Jaïpur, joyau indien

Incantations hindoues et chant envoûtant du muezzin s’élèvent vers le ciel teinté de rose. Des cerfs-volants dansent devant nos yeux. Un tapis d’habitations modestes aux toits plats, serrées les unes contre les autres, à perte de vue, nous rappelle que Jaïpur, capitale provinciale du Rajasthan, compte tout de même 6,5 millions d’habitants. Sur les hauteurs de la ville, le Fort du Tigre (Nahargarh Fort) est l’escapade favorite des locaux lors des grosses chaleurs estivales. Ici, loin des rues encombrées du bazar, la brise du soir offre un délicieux répit. Pour le visiteur, ce nid d’aigle sur la colline est aussi le meilleur point de vue pour apprivoiser la ville rose et ses innombrables joyaux. Entre modernité et tradition, Jaïpur a tout d’une grande.

Pas étonnant donc qu’elle forme, avec New Delhi et le Taj Mahal à Agra, le fameux triangle d’or, le parcours typique des touristes dans le nord de l’Inde. Palais et forteresses, monuments classés, temples sacrés, festivals colorés, bijoux et tissus artisanaux, la cité impériale comble tous les appétits. Ainsi l’a voulu l’illustre Maharajah Sawai Jai Singh II quand il recruta l’architecte Vidhyadhar Bhattacharya, sorte de Haussman indien, pour en imaginer le damier. Inaugurée en 1733, Jaïpur devenait la première ville indienne dotée d’un plan d’urbanisme.

Aujourd’hui, cette belle unité est toujours visible lorsque l’on passe les remparts de la vieille ville par l’une de ses sept magnifiques portes richement peintes et surmontée de créneaux. Visionnaire érudit, le Maharajah était aussi un grand mécène : il lança une invitation à tous les artistes et artisans du pays pour faire de Jaïpur une ville d’exception à sa gloire. Centre de commerce, on y vient toujours du monde entier pour ses nombreux marchés : Johari bazar, le marché pour l’argent, les bijoux et les pierres précieuses, Bapu Bazar pour les tissus traditionnels, Tripolia Bazaar, spécialisé dans la poterie et cuivre, mais aussi le marché aux épices, aux fleurs, aux sucreries…

Sur Mizra Ismail Road, l’artère principale de la ville moderne, on ne compte plus les vitrines renfermant pierres précieuses, diamants et parures brillant de mille feux.  » A Jaïpur, il y a plus de bijouteries que d’épiceries « , sourit le beau Samir Kasliwal au Gem Palace, l’un des plus grands bijoutiers de la ville, au service des Maharajahs depuis plusieurs générations.

La lumière du jour est la plus belle au lever et au coucher du soleil, quand les rayons rasants font flamboyer les édifices de grès rouge et rose. En 1875, toutes les maisons ont été peintes de cette couleur, un cadeau du Maharajah à son hôte le Prince de Galles. On ne peut qu’avoir le souffle coupé devant Hawa Mahal, la somptueuse porte des vents, monument le plus célèbre de Jaïpur. Sa façade de 15 mètres, taillée en forme de couronne de Krishna, la divinité hindoue, est aérée par 953 petites fenêtres ou  » jharokhas  » finement ciselées. Tel un ouvrage de dentelle, elle dissimulait la vie secrète du Zenana, le harem de la cour rajpoute.

Les femmes de la famille royale qui pratiquait le  » purdah  » (littéralement le rideau) étaient soustraites aux regards des hommes à l’exception de leur mari. Les favorites s’y réunissaient pour épier la vie extérieure à travers écrans sculptés à la main donnant sur la rue et le marché. Richement orné, Hawa Mahal était aussi le lieu où s’adonner aux plaisirs de l’esprit et du corps…

La capitale du Rajasthan se découvre comme un livre ouvert sur l’histoire et le riche passé de la région. Influence moghols et rajpoutes, grandes dynasties, guerres fratricides et personnalités illustres hantent les vieux murs de la cité. En plein coeur de la ville, Jantar Mantar est un autre de ces édifices fascinants, classé au patrimoine de l’Humanité par l’Unesco en 2010. Encore une petite folie du Maharaja Sawai Jai Singh II, le fondateur de Jaïpur.

