sa mâchoire, mais aussi de retirer ses facettes dentaires au rendu « artificiel », confiant avoir commencé à avoir recours aux injections alors qu’elle était à peine majeure et être rapidement devenue accro à ces traitements.
J’avais littéralement l’air d’une autre personne. Quand je regarde les photos maintenant, je suis terrifiée par moi-même. Je me dis : « Qui était cette fille ? » Je ne sais pas ce qui s’est passé (…) Je suis allée beaucoup trop loin, et quand j’ai renoncé à tous ces artifices, bizarrement, je me suis sentie plus belle que jamais. Une fois que tout a disparu, j’ai eu l’impression de faire cinq immédiatement cinq ans de moins ».
Molly-Mae Hague
Moquée elle aussi pour son recours parfois un peu trop enthousiaste à la médecine esthétique, Courteney Cox a confié être devenue accro aux tweakments promettant de remonter le temps, avant de réaliser brutalement que ces derniers n’avaient pas l’effet escompté.
Dans un entretien accordé au magazine New Beauty en 2017, elle racontait ainsi comment « ce qui se passait, c’est que j’allais voir un médecin qui me disait « vous avez l’air en pleine forme, mais ce qui vous aiderait, c’est une petite injection ici ou un produit de comblement là ». Vous sortez de chez lui, vous n’avez pas l’air si mal et vous vous dites que personne ne l’a remarqué – c’est bien. Puis quelqu’un vous parle d’un autre médecin : « Cette personne est incroyable, regarde comme cette patiente à lui a l’air si naturelle ». Vous le rencontrez et il vous dit que vous devriez faire ceci ou cela ».
Avant même d’avoir réalisé ce qui se passait, vous avez des couches et des couches et des couches de produit dans le visage. Vous n’en avez aucune idée, parce que c’est progressif jusqu’à ce que vous vous disiez : « Oh, il y a quelque chose qui ne va pas ». Et c’est pire sur les photos que dans la vraie vie. J’ai une amie qui m’a vue et qui m’a dit : « Whoa, il est temps que t’arrêtes ! » alors que je n’avais rien fait injecter depuis six mois. Je n’avais pas conscience de l’impact cumulé des traitements ».
Courteney Cox
Et l’actrice, qui a elle aussi fait dissoudre ses fillers, d’avouer avoir dû apprendre à accepter le passage du temps et son impact sur son apparence.
Voire même, à l’apprécier. « J’ai dû accepter que les fillers et moi, on n’était pas potes, sourit l’inoubliable interprète de Monica dans Friends. J’ai tout fait dissoudre. Aujourd’hui, je suis aussi naturelle que possible, et je me sens mieux parce que je me ressemble, et au final, je ressemble plus à la personne que j’étais plus jeune. J’espère, en tout cas ».
C’est que ‘excès nuit en tout, même ou peut-être surtout dans le domaine de la médecine esthétique.
Répondre aux demandes (sans en créer de nouvelles)
Fort de plus de 30 ans de métier, le Dr José Budo, chirurgien esthétique en région liégeoise, a eu entre ses mains les corps et les visages de milliers de personnes désireuses de ralentir ou même de tenter d’inverser les effets du temps.
Le pretty person problem? « Je pense qu’il faut éviter de faire des généralités. Certaines personnes, même très belles, vont trouver que vieillir fait partie de la vie, tandis que d’autres vont vouloir avoir recours à des traitements pour une série de raisons, que ce soit pour présenter un visage plus jeune au travail, ou bien motivées par un peu de vanité ».
Et de souligner l’importance de « bien se mettre d’accord avec le médecin auquel on fait appel, et qu’il explique concrètement en quoi chaque traitement consiste et quels sont ses effets mais aussi ses complications potentiels ». En trois décennies de pratiques, celui qui a quitté sa Flandre natale pour exercer son métier dans la Cité ardente a été aux premières loges pour constater l’essor de l’influence des réseaux sociaux et l’envie de vouloir ressembler à ses pairs, qui expliquent en partie selon lui pourquoi des patientes toujours plus jeunes viennent le trouver pour une série de procédures d’ordinaire réservées aux femmes âgées de 20 à 30 ans de plus qu’elles. « Pour elles, c’est comme s’offrir le dernier sac à la mode ou la marque que tout le monde porte » regrette le Dr Budo.
Qui recommande, pour éviter « l’effet Courteney Cox », d’avoir recours à la technologie afin de parer aux regrets éventuels. « De nos jours, bénéfice très bonnes techniques pour réaliser simulations extrêmement réalistes par ordinateur, afin de permettre aux patientes de visualiser les limites de ce qui leur est tolérable. Dans la majorité des cas, il faut attendre un certain temps avant que les traitements n’aient plus d’effets visibles, donc il est très important de bien se rendre compte au préalable de ce à quoi on va ressembler après ».
Et le Dr Budo de confier que le plus important pour éviter les déceptions est d’être à l’écoute de la patiente, « car personne ne sait mieux qu’elle ce qu’elle veut. Notre rôle en tant que médecins est de répondre à leurs demandes en leur exposant les traitements possibles, et non de proposer des choses que la patiente ne demande pas. J’entends à chaque consultation des femmes qui me disent qu’elles sont allées voir un autre médecin, qu’elles consultaient pour telle ou telle partie du corps, et qui leur a conseillé de faire également une série d’autres interventions ».
L’éternel problème de la médecine esthétique est qu’on se cache toujours derrière les nouvelles technologies disponibles et les résultats qu’elles promettent, mais parfois, ce sont de fausses promesses. Il faut avoir le courage de refuser des traitements qui ne sont pas pertinents pour nos patientes ».
Dr José Budo
Car si le Botox est réversible, certains produits de comblement, eux « sont pratiquement non-résorbables » met encore en garde le chirurgien liégeois. « Je pense qu’il faut faire preuve d’une certaine moralité quand on soigne ces patientes, et les traiter comme on traiterait nos femmes, nos filles et nos amies. Il s’agit de respecter le serment d’Hippocrate qu’on a tous prêtés, et de ne pas faire de tort aux personnes que l’on soigne ».
Le compte est bon?
« Quand il s’agit de médecine esthétique, la prudence est de mise » martèle encore Sam Ellis. « Vous allez avoir tendance à vouloir modifier et rectifier le moindre petit détail pour atteindre la perfection, alors que ces petites imperfections et autres asymétries légères sont précisément ce qui font que vous êtes vous, et surtout, que vous avez l’air normal ».
Et une de ses followeuses, infirmière à la retraite, de conclure avec une anecdote percutante en commentaire. « Le chirurgien esthétique pour lequel je travaillais aimait bien répéter le calcul suivant, partage-t-elle. Si vous êtes un « 7, 8 ou 9 » et que vous voulez soudainement devenir un « 3 », la meilleure manière d’y arriver est de tenter de devenir un 10″.
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