La dangereuse mode des animaux sauvages domestiqués

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Initié par les narco-trafiquants, la mode de posséder un animal sauvage à la maison a depuis gagné en ampleur en Colombie. Au point que cette dangereuse lubie menace aujourd’hui la faune du pays.

De son corps long et froid, il a bousculé un pot de fleur qui s’est fracassé sur sa tête. Son maître a alors dû le livrer aux autorités. Après cinq mois de soins, ce boa a retrouvé la liberté dans la jungle colombienne. Cette histoire se répète des milliers de fois dans le deuxième pays le plus bio-divers de la planète, après le Brésil. La tendance à capturer des animaux sauvages pour les domestiquer submerge les autorités chargées de la protection de l’environnement. « Ces animaux sont pour la plupart pris (…) dans des propriétés à la campagne ou des lieux touristiques où les gens passent leurs congés », a précisé à l’AFP Juan Camilo Galvis, chef de la protection écologique et de l’environnement de la police du département d’Antioquia (nord-ouest). Le désir de se les approprier est dû à de multiples facteurs, estiment experts et autorités.

« Il y a un héritage très marqué des narco-trafiquants comme celui de posséder un zoo chez soi », explique Sebastian Benavides, du Réseau de la faune sauvage de l’aire métropolitaine du Valle de Aburra, qui comprend Medellin et neuf municipalités d’Antioquia. Ainsi Pablo Escobar, chef du cartel de Medellin tué par la police en 1993, avait installé un zoo dans l’une de ses propriétés, allant jusqu’à importer des hippopotames. S’y ajoute « le manque d’éducation » de ceux qui ne se rendent pas compte de l’impact sur la nature d’éloigner leurs nouveaux « animaux de compagnie » ou les vendent, selon M. Benavides. Avec un marché d’une valeur annuelle de 10.000 à 26.000 millions de dollars, le trafic illégal d’espèces est le troisième négoce illicite le plus rentable du monde, après la drogue et la traite d’êtres humains, selon l’ONU.

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– Singes, pumas, serpents –

Par les routes d’Antioquia, dont Medellin est le chef-lieu, certains transportent des perroquets, des félins, des iguanes, des singes, des pumas ou des serpents enlevés dans les jungles de Cordoba, du Choco ou de l’Uraba, départements du nord et du nord-est. Il y a même des espèces menacées ou vulnérables tel le singe araignée. Dans le seul Valle de Aburra, les autorités récupèrent chaque année 5.500 spécimens, selon Andrés Gomez, du Groupe de faune sauvage local. En 2017, 23.600 animaux ont été saisis dans l’ensemble de la Colombie, selon la police environnementale.

Tout spécimen « que nous sortons de son milieu naturel pour l’avoir comme animal domestique est mort pour le cycle de la vie car ces animaux remplissent un rôle biologique et écologique au sein de l’écosystème, dispersent des graines, contrôlent d’autres espèces », ajoute-t-il. Le boa qui a survécu à la chute du pot de fleur viendrait de l’Uraba. De couleur café, mesurant 1,80 mètre, ce mâle vivait dans une maison de Medellin. Mais le coup lui a provoqué des traumatismes du crâne et de la bouche, obligeant son propriétaire « à le livrer parce qu’il ne savait où l’amener », précise M. Benavides.

La législation colombienne interdit aux vétérinaires de soigner les animaux sauvages, sauf autorisation, ce qui oblige à les remettre aux autorités quand ils ont besoin d’attention médicale. Les maitres ne sont pas sanctionnés. Mais les vendeurs ou les trafiquants s’exposent à de lourdes peines, allant jusqu’à huit ans de prison.

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– Animaux maltraités –

Trois unités de sauvetage sillonnent chaque jour le Valle de Aburra. Quand elles récupèrent un animal, elle l’amène dans un centre d’attention. Là, arrivent des pumas sans canines, ni griffes, dont le cou a été abîmé par les chaînes avec lesquelles ils étaient attachées. Ou des singes hurleurs présentant des problèmes digestifs.

« La majorité des animaux qui proviennent du trafic, d’une détention illégale (ont reçu) des aliments qui ne sont pas adéquats pour leur espèce (…) et qui endommagent leur métabolisme », déplore Luz Rodriguez, vétérinaire du refuge de la Corporation autonome du centre d’Antioquia.

Les autorités relocalisent ou libèrent 70% des spécimens récupérés. Les autres meurent, souffrent d’affections graves ou sont euthanasiés quand leur état est trop dégradé.

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Les félins mettent des années à se réhabituer à leur solitude naturelle et les oiseaux retombent souvent dans les pièges des chasseurs, alors que les reptiles se réadaptent facilement à la liberté. A la mi-août, M. Benavides a dirigé une mission de Medellin à Carthagène des Indes, sur la côte caraïbe, en passant par Uraba, pour relâcher 20 singes, près de 200 tortues et 18 boas.

Parmi eux, le survivant du pot de fleur que l’expert est allé déposer dans les profondeurs d’une réserve forestière à Mutata, à 640 km de Medellin. Le boa y a disparu en quelques secondes. « C’est quelque chose qui agrandit le coeur et dignifie l’âme », a déclaré l’expert ému. « C’est très beau de sentir comme ces animaux reconnaissent immédiatement leur habitat. »

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