Delphine Kindermans
Selfie épidémie
Selfie est donc le mot de 2013, à en croire le vénérable Oxford English Dictionary. Et s’il est vrai que ces autoportraits réalisés au smartphone n’ont pas attendu l’année écoulée pour envahir les réseaux sociaux, on n’en a sans doute jamais autant publié qu’au cours des douze derniers mois.
Rien que sur Instagram, 56 millions de clichés ont été postés avec le hashtag #selfie, par des quidams ou des people, ceux-ci ayant largement contribué au succès du phénomène. Récemment, Kim Kardashian, vedette de la téléréalité et accessoirement compagne du richissime Kanye West, y allait même de sa petite leçon filmée, dans laquelle on apprend comment tenir son téléphone à la bonne hauteur, présenter son meilleur profil ou encore travailler cette moue typique consistant à avancer les lèvres – la fameuse « duck face » – pour « faire ressortir ses pommettes », ce qu’elle affectionne particulièrement.
Justin Bieber, lui, ne se contente pas de régaler de photos de lui ses 57 millions de fans sur Facebook et 11 millions sur Instagram, il a investi 1,1 million de dollars dans Shots of Me, une nouvelle appli dédiée au genre. Quant à Param Sharma, à défaut d’être une vraie star, il s’en est créé le statut à coups d’images le montrant en train d’insulter les célébrité tout en dilapidant sa fortune – on ne compte plus les vidéos où on le voit littéralement jeter l’argent par les fenêtres ou exhiber son torse recouvert de billets de 100 dollars. Ses 332.000 fans adorent.
Du haut de ses 17 ans, le jeune milliardaire confirme ce mantra que la génération Y, hyperconnectée et confrontée à des repères qui tanguent, semble avoir fait sien : on n’est jamais si bien servi que par soi-même. Et souvent, ça marche… du moins jusqu’au retour de manivelle. Après avoir régné en maîtres sur la planète fashion, à grand renfort de collections capsules dessinées pour les marques ou de sponsoring en échange de visibilité, les blogueurs seront ainsi interdits d’entrée lors de la semaine des défilés de New York, en février prochain. Besoin d’exclusivité, disent les organisateurs, qui souhaitent ramener acheteurs et journalistes aux premiers rangs. Oscar de la Renta ne disait pas autre chose quand il a manifesté son agacement via le magazine Women’s Wear Daily, fin août dernier. « C’est important (NDLR : pour les professionnels) de voir les collections, détaillait-il. Ils ne devraient pas avoir à passer dans une foule de 30.000 personnes, dont 10.000 qui essayent de prendre des photos de ces gens qui n’ont aucun rapport avec le vêtement. »
Pourtant, les griffes ne sont pas prêtes à se détourner de la manne du virtuel. Angela Ahrendts, ex-présidente de Burberry, en a fait la démonstration éclatante en triplant le chiffre d’affaires de l’institution britannique, pourtant nettement en perte de vitesse lorsqu’elle en a repris la direction en 2006. Sa martingale ? Investir massivement dans la vente en ligne, les boutiques digitalisées, l’interaction avec les internautes. Fin octobre, elle a d’ailleurs été débauchée par Apple.
Marc Jacobs, qui a tiré sa révérence après seize années à la tête de la création de Vuitton, dont il a lui aussi généreusement fait fructifier les bénéfices, avait également compris tout l’enjeu de ce nouvel eldorado. Dès 2008, il avait été parmi les premiers à proposer des collaborations à la blogosphère. Mais à l’époque, on ne frôlait pas encore l’égoverdose qui justifie peut-être le changement d’attitude amorcé par le milieu modeux à son égard…
Delphine Kindermans, rédactrice en chef
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