Décryptage: comment expliquer le succès du scoutisme?

© JÉRÔME DELHEZ
Mathieu Nguyen

La RTBF les a remis sur le devant de la scène médiatique avec sa série Coyotes, mais les scouts font partie du décor depuis plus d’un siècle en Belgique. Notre petit pays a même fait des mouvements de jeunesse une spécialité. Explications et récits de mordus.

L’été est là, c’est la saison des grands camps pour les quelque 300.000 membres de mouvements de jeunesse que compte le pays. Après une année chahutée, pendant laquelle les activités ont été interrompues puis adaptées, des milliers de jeunes n’attendent qu’une chose: retrouver l’odeur du feu de camp et des tentes SNJ, le roulement strident du sifflet et les cris de patrouille qui résonnent dans la forêt. De quoi nous donner l’envie de nous pencher sur le phénomène et d’explorer pourquoi la population belge a toujours trouvé si séduisante l’idée de crapahuter en short au milieu des ronces, avec Adrien Mogenet, porte-parole de la Fédération des Scouts Baden-Powell de Belgique.

Les seuls pays où il y a proportionnellement plus de scouts que chez nous sont ceux où le scoutisme est intégré au programme scolaire et donc obligatoire.

« Le scoutisme fait partie de la société belge, du quotidien de la population, tout le monde connaît des scouts dans son entourage. Proportionnellement, il y a énormément de scouts chez nous en comparaison avec d’autres pays du monde. D’ailleurs, les seuls pays où il y a plus de scouts sont ceux où le scoutisme est intégré au programme scolaire et donc obligatoire », se félicite-t-il. Et avant de poursuivre, précisons que l’on parle de scoutisme pour évoquer tous les mouvements de jeunesse, donc les Scouts, les Guides, les Pluralistes et les fédérations néerlandophones, qui malgré quelques spécificités partagent le même ADN. « Globalement, les valeurs de base et la méthode sont identiques: on va toujours trouver bien plus de points communs que de différences, admet Adrien Mogenet. Les divers courants puisent leurs racines dans la pilarisation de la société belge, avec en premier lieu catholiques et laïcs. Et c’est une réalité qui s’estompe dans toutes les sphères de la société, donc ça vaut pour le scoutisme. Les fédérations continuent de coexister parce qu’elles sont héritières d’un certain passé, mais on discute énormément, il y a beaucoup de lieux où l’on prend des décisions conjointes ; à peu de choses près, l’esprit est le même. »

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D’accord pour le constat, mais qu’est-ce qui a fait de la Belgique un terreau si fertile? Le porte-parole pointe d’emblée une raison historique: le soutien de longue date des pouvoirs publics. « Les autorités ont investi dans ce type d’enseignement éducatif, complémentaire à l’éducation formelle, à l’école. Contrairement à d’autres fédérations, nous recevons des subventions, ce qui nous permet d’offrir une qualité dans l’encadrement, la formation des chefs, les outils pédagogiques, que l’on n’aurait jamais pu atteindre avec nos seuls moyens. Nous ne sommes pas les seuls dans ce cas, mais c’est une explication parmi d’autres. »

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La jeunesse au pouvoir

Le coup de génie des fédérations belges, c’est donc d’avoir confié les clés à la jeunesse, d’avoir prôné un scoutisme « pour » les jeunes, « par » les jeunes. Adrien ne peut que confirmer: « Les animateurs, porteurs de la pratique scout et organisateurs des activités, sont de jeunes adultes entre 18 et 25 ans, et ils sont plus sensibles au changement, plus attentif à proposer des activités qui vont parler aux enfants et aux ados. Ce sont eux qui font vivre le scoutisme, qui renouvèlent en permanence les pratiques et les traditions, ça contribue au dynamisme – à l’inverse, il y a des pays où l’on ne peut pas être chef si l’on n’a pas soi-même des enfants, et ce n’est pas du tout le même esprit. » Tout cela implique aussi une bonne dose de confiance de la part des parents, ce qui n’est pas toujours facile, mais leur inquiétude n’est pas justifiée dans les faits – ou au moins pas plus qu’ailleurs. « Je ne vais pas dire qu’il n’y a jamais eu de problème, reconnaît Adrien, mais ça reste très marginal, et certainement pas plus fréquent qu’ailleurs, où les sections sont gérées par des adultes, supposés plus mûrs. Ça n’apporte donc que du positif – mais ça passe aussi par l’accompagnement d’un staff d’unité, qui a moins un rôle d’animation que de supervision, et qui lui est composé d’adultes, on ne peut l’intégrer avant l’âge de 27 ans. »