Passionné par les astres, l’homme se fit construire un gigantesque observatoire astronomique, pour calculer les mouvements des corps célestes. Le site ressemble à un parc d’attractions étonnement contemporain, habité d’étranges instruments surdimensionnés : cadrans solaires, compas, sextant, fosses en demi-cercle représentant le ciel astral. Mais que la magie du lieu ne nous trompe pas. Malgré ses intelligents travaux de recherche, Jai Singh II a cru toute sa vie que le soleil tournait autour de la terre. Ses beaux objets étaient obsolètes de son temps…

A deux pas de Jantar Mantar se dresse le City Palace, le palais royal, où réside toujours la famille royale de Jaïpur. On ne visite qu’une partie de ses appartements, dont la salle de représentations où les notables recevaient en grande pompe les invités officiels.

On lui préférera le Fort d’Amber, l’ancienne capitale et place forte des Maharajahs avant qu’ils ne déménagent le siège du pouvoir à dix kilomètres plus loin dans la vallée, à Jaïpur. A la sortie d’une route en lacets, s’élève comme un mirage au-dessus d’un lac, suspendue hors du temps, la citadelle d’Amber. Bâtie dans les tons jaunes-ocres à flanc de montagne, son imposante mais délicate architecture se fond dans le paysage. Pour mériter l’invitation, il faut gravir une rampe raide, à pied ou à dos d’éléphants. Agrandie, repensée, magnifiée de génération en génération, la forteresse a fait d’Amber un lieu de rayonnement culturel du XIIème au début du XVIIIème siècle.

En contrebas du Fort d’Amber, le très beau village vaut absolument le détour. Au coin d’un temple hindou ou d’une fontaine, on y découvre des scènes de la vie quotidienne indienne : une femme portant une gerbe de foin en équilibre sur la tête, une vache sacrée qui vient s’abreuver, des fillettes occupées à la lessive.

Le long du rempart se dresse le musée Anokhi dans une Haveli, une ancienne maison de maître rénovée. On y découvre toute l’histoire de l’impression sur textile au bloc qui donne les fameux motifs indiens aux multiples couleurs si recherchés en Occident. Au dernier étage, des artisans offrent des démonstrations de ce savoir-faire ancestral. Assis en tailleur, un Indien découpe avec la précision d’un orfèvre les blocs de teck qui serviront de tampons d’impression. Plus loin, le  » peintre  » applique, pression après pression, les différents tampons préalablement trempés dans des pigments naturels sur une longue pièce de coton étalée sur sa table de travail. Pour les tissus les plus compliqués, le geste sera répété plus de mille fois.

Les amoureux d’artisanat et de cuisine locale peuvent séjourner au Kawa Guesthouse et Cultural Centre chez la Française Marie Noëlle Jaffré qui tient une agréable maison d’hôtes parfaitement décorée dans la campagne d’Amber. L’endroit sert aussi de centre culturel pour des artistes de passage.

Ceux qui veulent pousser encore plus loin l’aventure indienne prendront la direction d’Anopura, un village à une quarantaine de kilomètres de Jaïpur, en direction de New Delhi. La route ondule dans une vaste plaine entourée d’un cirque de collines où déambulent troupeaux de chèvres et de buffles. Au bout d’un chemin de terre, on atteint un véritable havre de paix au beau milieu des champs. Les femmes en saris colorés et leurs enfants saluent les visiteurs d’un signe de la main. La villa-hotel du Belge Philippe de Villegas nous attend dans la plus grande quiétude. Dissimulée sous un toit de chaume, elle a été conçue sur le modèle d’une ancienne ferme. De la décoration raffinée au confort moderne des chambres et des salles de bain, tout y est calme, luxe et volupté.

Le voyageur y sera reçu comme un pacha et pourra se détendre sous la tente aménagée en salon indien ou au bord de la piscine, dans un calme olympien. La cuisine du chef Chotu, qui marie l’indien et l’européen, est un pur régal pour les estomacs fatigués des plats épicés. Quand il est présent, le maître des lieux organise des ballades au village, où la fondation des amis d’Anopura finance des projets de développement. Un lieu unique pour découvrir la vie au Rajasthan, en dehors de sentiers battus.

Par Élodie Perrodil

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