Tu veux ma photo? État des lieux des initiatives créatives qui misent sur l’inclusion

© SDP

Peu visibles, les personnes en situation de handicap sont au coeur de plus en plus d’initiatives valorisantes. Parce que l’inclusion comme vrai sésame à une diversité précieuse est un droit qui devrait aller de soi. Etat des lieux en Belgique.

Si, au niveau mondial, le taux d’emploi chez les personnes en situation de handicap n’augmente pas, l’acceptation de l’invalidité progresse de manière constante. « Qu’il s’agisse d’un travail au sens classique, avec un contrat et un salaire, ou d’une activité valorisante, cette dernière n’est pas incompatible avec le marché du travail, d’autant que chacun enrichit l’autre », défend Luc Fohal chez Aviq (Agence pour une Vie de Qualité), qui cite en exemple IBM. La multinationale américaine a toujours expliqué à quel point ces employés en particulier étaient précieux; ce sont en effet les mieux placés pour penser et concevoir des produits destinés à cette frange de la population. « L’Aviq informe et conseille les entreprises pour aménager et adapter leurs conditions de travail en fonction de ces profils atypiques. Nous sommes convaincus de la valeur ajoutée d’une équipe inclusive. A la police fédérale, par exemple, je me souviens d’un malvoyant employé pour faire des écoutes téléphoniques, hyperperformant tant son ouïe s’était développée pour compenser sa vue manquante. Valoriser ces compétences plus rares est un plus pour les entreprises », ajoute Luc Fohal, persuadé que l’inclusion permet aussi à la société de poser un autre regard sur la différence. Une conviction que partage notamment Laure Cogels, cofondatrice du restaurant 65 Degrés, qui mêle handicap et gastronomie (lire par ailleurs). « On cerne mal les déficiences ou invalidités, à moins d’être soi-même touché, ou parce que l’on connaît une personne qui le vit, dans son entourage ou sa famille. Pour la majorité d’entre nous, au quotidien, c’est très peu palpable. Rendre les handicaps perceptibles participe au savoir-être de la société en général et tend à gommer le malaise que l’on peut ressentir face à certains. Cela permet de nous recentrer sur les essentiels et de ne pas déshumaniser et stigmatiser les milliers de personnes concernées en Belgique. Pour ça, pénétrer le monde professionnel est essentiel. » Car le travail définit l’identité de chacun. « Le sentiment d’appartenance à une communauté est fondamental, confirme Robin Bastien, psychologue et chercheur praticien en orthopédagogie clinique à l’UMons. Or, avoir un job ou une activité permet de se sentir inclus au sein d’un groupe. Dans un monde d’hypercompétitivité, le handicap est évidemment perçu, a priori, comme un frein potentiel. Pourtant, on se rend vite compte à quel point il peut enrichir et apporter des choses auxquelles on n’aurait jamais pensé! Les personnes autistes, à titre d’exemple, ont une capacité d’analyse époustouflante; elles sont donc très utiles dans le monde de l’entreprise. Les employeurs qui l’ont compris ont d’ailleurs ajouté une vraie plus-value en termes de performance de leur société. Idem sur le plan humain, beaucoup de stéréotypes tombent au contact de ces collègues différents. Cela permet une ouverture d’esprit sans pareille et une réflexion profonde sur la diversité. Le vrai tabou n’est pas le handicap, mais le fait que cette partie de la population soit exclue du monde du travail. »

Le vrai tabou n’est pas le handicap, mais le fait que cette partie de la population soit exclue du monde du travail.

Pour Patrick Traube, psychologue et psychothérapeute, l’inclusion est le meilleur chemin vers l’acceptation tant de la différence que de nos peurs primaires inconscientes. « Etre face à une personne en situation de handicap entraîne notamment la crainte d’être touché à son tour, celle de l’impuissance face à l’amoindrissement. Cela nous insécurise. L’inclusion permet d’abaisser nos résistances intérieures et d’accepter les fragilités et les limites du corps humain. » Aujourd’hui, en Belgique, le risque d’être au chômage quand on est en situation de handicap est deux fois plus élevé que la moyenne. Comme souvent, la Suède reste un modèle à suivre : l’invalidité n’impacte en rien les probabilités de trouver un job. Or, la majorité des personnes en situation de déficit le sont devenues au cours de leur vie. Mais chez nous, beaucoup d’initiatives voient désormais le jour. Nous sommes partis à la découverte de quatre d’entre elles, qui ont pour valeurs principales l’humain, le partage et l’échange. Avec, à la clé, une inclusion maximale.