Décryptage: comment expliquer le succès du scoutisme?
© JÉRÔME DELHE

Bref, nous avons trouvé la recette gagnante, ou avons au moins eu les moyens de l’appliquer, ce qui se traduit par des chiffres record et une croissance régulière depuis vingt ans: en moyenne, mille membres en plus chaque année. On a même enregistré un boom des inscriptions entre 2020 et 2021, avec une hausse de 3000 membres, alors que dans d’autres pays, c’est la chute libre – l’Angleterre, pays natal de Robert Baden-Powell connaît son niveau le plus bas depuis la Seconde Guerre mondiale. « On n’a pas fait d’enquête mais c’est difficile de pas faire le rapprochement, avoue le porte-parole.

C’est là que le scoutisme s’avère d’autant plus intéressant comme proposition alternative, on peut y retrouver une certaine authenticité dans la vie en groupe, se déconnecter une fois par semaine, passer du temps en extérieur, sans que ce soit dans le cadre de l’école ou à la maison.

Etant tournés vers les activités en extérieur, on a été moins empêché que d’autres secteurs, nos protocoles étaient moins stricts – même si on a dû tout arrêter pendant des semaines aussi. Et même s’il fait partie des raisons, la Covid n’explique pas tout. Quand on compare la vie d’un enfant ou d’un ado d’aujourd’hui, il y a beaucoup plus de moyens d’être connecté à ses amis qu’il y a trente ans, via un certain nombre d’écrans. Ça a des bons côtés, mais aussi d’autres moins bons, comme une certaine tendance à être casanier, que la crise sanitaire a encore renforcée. C’est là que le scoutisme s’avère d’autant plus intéressant comme proposition alternative, on peut y retrouver une certaine authenticité dans la vie en groupe, se déconnecter une fois par semaine, passer du temps en extérieur, sans que ce soit dans le cadre de l’école ou à la maison. C’est une offre qui a encore beaucoup de sens aujourd’hui, une vraie bouffée d’air frais, au sens propre. » Autant dire que le scoutisme belge a encore un paquet de beaux jours devant lui.

« Des petites bulles de bonheur autour du feu »

Vincent Taloche, humoriste

Vincent Taloche
Vincent Taloche© BELGA IMAGE

Surtout connu comme l’un des frères Taloche, il fut un temps où Vincent Counard était surnommé Sajou, pince-sans-rire. A l’époque, le showman se mettait déjà en scène autour des feux de camp pour le plus grand plaisir de ses camarades.

Cette aventure, Vincent Counard y a pris part tout jeune, rejoignant la meute de louveteaux à Heusy, avant d’intégrer plus tard la troupe d’éclaireurs à Ensival. Le Verviétois n’est jamais devenu chef mais a prolongé le plaisir quelques soirs pour aider les copains animateurs pendant les jeux de nuit. Entraide et solidarité, voilà deux valeurs qui résonnent très fort dans le coeur de Vincent lorsqu’il se remémore cette époque. « Je me souviens d’un jeu de nuit où nous nous sommes totalement perdus avec mes copains. Il y a eu alors une espèce de tension, une peur qui nous a envahis et je crois que c’est la première fois que je ressentais une telle angoisse. Mais cette angoisse a créé un moment de grande solidarité. C’était un mélange entre crainte, excitation terrible et esprits solidaires. Ça m’a vraiment marqué. Il y a de grandes valeurs dans le scoutisme. Je ne dirais pas que c’est l’école de la vie car ce serait un peu prétentieux, il me semble, mais ça y participe clairement. »

