Décider de ne pas être mère: « J’en appelle à ce qu’on laisse les femmes tranquilles »

Chloé Chaudet © Céline Nieszawer/Leextra/L'Iconoclaste
Aurélie Wehrlin Journaliste

A 35 ans, Chloé Chaudet, publie un livre sur son choix de ne pas être mère. Un récit-témoignage émaillé de références qui revient sur le parcours d’une jeune femme à l’image de beaucoup d’autres -voire toutes – jalonné d’étapes où la pression sociale quant à la maternité s’exerce. Rencontre avec une femme libre, ni dénataliste, ni pédophobe, mais déterminée à donner de la voix à celles qui ne veulent pas forcément être mère mais aussi à celles qui regrettent de l’être devenues.

Comment est née ce livre

Je faisais mes études en Allemagne, et en rentrant en France, la pression à devenir mère m’est littéralement tombée dessus. Je parle de la France, où je vis, mais, même si le taux de fécondité en Belgique est un peu plus bas qu’en France, finalement, les éléments que je pointe dans mon livre sont très similaires dans ces deux pays. Un phénomène qui leur est commun est l’omniprésence du double modèle, de la femme qui a des enfants et qui par ailleurs travaille. Il ne date pas d’hier, Élisabeth Badinter le fait remonter pour la France au 18e siècle, ce moment où on prend conscience que la femme ne peut pas consacrer toute sa vie à ses enfants et où se développe la pratique des nourrices. C’est un modèle très prégnant en France et en Belgique aujourd’hui, et qui n’existe pas vraiment en Allemagne. Là-bas, c’est le contraire: c’est terrible en termes sociaux, mais, on distingue clairement la femme qui décide d’élever ses enfants et la femme qui travaille. À tel point qu’il existe même un terme pour qualifier, de manière péjorative évidemment, les femmes, qui, comme beaucoup de Françaises et de Belges, travaillent et ont des enfants, celui de « Rabenmutter », traduisible par « mère corbeau ». Cette expression sous-entend qu’elles négligent leur progéniture. Cette dichotomie est donc encore très très marquée outre-Rhin. Or, ayant fait toutes mes études en Allemagne, a aucun moment je n’ai pris conscience de cette problématique sociale, parce que je vivais le bon côté des choses. On ne m’avait jamais questionné sur mon désir de maternité, puisque je faisais des études. C’est au moment où je suis revenue en France, à l’âge de 26 – 27 ans, que je me suis rendu compte de la force de ce double modèle.

Le double modèle de la femme qui travaille et a des enfants n’existent pas en Allemagne. Là-bas on distingue clairement la femme qui décide d’élever ses enfants et la femme qui travaille. Il existe même un terme pour qualifier, de manière péjorative, ces femmes, qui, comme beaucoup de Françaises et de Belges, travaillent et ont des enfants: celui de « Rabenmutter », traduisible par « mère corbeau ».

De manière plus générale, en France et en Belgique, nous sommes tellement biberonnées, les femmes en particulier, et ce dès notre plus jeune âge – à la crèche, dans la cour de récré – que la charge parentale et plus généralement ce qui relève du soin, de l’écoute d’autrui, repose sur les épaules des femmes, que petit à petit , inconsciemment on s’habitue à l’idée que les petites filles, les filles, les jeunes femmes, les femmes un peu plus âgées, sont amenées à s’accomplir forcément dans un dessein qui parait comme le seul dessein enviable : celui d’être mère. C’est quelque chose qui participe bien sûr d’une construction sociale, mais aussi bien sûr de quelque chose de beaucoup plus profond, à savoir la perpétuation de l’espèce humaine qui est inscrite dans nos gènes, même dans nos corps.

Dans mon livre, j’ai voulu parlé de mon parcours, mais l’idée c’était aussi de sélectionner des moments de ma vie qui nous parlent à toutes: la cour de récré, puis les premiers cours d’éducation sexuelle où l’on nous fait comprendre qu’il existerait quelque chose qui s’appelle l’instinct maternel, la première fois qu’on entend une amie nous parler de l’horloge biologique. Des moments qui jalonnent le parcours de quasiment toutes femmes, que ce soit en France ou en Belgique. Quelque chose de très social explique ces injonctions, et quelque chose de plus profond aussi. Les deux vont de pair. Ce n’est pas juste un choix, une aspiration, qui relève du domaine de l’intime, c’est plus complexe. Et c’est ce qui est en jeu quand on décide ou pas d’avoir un enfant.

