Le maître de la forêt

© SaPeur, Wikicommons

Les Cantons de l’Est se présentent comme un vaste territoire de nature, couvert de pâturages et de sombres forêts de conifères. La gestion optimale de ces espaces, qui revêtent une importance récréative mais également économique, incombe au garde forestier. Nest a suivi durant une journée le revierförster Marco Henkes.

L’extrême Est de notre frontière territoriale offre un paysage verdoyant. Des forêts alternent avec de grandes parcelles de prairies au milieu d’un paysage vallonné. L’horizon verdoyant se prolonge bien au-delà de la frontière allemande.

C’est devant l’hôtel du petit village de Rodt, situé près de Saint-Vith, que j’ai donné rendez-vous à Marco Henkes. Le garde forestier arrive pile à l’heure au volant de son impressionnant 4X4. Le parcours qui nous mènera par la suite sur les chemins forestiers cahoteux confirmera qu’ici, ce véhicule ne représente pas un luxe superflu.

Les braconniers sont rares
C’est dans la fraîcheur du grand air matinal que nous quittons le paisible village pour nous rendre dans la forêt. J’apprends que la région vallonnée, qui appartient géographiquement à l’Eifel, compte des sommets allant jusqu’à 600 m.

Cela n’a rien de spectaculaire en soi, mais cela suffit à attirer ici des milliers de personnes en période de neige. « Les Cantons de l’Est sont aussi populaires en été », affirme Henkes. « On peut s’y promener, faire du vélo, pêcher la truite, faire de l’équitation ou simplement profiter du calme et de la nature. »

Environ les trois quarts du canton de Saint-Vith sont recouverts de forêts. La moitié appartient à l’Etat et représente le domaine d’activité de Marco Henkes. En tant que garde forestier ou revierförster, ce dernier contrôle le district de Rodt, une région forestière de 2,5 hectares qui forme avec Recht, Schönberg, Crombach et Lommersweiler un des dix districts de Saint-Vith.

« Le revierförster est un fonctionnaire d’Etat, une sorte de policier de la forêt. Nous disposons d’une arme et pouvons appliquer des sanctions », explique Marco. « Mais notre fonction ne consiste pas uniquement à effectuer des contrôles. Nous avons aussi et surtout une fonction organisatrice et économique. La plupart des gens pensent que le garde forestier traque surtout les braconniers. C’est parfois le cas, mais c’est heureusement assez rare », explique-t-il, le sourire aux lèvres.

La chasse aux… oiseaux chanteurs
Nous empruntons un sentier forestier et nous arrêtons en bout de parcours devant un chalet en bois où Marco ne tarde pas à me montrer une des tâches du garde forestier. C’est ici que démarre le circuit didactique forestier, un projet éducatif qui s’étend sur 2,5 km et le long duquel différentes espèces d’arbres indigènes et exotiques ont été plantées.

« En principe, tout le monde peut pénétrer à pied partout dans la forêt, mais il y a bien sûr certaines règles à respecter. En tant que garde forestier, nous traçons ce genre de parcours éducatifs et guidons les groupes, du moins si notre emploi du temps nous le permet », précise-t-il. « L’organisation de la signalisation, l’aménagement et l’entretien des sentiers de promenade font néanmoins aussi partie de nos attributions. »

Nous pénétrons plus profondément dans la forêt. Marco attire mon attention sur des traces de sanglier. « Les animaux ne sont pas visibles durant la journée car il y a trop de mouvements de la part des promeneurs et des cyclistes. Les meilleurs moments pour observer les animaux se situent environ une heure avant le lever du soleil et une heure après son coucher », explique-t-il. Au printemps, le garde se rend quasi chaque soir en forêt pour recenser le gibier.
« Il est de notre responsabilité de veiller à ce que la population de gibier reste en équilibre. Pour cela, il est nécessaire de savoir combien de spécimens sont présents dans la région. Le petit gibier et les autres animaux tels que les lièvres, les blaireaux, les renards ou les chevreuils ne sont pas recensés. Seuls les cerfs sont minutieusement répertoriés. »

