Kenya: Ces guerriers Samburu victimes du climat et de la cupidité

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Tranquillement assis près d’un pont métallique étroit et branlant sur les hauts plateaux de Laikipia, dans le centre du Kenya, deux gardiens de troupeau racontent pourquoi ils n’hésitent pas à braver la loi et à envahir des terres privées pour y faire paître leur bétail.

« La raison pour laquelle nous allons là-bas, ce n’est pas pour nous emparer de la terre. Nous y allons pour le pâturage, rien d’autre », affirme Lemerigi Letimalo, assis avec un compagnon près du flot boueux de la rivière Ewaso Nyiro.

« Les propriétaires blancs sont ceux qui demandent aux forces de police de nous attaquer », accuse cet éleveur samburu de 28 ans, qui porte un maillot de Manchester United, avec un téléphone émergeant d’un petit sac accroché à son cou.

Le comté de Laikipia est depuis le début de l’année le lieu de raids violents menés par des éleveurs semi-nomades, qui envahissent des terres privées pour y faire paître leur troupeau, incendient des propriétés et tuent ceux qui se trouvent sur leur chemin.

Ces violences ont déjà fait des dizaines de morts et des centaines de déplacés, essentiellement des Kényans noirs vivant sur de petites parcelles de terre.

Mais l’attention médiatique s’est concentrée sur les propriétaires blancs, dont la taille des ranchs – souvent plusieurs dizaines de milliers d’hectares – continue d’alimenter un ressentiment historique.

La Commission Vérité, Justice et Réconciliation avait recommandé en 2013 que des réparations soient accordées pour les terres saisies par les colons britanniques dans la première moitié du 20e siècle et par les élites kényanes depuis l’indépendance en 1963. Mais bien peu a été fait depuis.

Le meurtre en mars d’un fermier britannique, Tristan Voorspuy, et la fusillade en avril dans laquelle l’écrivaine d’origine italienne Kuki Gallmann a été blessée, ont suscité le plus fort intérêt des médias.

‘Pas d’autre option’

Mais pour les deux jeunes « Moran » (guerriers) Samburu, ce sont eux les victimes: du climat, de la cupidité et de la violence de l’Etat.

Ils arguent que l’absence de pluies les force à trouver de nouveaux pâturages, que les fermiers ou réserves animalières privées protègent leur propre mode de vie à leurs dépens, et que les forces de sécurité les ciblent de manière injustifiée.

« Nous n’allons pas là-bas pour déclarer la guerre ou parce que nous prévoyons de rester. Nous y allons juste pour faire paître notre bétail en attendant que les pluies reviennent chez nous », explique Lemerigi, en charge de 50 vaches et 200 chèvres.

Lemerigi, dont deux des vaches ont, selon lui, été tuées par la police, estime ne rien faire d’illégal et considère que la loi ne s’applique qu’aux « propriétaires fonciers ».

« Quand il y a la sécheresse, une clôture ne signifie rien pour moi », assène-t-il dans sa langue maternelle, le samburu. « Nous reprochons aux Blancs de faire venir la police qui attaque notre bétail et tue nos gens. »

Son camarade, Lokimaniki Lekaal, 30 ans, partage cet avis: « Malgré la loi, nous n’avons pas d’autre option. Nous ne pouvons pas juste nous asseoir et regarder nos animaux mourir de faim. »

Une vue aérienne de Laikipia montre la différence frappante entre les parcelles privées verdoyantes, bien entretenues et clôturées, et les pâturages poussiéreux, ouverts à tous, surexploités et surpeuplés, que l’excès de bétail rend invivables pour la population, un phénomène exacerbé par le réchauffement climatique.

Dans son effort quotidien pour survivre, le débat sur une meilleure gestion des terres à long terme est cependant un luxe que Lokimaniki ne peut se permettre. « Quand toute l’herbe aura disparu, nous mourrons. C’est dans les mains de Dieu », dit-il. D’ici là, il ira partout où il peut trouver de l’herbe.

‘Les seuls à souffrir’

Les deux hommes excluent toute motivation politique à leurs intrusions sur des propriétés privées, alors que le Kenya se dirige vers des élections générales, prévues le 8 août.

« Aucun leader ne nous a influencés et dit d’aller faire paître nos bêtes sur les terres de quelqu’un d’autre. C’est nous seuls qui décidons d’emmener nos animaux dans les ranchs », affirme Lokimaniki.

Néanmoins, un député local, Mathew Lempurkel, un Samburu, a été inculpé d’incitation à la violence pour le meurtre de Tristan Voorspuy. Dans le comté voisin de Baringo, un autre homme politique a été inculpé pour incendie volontaire sur la propriété de Kuki Gallmann, avant d’être assassiné en mai.

Parmi ceux qui ont envahi des terres à Laikipia, certains portaient des t-shirts de campagne de Lempurkel. Le député a joué un jeu habile, niant toutes les accusations portées à son encontre, tout en défendant avec acharnement les intérêts des éleveurs semi-nomades.

La culture du « Moran » joue aussi un rôle. Jeunes, pas encore mariés et peu éduqués – ni Lemerigi, ni Lokimaniki ne sont allés à l’école -, ils se complaisent dans d’agressives démonstrations de machisme et se vantent de ne jamais reculer devant une bagarre.

Les éleveurs semi-nomades et les propriétaires fonciers s’accordent à dire que la réponse du gouvernement, qui a lancé une opération militaire pour tenter de rétablir l’ordre dans la région, n’a fait qu’aggraver la situation, accentuant la colère des éleveurs semi-nomades sans pour autant restaurer l’Etat de droit.

Les éleveurs, eux, disent ne faire preuve de violence qu’en réponse aux provocations des forces de sécurité. « Il est arrivé qu’on mette le feu à une propriété, mais c’était parce qu’un de nos collègues avait été tué », certifie Lemerigi.

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