Une question revient souvent j’imagine, celle de la certitude d’avoir fait le bon choix en ne voulant pas d’enfant. Jamais vous n’avez eu d’hésitations?

Si bien sûr, j’ai eu des hésitations, et j’en ai encore. Je reviens dans mon livre sur ces moments de doutes, qui surviennent généralement après des conversations avec des amis ou des proches qui me demandent : pourquoi je n’ai pas d’enfants, et pourquoi je n’en voulais pas. Des situations où je me trouve sommée de me justifier. Ces moments où le doute survient semblent à la fois relever des pressions que je subis, et de quelque chose de plus intime. J’explique la persistance de ces petits tiraillements par l’idée que j’ai l’envie au fond de moi – envie qu’ont beaucoup de femmes – de vivre plein d’expériences. J’ai parfois des tiraillements comparables quand je pense à la carrière de médecin que j’aurais pu mener, mais à laquelle j’ai dû renoncer parce que je ne supporte pas la vue du sang. Ce n’est pas très différent dans le fond.

Vos doutes surviennent donc au regard d’une alternative pour laquelle vous auriez pu opter…

Oui et ça correspond en général à ce que vivent les femmes dans mon cas, si l’on en croit les études sociologiques et psychologiques. Un quart des femmes interrogées sont persuadées qu’elles n’auront pas d’enfants, contre trois quarts qui n’en sont pas sûres. Autrement dit, ce qu’il faut bien comprendre c’est que les femmes qui savent très vite qu’elles ne veulent pas d’enfants ne représentent pas une majorité. Chez les autres – et c’est pareil chez les hommes – cette décision est le fruit de tout un parcours de vie, dans lesquels de nombreux facteurs entre en jeu et peuvent amener à ce que les choix s’affermissent, comme dans mon cas: j’ai beaucoup voyagé, j’ai fait mes études entre différents pays. C’est là un aspect que l’on retrouve souvent dans les témoignages. J’ai aussi eu mon premier poste à l’université assez tardivement, je mène une carrière universitaire prenante et je ne travaille pas dans la ville où j’habite. Enfin, je vis avec un homme qui lui non plus ne veut pas d’enfant. Ce sont donc des choses très concrètes.

Au fil du temps, ces raisons se cumulent les unes aux autres, s’entremêlent. Il n’existe dont pas de cause principale.

Je ressens aussi une angoisse environnementale, qui n’est pas du tout à lire comme un argument dénataliste, mais plus personnel: j’éprouve véritablement une inquiétude de plus en plus forte au fil des années quant à l’avenir de nos sociétés. Je suis tellement inquiète et anxieuse par nature que je ne me vois pas prendre cette responsabilité.

Autre raison que j’aurais pu vous citer au début c’est que je suis enseignante depuis l’âge de 23 ans. Alors que peut-être que si je n’avais pas enseigné, j’aurais ressenti un autre besoin de transmettre. C’est encore quelque chose qui joue en ce qui me concerne, moi. C’est pas du tout une substitution, je ne dis pas qu’être enseignante c’est comme avoir des enfants. Mais disons que j’ai déjà l’impression de m’inscrire dans la vie de la société, de m’engager, de dialoguer, de transmettre. Je ne dis pas que ne pas enseigner aurait suffit, mais peut-être que ça m’aurait encouragée à voir les choses différemment.

Au fil du temps, ces raisons se cumulent les unes aux autres, s’entremêlent. Il n’existe dont pas de cause principale. Comme c’est le cas pour les personnes qui souhaitent avoir des enfants. Quand on regarde les études sur le désir de parentalité, on remarque aussi six ou sept raisons qui reviennent tout le temps, et qui varient aussi beaucoup selon le parcours de vie. Mais pas une raison en particulier. Et personnellement, plus je vieillis, moins la perspective d’avoir des enfants m’intéresse. Après, je ne suis pas devin, et peut être que dans 10 ans ma personnalité va complètement muter. Mais je pense qu’il faudrait que je sois totalement métamorphosée pour que j’ai changé d’avis, j’ai une certitude intuitive, un peu viscérale. Certaines femmes savent qu’elles vont avoir des enfants très jeunes. Dans mon livre, je relate les propos d’une amie qui enfant me disait déjà qu’elle savait qu’elle aurait des enfants. De la même manière, sans que je ne sache vraiment l’expliquer, je sens que j’en voudrais pas. Ce n’est pas totalement de l’ordre du rationnel, une part de mystère demeure, et cela peut paraître orgueilleux de dire « j’en suis sûre ».

