Irlande: Après 20 ans de paix, le conflit nord-irlandais devient une « attraction » pour les touristes

Armes exposées au Republican museum © AFP

Sur les murs de Belfast-ouest, des graffitis rendent hommage aux disparus et préservent les traces du conflit qui a ensanglanté l’Irlande du Nord : aujourd’hui, l’histoire est racontée aux touristes par d’anciens prisonniers républicains et loyalistes.

Peadar Whelan est un de ces guides peu ordinaires. A 60 ans, dont seize passés derrière les barreaux pour avoir tenté de tuer un policier britannique à la fin des années 70, ce républicain convaincu vit aujourd’hui de ses souvenirs des « Troubles », qui ont éclaté en 1969 et duré trente ans, opposant nationalistes majoritairement catholiques et partisans de l’union avec la Grande-Bretagne essentiellement protestants.

« On parle de troubles mais c’était la guerre », corrige-t-il en débutant sa visite par l’école catholique Saint Comgall, sur Falls Road, un axe habité majoritairement par des nationalistes et des catholiques. Les murs en briques de la bâtisse, aujourd’hui abandonnée, portent encore les impacts de balles des snipers loyalistes.

Falls Road a été le théâtre de nombreux affrontements entre nationalistes et unionistes. L’armée britannique avait installé un poste de surveillance au sommet de la tour Divis, qui borde la route.

« Officiellement, il s’agissait de protéger les catholiques », explique Peadar Whelan. Mais pour lui, l’opération visait surtout à contrôler le secteur dans une logique « coloniale d’occupation ». L’objectif du sexagénaire est de raconter l’histoire nord-irlandaise au prisme du combat républicain, un récit « longtemps censuré », selon lui.

Mur dédié au gréviste de la faim membre de l'IRA, Bobby Sands
Mur dédié au gréviste de la faim membre de l’IRA, Bobby Sands © AFP

Arrivés dans un jardin du souvenir à la mémoire de militants nationalistes et de combattants de l’Armée républicaine irlandaise (IRA), Peadar Whelan évoque les « volontaires » tombés au cours des violences, que l’autre camp qualifie plus volontiers de terroristes.

Puis il emmène son groupe de touristes, une petite dizaine de personnes, dans l’ouest de Falls Road, devant une grande fresque où rayonne le sourire du militant républicain Bobby Sands, mort en cellule en 1981 après une grève de la faim de 66 jours.

« Pas de regrets »

Peadar Whelan souligne la solidarité qui régnait entre prisonniers républicains. « J’avais 19 ans, j’arrivais à peine en prison après trois jours de torture et de mauvais traitements », se remémore-t-il. « Bobby m’a accueilli avec un sac plein de biscuits, de livres, de fruits ».

Puis il s’arrête au pied du « mur de la paix » qui sépare depuis 1969 les catholiques de Falls Road des protestants de Shankill Road.

De l’autre côté du mur, c’est Noel Large qui dirige la visite, même âge et même nombre d’années de prison que Peadar Whelan, mais lui était dans le camp loyaliste. Deuxième d’une fratrie de cinq garçons, cet homme au visage émacié et aux mains couvertes de tatouages a « grandi dans la peur et la méfiance à l’égard des catholiques », raconte-t-il.

A 17 ans, il s’engage dans un groupe paramilitaire, l’UVF (Ulster Volunteer Force). Le jeune homme est impliqué dans des meurtres, tentatives de meurtres et braquages. Arrêté en 1982, il est jugé et condamné quatre fois à la prison à vie, cumulant 357 années de prison.

Il sortira finalement en 1998, grâce à l’accord du Vendredi Saint. « Ce que j’ai fait n’a servi à rien, ça n’a fait qu’empirer les choses », juge aujourd’hui ce père et grand-père.

Peadar Whelan, lui, n’a « pas de regrets »: « je suis qui je suis, j’étais qui j’étais ».

Peadar Whelan
Peadar Whelan © AFP

Aujourd’hui, ces deux hommes aux trajectoires opposées exercent tous deux, mais chacun de leur côté, leurs talents de conteur, emmenant les visiteurs dans des quartiers qu’ils connaissent par coeur, au pied du « mur de la paix » long de 4 km.

Ce mur est le plus important d’Irlande du Nord qui compte une centaine d’ouvrages du même type, censés être démolis d’ici 2023.

Mais Peadar Whelan ne les voit pas disparaître de si tôt, estimant que si « la guerre est finie », les gens restent « inquiets » de la possibilité d’un retour des affrontements, même s’il juge le processus de paix « solide ».

De son côté, Noel Large estime que si l’Irlande du Nord a trouvé la paix, la « réconciliation » n’a pas encore eu lieu. Selon lui, « il faudra des générations avant que les gens passent à autre chose et arrêtent de penser aux « Troubles » ».

Quant à l’impact du Brexit sur la paix et l’hypothèse d’un rétablissement d’une frontière entre les deux Irlande, il souligne que « personne ne sait encore quelles seront les conséquences ».

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