Restaurant 65 Degrés

« Une adresse ordinaire, avec des gens extraordinaires »

« On dénombre en Belgique plus de 10.000 personnes atteintes de trisomie 21, soit une personne sur mille, et plus encore souffrant de déficiences mentales. Or, on les croise rarement dans la vie quotidienne », assène d’emblée Donatien Aymer, l’un des quatre fondateurs de 65 Degrés, restaurant bruxellois à la démarche atypique. Dans cet antre de l’art culinaire, neuf employés sur douze sont en effet en situation de handicap. Pour Laure Cogels, cofondatrice, ce challenge a pour objectif de démontrer que chacun a sa place dans la société. « Si nous sommes capables d’intégrer deux tiers de personnel porteur de handicap dans un contexte aussi ardu que la restauration, d’autres entreprises pourront le faire également. Nous espérons inspirer, comme ce fut le cas pour nous avec le restaurant Le Reflet, à Nantes, déclencheur du projet. » Les deux couples à l’origine de 65 Degrés font donc le pari de l’inclusion. « L’objectif n’est pas que les gens poussent la porte du restaurant par curiosité, nous souhaitons qu’ils vivent une vraie expérience gastronomique, qu’ils aient envie de revenir pour la qualité de la cuisine et du service », précise Laure Cogels. Même envie chez Marie-Sophie, serveuse trisomique de 33 ans. « J’adore mon travail à 100%, je suis super investie et au resto, je peux vraiment être moi-même. »

www.65degres.be

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© FRÉDÉRIC RAEVENS

Boutique Troc & Moi

« Le sentiment d’utilité est primordial »

« Travailler n’est pas uniquement synonyme de salaire, mais aussi d’intégration sociale », insiste Marc Palate, directeur du Centre Saint-Lambert d’Andenne, qui compte 240 personnes en situation de handicap. Troc & Moi, c’est avant tout un lieu d’échanges, de partage, où l’on dépose et troque des bibelots, des livres, des petits objets de déco. « Ici, aucune notion de valeur et pas d’argent, nous avons fixé des balises », ajoute le directeur. L’endroit vise en priorité l’ouverture à la société. Chaque jour, cinq travailleurs au profil différent y accueillent les clients, expliquent le projet ou nettoient des objets, mettent à jour la liste des choses rentrées, encadrés de deux éducatrices référentes. On peut également y prendre un verre et, après deux ans d’existence, la boutique a trouvé son rythme de croisière. « Certains sont des habitués, le troc n’est qu’un prétexte, ils viennent pour partager un moment, boire un café, d’autres passent par hasard. Certains de ces employés souffrant d’invalidité sont devenus accros à cette activité, elle fait vraiment partie de leur vie. Notre but était la participation sociale, c’est réussi », se réjouit Marc Palate, qui ajoute à quel point cela change la perception des habitants. « Avant, les gens « différents » étaient isolés dans le centre, sur les hauteurs d’Andenne, on ne les voyait jamais. Aujourd’hui, le regard porté sur eux évolue, grâce à ce genre d’initiative. »

Facebook: @trocetmoilaboutique

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Wrapi

« Des êtres humains comme vous et moi »

« La conscientisation de la population et mon cheminement personnel dans la philosophie zéro déchet m’ont amenée à lancer le webshop Wrapi en juin 2017 », se réjouit Alyne, aux manettes avec son compagnon, François. Le carnet de commandes ne désemplit pas et la conforte dans le besoin imminent de sous-traiter. « Engager quelqu’un représentait un risque bien trop grand, alors qu’on démarrait notre projet, on a donc eu l’idée d’avoir recours à un atelier de travail adapté, Entranam, à sept kilomètres de chez nous », raconte la fondatrice, heureuse d’ajouter une dimension sociale à son initiative. « Nous travaillons avec un binôme de base, Christine et Didier, et deux remplaçants potentiels. Je les ai rencontrés pour l’écolage et les vois en moyenne une fois par semaine. Didier et Christine aiment créer un produit de A à Z, vendu tel quel, une fois terminé. Ils voient la finalité du projet, c’est important pour eux comme pour moi. Savoir que Monsieur et Madame Tout-le-Monde vont acheter ce qu’ils ont fait de leurs propres mains les rend fiers. Ils se sentent concernés, cela me touche d’autant plus », ajoute Alyne, satisfaite de les avoir par ailleurs sensibilisés à la philosophie du zéro déchet. Quant à sa crainte initiale de déléguer, elle est dissipée. « Je suis contente d’avoir osé confier Wrapi, c’est un projet à 100% humain. »

www.wrapi.be

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Boulangerie Artos

« L’inclusion est une vraie richesse pour tous »

Dans ce nouveau centre de jour accueillant 25 adultes en situation de handicap, le projet pédagogique tourne essentiellement autour de la boulangerie. « Ces activités valorisantes leur permettent de s’insérer dans la vie active et d’en tirer une image positive d’eux-mêmes, explique Hélène d’Huart, la directrice. Nous fonctionnons au rythme de chacun, pour offrir un cheminement complet, de la livraison de la matière première à la préparation du pain, jusqu’à la vente en boulangerie. » Pour cette passionnée, le partage change tout. « On connaît mal le monde du handicap. L’inquiétude existe de part et d’autre. Or, grâce aux contacts de ces deux « univers », on apprend à installer la confiance, à changer de point de vue, à sortir des a priori et des clichés. » Hélène d’Huart se réjouit de la mise à mal d’un tabou, grâce notamment aux initiatives de ce type, qui se multiplient. « L’écho est assez positif dans le quartier, nous sommes entourés par des écoles qui nous rendent souvent visite, certains particuliers deviennent des clients fidèles, c’est très enthousiasmant! Nos boulangers ont envie d’être avec nous, d’être valorisés. Nous nous enrichissons les uns les autres, et sur un plan personnel, je continue à apprendre d’eux chaque jour. Quant à nos apprentis, ils sont fiers d’acquérir un métier. Et leurs familles sont très heureuses de les voir épanouis. »

www.asblartosvzw.be

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