Quant au caractère définitif de cette décision de ne pas être mère, je constate qu’il y a moins de suspicion à l’égard des personnes qui ont choisi d’avoir des enfants.

Et du reste, quant au caractère définitif de cette décision de ne pas être mère, je constate qu’il y a moins de suspicion à l’égard des personnes qui ont choisi d’avoir des enfants. Certaines peuvent, pas forcément le regretter, mais peuvent se dire qu’elles auraient voulu vivre une autre vie, ou avoir moins d’enfant. Mais tout ça c’est extrêmement tabou, c’est quelque chose dont on ne parle pas encore, ou très peu. Mais je dirai que dans mon cas c’est la même chose, mais dans un autre sens.

En fait le choix des filles ou femmes qui déclarent vouloir des enfants, est complétement admis mais le reste, ne pas en être sûre et l’affirmer comme tel ou dire tout simplement qu’on ne veut pas d’enfants passent moins bien voire mal…

Oui parce qu’en termes sociologiques, c’est une minorité. En France c’est 4,5 % des femmes âgées de 18 à 79 ans qui savent qu’elles ne veulent pas d’enfants. Ça correspond quand même à plus d’un million sur plus de 60 millions. Ce que j’ai essayé de faire aussi avec mon livre, c’est d’intégrer des femmes qui ont parfois aussi un enfant et à qui on somme de faire le prochain. Ou quand elles en ont deux, deux filles le plus souvent, à qui on demande : « mais, vous ne voudriez pas avoir un fils aussi ». En fait ça ne s’arrête jamais. J’en appelle à ce qu’on laisse un peu les femmes tranquilles. Qu’elles ne veulent pas d’enfant du tout, ou qu’elles en ai un ou deux. Afin de considérer chaque femme comme est libre de s’autodéterminer à sa guise.

Comment expliquez-vous que la société – « les gens » – se sentent si concernés quant au nombre d’enfants qu’une femme décide d’avoir ou pas ?

Il y a tellement de raisons. D’abord, sans doute parce que ce qui est diffèrent questionne, intrigue. Et quand il s’agit d’une femme à qui on associe depuis la nuit des temps le poids de la parentalité, cela suscite de l’incompréhension. D’autant plus quand on est comme la France, un pays qui est très fixé sur la natalité et la fécondité.

Par exemple, on sait que la fécondité sur l’année a un peu baissé en raison de la crise sanitaire. Et on entend déjà des cris « Oh la la c’est affreux, ça va baisser ! ». Mais les démographes sérieux qui s’expriment sur le sujet expliquent qu’il faut regarder au long court, sur une génération de femmes. Et quand la femme est arrivée à l’âge de 50 ans, observer combien d’enfants elle a eu. De là peut-on constater à une baisse de la natalité ou non. Et en regardant ainsi, on s’aperçoit que la fécondité est stable depuis 40 ans en France.

J’en appelle à ce qu’on laisse un peu les femmes tranquilles. Qu’elles ne veulent pas d’enfant du tout, ou qu’elles en ai un ou deux. Afin de considérer chaque femme comme est libre de s’autodéterminer à sa guise

Sans entrer dans une dénonciation du « patriarcat » – notion au singulier un peu problématique selon moi parce que cette domination masculine s’incarne de tellement de manières différentes sur le globe – il y a quand même l’idée d’une appropriation du corps de femmes de manière générale. Qui se reflète dans le jugement permanent du physique des femmes et son éternelle jeunesse sollicitée, et tous ces éléments qui consistent finalement à s’approprier, de plus ou moins consciemment, le corps féminin.

Une autre raison qui me semble aussi assez massive, est cette norme du faire famille, très très présente. Je ne dis pas du tout qu’il faut déconstruire toutes les familles, mais ce qui est assez intéressant c’est que, dans le contexte actuel, cette période instable,où l’on ne sent pas forcément très à l’aise, se développe l’idée selon laquelle le foyer familial constituerait une forme de refuge, de protection absolue. Dans les années 50, il y avait déjà ce modèle-là, mais le modèle féminin qui était alors valorisé était celui de la femme au foyer. Or, alors qu’on assiste à nouveau à une résurgence très forte de la norme du faire famille, très manifeste depuis le début la crise du covid, alors que le contexte des années 50 a été remplacé par un système que l’on peut qualifier pour aller vite, de néo-libéral, au sein duquel la femme doit à la fois s’investir au sein du foyer et dans sa vie professionnelle.

