La folle épopée du « roi d’Araucanie »

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Un village de Dordogne, dans le sud-ouest de la France, ravive chaque été le souvenir de l’éphémère « roi » français d’Araucanie (sud Chili), à mi-chemin entre la folle histoire d’un aventurier du XIXe siècle adoubé par les Amérindiens Mapuches et la très actuelle lutte de cette minorité ethnique.

Une messe pour Sainte-Rose de Lima (première sainte des Amériques), une visite au « Musée des Rois d’Araucanie et de Patagonie » de Tourtoirac, une gerbe sur son buste, sa tombe: Antoine de Tounens (1825-1878) était célébré samedi dans ce village de 650 habitants par une poignée de fidèles du « royaume » et quelques passionnés.

« La réalité de son histoire dépasse les fictions. Un vrai western… S’il avait été Américain ou Anglais, Hollywood aurait déjà fait une dizaine de films sur lui ! », affirme Jean-François Gareyte. Cet historien amateur lui a consacré deux livres et a fait des dizaines de voyages au Chili, s’immergeant autant dans les archives militaires, judiciaires et de presse qu’au sein des communautés Mapuches. Où par endroits survit oralement – très inégalement, convient-il – le souvenir du « Français ».

– Un « fou » qui inquiétait-

Parti vers le Chili en quête d’aventure, politique ou commerciale, cet avoué franc-maçon de Périgueux se trouva, au détour de soubresauts politiques, mêlé aux Mapuches. Et en 1860, les caciques Mapuches le désignent « Orélie-Antoine 1er, roi d’Araucanie et de Patagonie ».

Frederic Luz, Frédéric 1er, Prince d'Araucania,
Frederic Luz, Frédéric 1er, Prince d’Araucania, © AFP

Deux ans plus tard, dans une région alors en conflit larvé, Antoine de Tounens est fait prisonnier par les Chiliens, présenté comme fou et expulsé. Il y reviendra au moins trois fois avant de mourir, malade, à Tourtoirac. Bientôt, Araucanie et Patagonie allaient basculer sous tutelles chilienne et argentine.

« Bouffonnerie » d’un « mythomane de province » , comme le railla la presse parisienne à l’époque ? Ou improbable destin d’un aventurier chevaleresque, arrivé « premier à un concours de circonstances historiques » ?

Ce que les archives de Santiago attestent, assure M. Gareyte, c’est que le Chili de 1860-70, lui, prit au sérieux les va-et-vient (et les armes importées) de ce remuant Français dans une Araucanie alors loin d’être « pacifiée ». Et s’interrogea sur ses éventuels soutiens à Paris, car on était à l’époque de l’expédition française au Mexique (1861-67).

Depuis 2018, Frédéric Luz, un héraldiste du Tarn (plus au sud) de 55 ans, est le successeur officiel d’Orélie-Antoine, « prince d’Aracaunie et de Patagonie », élu par un « conseil de régence », après le décès fin 2017 de son prédecesseur.

Et au conseil du « royaume » siègent des Mapuches, tel Reynaldo Mariqueo, un dirigeant basé au Royaume-Uni de l’ONG Auspice Stella, qui a depuis 2013 statut consultatif spécial auprès du Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC). La « Maison royale » via l’ONG, aide matériellement, fait du lobbying – récemment un courrier à la Cour pénale internationale – pour le peuple Mapuche toujours en lutte – parfois violente, et réprimée – pour ses droits et terres ancestrales.

Tout cela – de même que la +querelle dynastique+ qui voit la légitimité de Frédéric contestée par deux prétendants – passe un peu au-dessus de la tête des gens de Tourtoirac. Où on y voit surtout « une histoire locale sympa, partie du patrimoine », résume le maire, Dominique Durand.

La folle épopée du
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– « Caisse de résonance » –

Pour « Frédéric 1er » toutefois, la mémoire d’Antoine, depuis peu, « s’éloigne d’un folklore contreproductif, attire moins de sourires moqueurs », voire génère un intérêt de la presse sud-américaine. Qui coïncide avec une visibilité accrue de la cause Mapuche depuis 15-20 ans au Chili. En 2017, l’alors présidente Michelle Bachelet demanda officiellement « pardon » pour « les erreurs et les horreurs » historiques envers la communauté.

Cette « convergence » ne lui tourne pas la tête: « on n’est pas une micro-nation d’opérette, on ne +joue+ pas à créer un État, il est hors de question de revendiquer un quelconque territoire », explique-t-il à l’AFP. Il voit plutôt dans la Maison royale une « entité historico-culturelle », à la fois pour « perpétuer le souvenir d’Orélie-Antoine » et, surtout, une « caisse de résonance pour aider les Mapuches dans la défense de leurs traditions, leurs droits ».

Car au-delà de la fascination romanesque pour Tounens, « l’acteur principal de cette histoire, ce n’est pas lui. C’est le peuple Mapuche, sa lutte pour l’indépendance, et qui, à un moment donné de son histoire, décida de jouer (la) carte » Antoine de Tounens, rappelle M. Gareyte.

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