Outre les valeurs « enseignées », le frère Taloche retient surtout les « petites bulles de bonheur » que procurent ces instants partagés autour du feu. « Ce qui m’a plu, c’est ce lien constant avec l’extérieur, même si on n’avait pas le problème de la technologie permanente et qu’on n’avait pas besoin de nous pousser dehors, je garde le souvenir de moments terribles en balade, dans les camps, pendant les jeux de nuit, etc. Le mouvement de troupe en plein air m’a beaucoup marqué et je pense aussi que ça apprend à vivre en groupe et je trouve ça très important. Je repense aux feux de camp, chacun avec sa petite couverture, un qui chantait bien, moi qui racontais quelques conneries… Pour ces instants de plaisir, on n’a pas besoin d’argent, pas besoin de jeux vidéo et ça laisse plein de bons souvenirs. » Si Vincent Counard est conscient que les mouvements de jeunesse ne plaisent pas à tout le monde (enfants comme parents), il conseille à tous les jeunes d’en faire l’expérience un jour.

« Tout de suite, ça devient cool d’aider les autres »

Saule, chanteur

Saule
Saule© BELGA IMAGE

Déjà très occupé dans ses vertes années, l’artiste, qui a sorti son nouvel album Dare-dare, mi-juin, a poussé moins loin que d’autres son cursus chez les scouts, mais ça ne l’a pas empêché de « baigner dans le milieu » et de s’y plaire…

« J’ai été scout très jeune, j’ai fait ce qu’à Mons, on appelait « les Papous », puis j’ai été aux louveteaux, mais ensuite j’ai dû arrêter parce que je faisais beaucoup de basket, vers l’âge de 15 ans. » Heureusement, une bonne partie de son entourage fréquente les mouvements de jeunesse, et Saule s’y épanouira au gré des intendances, dans un rôle de cuistot. « C’est un milieu que j’ai toujours aimé et c’est marrant de voir que tant d’artistes sont passés par là – notamment Girls in Hawaii (NDLR: Antoine et Lionel ont été chefs dans la même troupe de Braine-l’Alleud), toute leur bande a fait les scouts et ça se ressent ; je suis très pote avec eux. » Papa de deux enfants, le Dusty Man les a évidemment inscrits dans un mouvement de jeunesse, et il encourage tous les parents à faire de même: « Pour moi ,c’est hyper important, cela m’a aidé à me dépasser, ça m’a marqué et ça me marque encore aujourd’hui. Et en tant que parent, je vois bien à quel point ça ouvre mes enfants sur le monde et sur les autres. »

D’après Saule, si l’école forme à l’apprentissage de matières, le scoutisme est « une école de la vie », où l’on enseigne des valeurs « que l’on trouve parfois désuètes », mais chères à ses yeux, comme l’amitié, la camaraderie, le soutien aux plus faibles ou le souci de la nature. La raison de leur adoption par les mômes, il l’explique par une analogie dont il a le secret: « Si un préfet d’éducation dit « Ramassez les papiers par terre, il faut respecter l’écologie », le message va passer moyen. Mais si c’est un chef que l’on admire, parce qu’il est cool et que le soir il joue Nirvana à la guitare, qui lance «  »Hé les gars, on va aider la dame avec la brouette » – tout de suite, ça devient cool d’aider les autres. C’est une sorte de grand-frère émancipé, qui a parfois un pouvoir plus grand que des profs ou des éducateurs, et ce mélange d’autorité et d’admiration, ça renforce la transmission des valeurs ; je ne sais pas l’expliquer, mais il y a un supplément d’âme à recevoir un enseignement de la part d’un chef scout. »

« Une structure primordiale pour la jeunesse »

Isabelle Durant, politicienne

Isabelle Durant
Isabelle Durant© BELGA IMAGE

L’ancienne vice-Première ministre Ecolo, alias Tshikapa Go On, n’a jamais fait de mystères quant à son amour du scoutisme. Elle regorge de souvenirs « lointains mais très bons » de sa vie de guide.