Mais le but de mon livre ce n’est pas du tout à en appeler à la dénatalité, je ne souhaite pas du tout que les femmes autour de moi n’ai plus d’enfants. Au contraire. J’y explique d’ailleurs que j’apprécie de jouer à la baby-sitter de temps en temps. J’aime bien les enfants de mes amis, dans la perspective de leur gentillesse, pas dans l’absolu. Je n’ai vraiment rien contre les enfants. Le but ici est plus de faire en sorte que ce choix de ne pas avoir d’enfant soit accepté. Sans que ça ne devienne une propagande. Il existe tellement de façons de transmettre. Parce que tout simplement la transmission ne se limite pas au foyer familial.

Il est assez intéressant, dans le contexte actuel, cette période instable,où l’on ne sent pas forcément très à l’aise, de constater que se développe l’idée selon laquelle le foyer familial constituerait une forme de refuge, de protection absolue

Pensez-vous que votre livre aurait eu pareil écho il y a une dizaine d’années?

Non, très clairement. En remontant un peu avant, je suis tombée sur les travaux d’Edith Vallée, alors psychologue très active au sein du Mouvement de Libération des Femmes, qui a publié dans les années 80 un livre sur le non désir de maternité, pour lequel elle a recueilli des témoignages de femmes qu’elle a rencontrées. Elle a republié ce livre au début des années 2000. Et dans un cas comme dans l’autre, il est passé totalement inaperçu. Aucun écho. Je ne pense même pas qu’en 2010 ça aurait très différent. Effectivement je crois que ce n’est pas un hasard si mon livre trouve une telle résonnance aujourd’hui. Pourtant, je n’y fais rien de spécial : je ne fais en fait que reprendre certains grands discours féministes, pas des choses très révolutionnaires, que j’incarne grâce à mon parcours. Alors oui, combiner un récit-témoignage à des réflexions universitaires est inédit. C’est ce qu’on appelle la recherche création en France. C’est très intéressant au nouveau de l’écriture. Mais c’est vraiment la seule nouveauté, parce que tout ce que je dis a déjà été dit, vécu, réfléchi. Et même si j’apporte quelques petits éléments qui me sont plus personnels, mais je n’ai absolument pas l’impression de révolutionné la question.

Je vous avoue que je suis assez surprise que le texte ait un tel écho. Mais comme quoi, c’était le moment de l’écrire.

Ce livre arrive à un moment de libération de la parole. On peut l’appeler de manière un peu caricaturale période post #MeToo. Mais n’empêche que c’est vrai : la parole féminine se libère, que cela concerne le rapport au quotidien, à l’intimité, le rapport au consentement, le rapport au grand tabou qu’est l’inceste, à la pédophilie. Je pense que c’est le moment pour que ce soit abordé. C’est aussi pour ça que j’ai voulu écrire ce livre, pour faire résonner des voix qui n’avaient pas été assez entendues selon moi. Le fait d’avoir proposé quelque chose qui n’est pas juste une étude universitaire ou juste un témoignage, j’ai l’impression que ça fonctionne. C’est assez intéressant, parce que ça me permet d’être invitée sur France Culture, mais aussi de magazine féminin comme Cosmopolitan. et toucher des publics très différents. Sur ce coup, je pense que la forme du texte a pu aider. Mais je vous avoue que je suis assez surprise que le texte ait un tel écho. Mais comme quoi, c’était le moment de l’écrire.

Quels types de réactions avez-vous reçus, à la suite de la publication de votre livre ?

J’explique dans les entretiens, et un peu dans mon livre, que la fécondité chez une femme ne s’arrête pas à 35 ans. Depuis quelques années, les travaux de Martin Winckler, ou encore avant ça, l’ouvrage de Susan Faloudi expliquent que les études ayant essayé de prouver cela, datent du 19e siècle. Aujourd’hui, la plupart des études scientifiques vraiment sérieuses, qu’elles soient françaises, américaines, scandinaves, partent du principe que, jusqu’à 42 -43 ans, on a de bonnes chances de tomber enceinte, quitte à recourir à une fécondation in vitro. Les études sont d’accord pour dire que ça ne s’arrête pas comme un couperet à 35 ans et que c’est beaucoup plus compliqué que ça.

Je n’aurais pas cru être attaquée là-dessus. J’aurais imaginée être attaquée sur le mode « c’est une égoïste », ou alors c’est une intellectuelle qui ne pense qu’à ses livres, ou ce genre de choses assez classiques, et non sur ce genre de faits admis.

