Une femme (française) à Berlin

Après Beyrouth, Paris et New York, l’hilarante et non moins sérieuse collection d’ethnoguides Une vie de Pintade nous fait découvrir les coulisses de la capitale allemande du point de vue des femmes. Voici celui de son auteur, la journaliste française Hélène Kohl.

Après Beyrouth, Paris et New York, l’hilarante et non moins sérieuse collection d’ethnoguides Une vie de Pintade nous fait découvrir les coulisses de la capitale allemande du point de vue des femmes. Voici celui de son auteur, la journaliste française Hélène Kohl.

Par Baudouin Galler

Ne vous fiez pas trop à l’esthétique chick lit de la couverture. Sur près de 400 pages, Hélène Kohl, journaliste française couvrant l’actualité allemande pour Europe 1, LCI ou encore Le Journal du Dimanche, fait peu dans les fadaises de salons de coiffure. Cette Parisienne de naissance parvient en réalité à trousser une véritable radioscopie sociétale de la ville la plus branchée d’Europe sans plomber l’ambiance à coups de notes de bas de pages. À travers les portraits d’une série de Berlinoises hautes en couleur et fortes en gueule, de la Djette en vogue à la patronne du stand le plus célèbre de currywursts, l’auteure dessine les contours d’une métropole en pleine mutation. Ces femmes qui « ont reconstruit Berlin » alors que les hommes « l’ont détruite » nous donnent les clés pour comprendre l’étonnante identité de cette cité à la fois trash et polie, extrême et tolérante, pauvre et sexy. Investigation faussement légère doublée d’un carnet d’adresses hédoniste et pointu, Une vie de Pintade à Berlin est le guide tout trouvé pour celles (et ceux) qui ont en horreur de courir les villes comme des poules sans têtes.

Quand vous êtes-vous installée à Berlin ? Quelle a été votre première impression ?

J’y vis sans interruption depuis juillet 2003. J’y avais effectué un Erasmus en 1999-2000 dans le cadre de mes études en Science-Po à Paris. Je me suis d’abord sentie perdue face à son immensité. C’est une ville à rebours des modèles des capitales traditionnelles européennes. Berlin fait la nique aux conventions, même géographiques. Elle a deux centres, il faut s’en créer un troisième.

L’avez-vous vue évoluer ?

Oui, il y a eu un énorme changement au tournant des années 2000. Quand je suis venue dans le cadre de mon Eramus, le gouvernement venait de s’y installer, amenant dans son sillage des fonctionnaires, des diplomates, des journalistes. Cette population s’est d’abord posée à Charlottenburg, le quartier cossu de Berlin Ouest puis elle a découvert les énormes potentialités de PrenzlauerBerg et de Mitte, à l’Est. À l’époque on y trouvait encore des taudis avec des mecs en coloc qui payaient 50 euros par mois de loyer. Ça s’est mis à bouger et aujourd’hui, c’est complètement dénaturé. On y trouve les fameux AAA (architectes, avocats, médecins – Arzt, en allemand). Ils ont maintenant la quarantaine, habitent dans de superbes lofts, et se plaignent du bruit des Biergarten. On assiste aujourd’hui à une deuxième phase de gentrification. Elle touche les quartiers de Kreuzberg et Friedrichshain. Berlin commence à devenir un eldorado. En 2000, le taux de chômage était terrible, on y allait un an pour faire la fête. Avec le développement du télétravail, on peut s’installer à Berlin et travailler pour Sydney. Du coup, les loyers subissent un bouleversement terrifiant. Quand ils augmentent de 60 %, certains Berlinois sont obligés de partir. Du reste, le problème de PrenzlauerBerg, c’est l’homogénéisation sociale alors que le mélange est dans la nature de la ville : le punk côtoie le Turc. Des voix s’élèvent contre la « prenzlauerisation » de la ville. C’est un des débats du moment.

Et vous, avez-vous changé à son contact ? Êtes-vous devenue une Berlinoise ?

Oui et non. Quand je suis à Paris, je suis berlinoise. Je suis moins coquette à tout prix, je ne porte pas de chaussures à talons hauts qui me cisaillent les pieds, je suis moins coiffée, plus naturelle. En France, je suis terrifiée de voir comment les gens se matent, s’observent, se jugent. Le phénomène des modes est moins flagrant ici. Chacun impose son style. On n’a pas de itbag et la folie autour de l’i-Phone n’existe pas. Je pense que Berlin est moins sensible au marketing. C’est une ville qui a péché par intolérance et qui se rattrape. Personnellement, j’ai acquis un taux de tolérance supplémentaire. Mon métier m’y obligeait déjà avant, mais je suis encore moins interpellée, choquée par des allures parfois carrément détonnantes. Une punk à Berlin, c’est banal. En revanche, en ce qui concerne l’éducation de ma fille, je reste très française. Le laisser-faire, l’allaitement à la demande, très peu pour moi. Par rapport à la nourriture également : je n’ai pas adopté leur régime et leur rythme alimentaire.

Parlons des Pintadeaux, tout de même. Comment caricaturiez-vous le Berlinois ?

Je le vois comme un éternel adolescent, en colocation à 30 ans, occupé à terminer sa troisième thèse ou à monter vaguement sa boîte. Il se complait dans cette vie festive et agréable. Mais cela peut poser des problèmes… Je connais pas mal de couples qui se déchirent autour de la trentaine parce que l’horloge biologique des femmes tourne et que l’homme prend tout son temps pour envisager des projets de famille. À Berlin, c’est généralement à 35 ans qu’on commence à se mettre en couple. Cela dit, ce n’est pas toujours simple pour les hommes. Les mères berlinoises sont mises sur un piédestal, elles sont fortes en gueule et portent les foyers, à l’ancienne. Dès que les hommes deviennent pères, ils se mettent en retrait et semblent destinés à ramener l’argent à la maison pendant que leurs compagnes assurent entièrement l’éducation.

A votre avis, à quoi ressemblera Berlin dans dix ans ?

On a deux scénarii. Soit elle devient comme beaucoup d’autres villes européennes. Les promoteurs immobiliers récupèrent les terrains et les pauvres partent en périphérie. À cet égard, la projection de la chambre des notaires de Berlin indique que les loyers de Kreuzberg pourraient atteindre le niveau de ceux de Paris d’ici 10 à 15 ans. Du coup, si Berlin se lisse, sa vie nocturne perdrait de son intérêt (lire aussi en pages…). Soit on assiste à une résistance populaire des Berlinois, comme on le voit parfois aujourd’hui au travers d’actes de vandalismes (vitrines cassées, voitures rayées…) destinés à décourager les propriétaires de Ferrari de venir faire flamber les loyers.

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