Stefan Zweig séduit plus que jamais

© STEFAN ZWEIG CENTRE SALZBURG

De nouvelles éditions en série : l’écrivain viennois n’a jamais tant séduit. Parce qu’il fut le témoin lucide du monde d’hier. Parce que son oeuvre, magistral traité des passions, livre aussi des clés de celui d’aujourd’hui.

Romans, nouvelles et récits, sous la dir. de Jean-Pierre Lefebvre. Gallimard, la Pléiade, deux volumes de 1 552 p. et 1 584 p. La Confusion des sentiments et autres récits, sous la dir. de Pierre Deshusses. Bouquins/Laffont, 1 312 p.

Stefan Zweig était-il ce graphomane impénitent sur lequel ironisèrent Musil, Brecht et Thomas Mann ? Etait-il cet amateur de « niaiseries sentimentales » que vient d’éreinter le poète Michael Hofmann dans une fracassante diatribe de la London Review of Books ? Ou reste-t-il ce « chercheur d’âme » célébré par Romain Rolland et tant d’autres ?

Sept décennies après son suicide – au Brésil, en février 1942 -, l’auteur de La Pitié dangereuse continue à susciter controverses et débats, tout en étant l’écrivain le plus plébiscité en France avec Shakespeare et Agatha Christie. 300 000 lecteurs pour Le Voyage dans le passé, un récit découvert par Grasset en 2008. Une autre ruée chez les libraires l’année suivante, lors de la parution de la Lettre d’une inconnue (Stock) et des Derniers Jours de Stefan Zweig, l’essai de Laurent Seksik publié chez Flammarion. Et le raz de marée continue ces mois-ci.

Un « éternel étranger »

Désormais tombée dans le domaine public, l’oeuvre de Zweig est une nouvelle manne pour les éditeurs : au programme, de multiples titres en poche, deux épais volumes de la Pléiade et une très copieuse anthologie de la collection Bouquins, le tout dans des traductions souvent inédites.

Si Zweig séduit tant, est-ce seulement parce qu’il affectionnait les formes courtes, un genre qui colle parfaitement à la génération Twitter ? Est-ce à cause de cette frénésie qui le poussait à saisir le monde par tous les bouts, avec la boulimie d’un internaute ? Sans doute, mais ce n’est pas suffisant.

Quoi, alors ? Disons d’abord qu’il fut un incomparable témoin de notre histoire et de ses tragédies, dans un siècle brisé par les guerres : né à Vienne en 1881, cet aristocrate juif toujours aux aguets, épouvanté par la « folie générale » à la veille du premier conflit mondial, dut s’exiler à Londres en 1935, puis au Brésil en 1940, pour fuir le nazisme. De quoi se définir dans ses précieux Mémoires – Le Monde d’hier – comme un « éternel étranger », nostalgique de cette Mitteleuropa qui fut, pour lui, l’ultime écho d’un inaccessible âge d’or.

Mais il y a aussi, sous la plume de l’émule de Freud, cette fièvre qui le brûlait quand il explorait les gouffres des âmes, saisies dans leurs déchaînements les plus diaboliques. « Le démon, c’est le ferment qui met nos coeurs en effervescence, qui nous invite aux expé-riences dangereuses, à tous les excès, à toutes les extases », disait Zweig, remarquable chorégraphe du vertige, dont chaque personnage semble marcher au bord d’un abîme.

Aussi l’oeuvre de l’Autrichien est-elle un magistral traité des passions, permettant de déchiffrer cette « confusion des sentiments » sur laquelle il faisait courir une écriture apaisée, lumineuse, translucide. Comme une eau claire au coeur des ténèbres. Comme une dernière valse orchestrée dans le crépuscule viennois, un monde en perdition où se reflètent nos propres inquiétudes. De quoi arracher Zweig des oubliettes où nous l’avions maintenu prisonnier, en des temps plus euphoriques.

Par André Clavel

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