Mais, à la sortie de mon livre, c’est sur ce point que je me suis faite attaquée, et l’on m’a accusée à maintes reprises de propager des fausses nouvelles. Des griefs du type « Après 35 ans, c’est dangereux d’avoir un enfant », ou bien « c’est dangereux de dire qu’on peut avoir un enfant à 35 ans » ou encore « Ne propagez pas de fausses informations, après 35 ans ça n’est plus possible ». Ces réactions m’ont un peu stupéfaites, car pour moi, c’était un acquis scientifique. Mais je me rends compte que ce n’est pas forcément un discours qui est propagé même par le corps médical. D’ailleurs dans mon livre, je relate une scène avec une gynécologue, qui au moment où j’ai 32 ans, me dit : « faudrait vous dépêcher parce qu’après 35 ans, ce n’est pas conseillé ».

Je n’aurais pas cru être attaquée là-dessus. J’aurais imaginée être attaquée sur le mode « c’est une égoïste », ou alors c’est une intellectuelle qui ne pense qu’à ses livres, ou ce genre de choses assez classiques, et non sur ce genre de faits admis. Ça met une pression folle sur les femmes. Mais quand on voit ce type de commentaires, on se dit qu’il y a encore du boulot.

Avez-vous également reçu des réactions de femmes qui regrettent de ne pas avoir eu votre courage, c’est-à-dire, d’être devenues mères?

Dans mon livre, je parle du travail d’une sociologue Orna Donath, qui a publié un livre, intitulé Le regret d’être mère, qui a été traduit en français en 2019. Elle avait suscité un énorme débat en Allemagne, à tel point qu’elle avait dû refaire une préface à l’édition allemande. Mais dans le contexte francophone, le livre était passé inaperçu, si ce n’est quelques petites interviews par-ci par-là, mais rien de retentissant. Mais, deux semaines avant la sortie de mon livre (sorti le 15 avril, NDLR) , un mouvement a emergé sur Twitter à travers le #regretmaternel, rassemblant des témoignages de mères expliquant qu’elles regrettaient, car elles avaient d’énormes difficultés à endosser leur rôle de mère. Certaines de citer le nom d’Orna Donath. Ce qui confirme ma conviction qu’on vit un moment singulier, pas forcément un MeToo maternel, mais quand même.

Ces témoignages sur le regret d’être mère sont le signe d’un mal-être. Et ça m’étonne qu’au lieu de juger ces femmes parce qu’elles expriment un mal être, on ne cherche pas à trouver de remèdes à ce mal être.

Ces femmes qui témoignent reviennent sur le fait qu’elles aiment leurs enfants, ce n’est pas l’être profond de leur enfant qui est en question, mais c’est tout ce qui leur incombe en terme de charge maternelle, en termes de difficultés professionnelles. Très souvent aussi il y a l’idée qu’elles ne sont pas soutenues par leur conjoint. Comme pour toutes les situations liées à la parentalité, c’est assez complexe. Mais j’ai trouvé ça assez édifiant de constater que ça sortait presqu’au même moment, comme s’il y avait un besoin de libération de la parole sur ces choses très intimes, mais aussi très politiques. Ces témoignages sont le signe d’un mal-être. Et ça m’étonne qu’au lieu de juger ces femmes parce qu’elles l’expriment, on ne cherche pas à trouver de remèdes à ce mal-être. Alors certes la politique familiale en France est des plus généreuses, mais ça ne fait pas tout. Il faut notamment éduquer les jeunes garçons à s’intégrer dans la parentalité. Et ça ça commence au plus jeune âge. Et on le voit bien, c’est loin d’être gagné. Les allocations et l’allégement des impôts, ça n’est pas ça qui permet de créer une parentalité épanouie.

Considérez-vous votre décision comme un acte féministe ou juste celui d’une personne libre de ses choix ?

En amont ce n’est pas spécifiquement un acte féministe. Mais les penseuses féministes m’ont aidé à comprendre pourquoi mon choix provoquait une telle incompréhension. En fait chez moi ce choix est juste la conséquence d’une absence d’envie. Ce n’est pas du tout un acte idéologique, et même si j’ai une sensibilité écologiste, je ne suis pas du tout une dénataliste. C’est une décision qui relève de mon libre arbitre tout simplement.

Chloé Chaudet, J'ai décidé de ne pas être mère, éditions l'Iconoclaste, sortie le 15 avril 2021
Chloé Chaudet, J’ai décidé de ne pas être mère, éditions l’Iconoclaste, sortie le 15 avril 2021© DR

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