« J’ai fait du scoutisme pendant dix ans, jusqu’à l’âge de 20 ans – ça compte, c’est tout de même beaucoup à l’échelle d’une vie. J’ai commencé à la Compagnie du roi Albert à Schaerbeek – d’ailleurs j’habite en face de leurs locaux, je les vois le week-end, j’entends les cris de patrouille – puis j’ai été cheffe ailleurs, avec des adolescentes, que l’on appelait les Guides Horizon. J’y ai appris plein de choses, notamment la débrouillardise et le sens des responsabilités, et ça m’a beaucoup servi dans ma vie ultérieure, et même aussi un certain sens du risque – bon, parfois certains en prennent trop, heureusement la formation des chefs était de qualité à mon époque, et je pense que c’est toujours le cas. »

Si l’ex-coprésidente d’Ecolo confesse n’avoir pas vu la série de la RTBF, elle est persuadée que les mouvements de jeunesse restent plus pertinents à l’heure actuelle que jamais: « Ce qui fait la force du scoutisme, c’est un socle de valeurs extrêmement claires et des symboles comme l’uniforme, les foulards, etc., ça confère une certaine structure qui est primordiale pour la jeunesse, alors que la société d’aujourd’hui est beaucoup plus floue. On y apprend la solidarité, l’écoute, et la simplicité; il fallait se débrouiller avec pas grand-chose, alors oui on mangeait beaucoup de crasses et de saucisses brûlées, mais ça n’est pas grave: au contraire, ça fait beaucoup de bien. J’ai gardé beaucoup de souvenirs marquants, notamment ma promesse à 12 ans: on s’engage devant les autres à devenir une bonne personne, c’est un moment important. Un peu de solennité ne peut pas faire de mal aux ados. »

Quant à savoir pourquoi notre petit pays a été un terreau si fertile, Isabelle Durant a bien sa petite idée sur la question: « La Belgique est un mini-monde, un pays plus diversifié, plus mélangé que les pays voisins – la société belge, c’est « un peu de tout », comme on dit. Et contrairement à d’autres pays, les loisirs de nos enfants ne sont pas dictés par une idée d’excellence ; on ne les force pas à enchaîner des cours, de langue, de musique, de maths, par contre on est intéressés par l’idée de leur apprendre à vivre ensemble. Ça fait toute la différence. »

« Ça a initié tout un travail sur moi-même »

Catarina Letor, journaliste

Catarina Letor
Catarina Letor© LN24

Entre la journaliste et présentatrice de la chaîne LN24 – plus connue autour du feu de camp sous le totem Mangabey, Welcome to the Fun – et le mouvement, c’est une véritable histoire d’amour, avec beaucoup de hauts et peu de bas.

Après un faux départ et un bricolage mystérieusement cassé, Catarina se lance à 7 ans dans la grande aventure du scoutisme. D’abord lutin et puis guide, enfin pionnière et finalement cheffe, elle quitte la grande famille, à regret, à 24 ans. La tête remplie de souvenirs et enrichie d’une expérience pleine de sens, d’enseignement et de bienveillance. « C’est hyper difficile de choisir une seule anecdote. Je pense qu’en tant qu’animée, au-delà de tous mes souvenirs de galère, qui sont finalement les meilleurs, un de mes plus beaux est mon dernier camp lutin. J’étais sizainière et on m’avait toujours reproché de prendre trop de place, de parler trop fort, d’un peu écraser les autres. Je me suis alors dit que maintenant, je devais être sûre que chacun puisse avoir sa place. Ça a initié tout un travail sur moi-même. Et à la fin du camp, j’ai été mise à l’honneur. C’était clairement la consécration. »

En tant qu’animatrice, le moment fort de son parcours, c’est quand elle a repris en main, « à trois nanas », la meute. « On a encadré à nous trois cinquante petits bonhommes avec une fin de camp incroyable, raconte Mangabey (NDLR: le nom d’un singe). Tous les louveteaux pleuraient tellement ils avaient adoré. Parce que les scouts, ce n’est plus très « mecs », où on se salit et basta. C’est vraiment un parcours pavé de respect, de résilience, de bienveillance. Où l’on va à la découverte de l’autre mais de soi aussi. J’ai tellement grandi grâce au scoutisme. »

Mais pour Catarina, ce qu’elle retient de toutes ces années, c’est aussi l’apprentissage du vivre-ensemble, la valeur de l’amitié. Quand des personnes que rien ne lie, hormis les scouts, se choisissent bien souvent pour la vie. Et puis, il y a le côté aventurier, la vie sur pilotis, se réveiller en pleine nuit pour retendre la bâche, les feux de camp et l’école de la vie.

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