En fonction des résultats du recensement, des quotas sont établis et ensuite transmis aux chasseurs. « La chasse est nécessaire pour maintenir la population en équilibre », insiste-t-il. « Elle est évidemment réglementée. Mais il est également de notre ressort de contrôler ce que les chasseurs chassent, en quelle quantité et à quelle période. Le braconnage de gros gibier ne pose pas de réels problèmes dans les Cantons de l’Est. Par contre, il n’en va pas de même pour la capture illégale d’oiseaux chanteurs protégés tels que le bouvreuil pivoine. Ce dernier a une grande valeur sur le marché noir. »

Une race différente Pour mieux comprendre la région, une petite leçon d’histoire s’impose. « Jusqu’avant la Première Guerre mondiale, les Cantons de l’Est appartenaient à l’Allemagne, avant cela, à la Prusse et, si l’on remonte encore davantage dans le temps, à la principauté de Liège. En raison de leurs origines, les Cantons ont été offerts à la Belgique en 1918 en compensation de la Zélande. Mais le paysage de l’Eifel était à l’origine surtout composé de pâturages, de terres cultivables et de bois de feuillus. Le hêtre, le chêne et le bouleau sont indigènes. Ce sont les Prussiens qui ont planté les épicéas dans cette région en vue de l’exploitation du bois de construction. »

« Autrefois, environ quinze personnes vivaient directement de la forêt à Rodt. Actuellement, il n’en reste plus qu’une », raconte Marco en souriant, puisqu’il s’agit de lui-même. « Pourtant, d’un point de vue économique, l’exploitation forestière est très importante pour cette région. Elle y représente d’ailleurs la principale source de revenus. »

Pour la bonne santé et l’exploitation de la forêt, l’entretien, la sélection et la replantation sont d’une importance capitale. La préparation des abattages des arbres et tout ce que cela implique (tant avant qu’après) est une des tâches principales du garde forestier.

L’Eifel belge présente des dénivellations de 300 à 700 m, avec une moyenne de 500 m. Ces hauteurs sont bien trop élevées pour des feuillus de grande valeur. L’épicéa est quant à lui un pin typiquement scandinave qui a fait ses preuves durant de longues années. Il a cependant de plus en plus de difficultés à subsister à cause du réchauffement climatique.

« C’est pour cette raison que nous le remplaçons petit à petit par le sapin de Douglas nord-américain », explique Marco. « Ce dernier est non seulement plus résistant aux maladies, grandit plus vite et s’enracine plus profondément mais il résiste également mieux aux tempêtes printanières. »

De deux mille à deux cents Depuis 1850, tous les arbres sont enregistrés et cartographiés. La région de Marco Henkes est aussi soigneusement délimitée et subdivisée en parcelles numérotées.

« J’établis annuellement un plan sur lequel les différentes tâches sont coloriées par zones. Certaines parcelles sont arrivées à maturité et donc prêtes à être abattues, d’autres doivent être replantées ou élaguées. Ces dernières sont marquées et coupées ; c’est ce qu’on appelle dans le jargon le martelage. C’est extrêmement important pour offrir aux arbres environnants l’espace et la lumière nécessaires pour grandir dans des conditions optimales. »

Marco sort ses plans et désigne une parcelle devant être martelée. Les sapins y sont très denses. « Les jeunes arbres se trouvent à une distance d’environ 2 m pour éviter qu’ils ne produisent trop de branches et donc de n£uds, ce qui rendrait le bois moins utilisable. Au fur et à mesure qu’ils grandissent, nous élaguons la parcelle. Cela s’effectue tous les six ans. Le martèlement est un travail de longue haleine mais important, au cours duquel les arbres sont sélectionnés, mesurés et marqués. Les branches des arbres qui entrent finalement en considération pour un bois de qualité sont taillées. On laisse grandir ces arbres en moyenne pendant 80 ans. En fin de parcours, des deux mille arbres par hectare, seule une centaine subsiste ! »

Fort d’une expérience de 26 années, Marco marque à l’aide d’un coup de hache et d’une estampe officielle les arbres qui seront abattus l’année prochaine. Un instrument spécialement conçu à cet effet calcule automatiquement le nombre de mètres cubes de bois que l’arbre fournira.

« C’est un travail qui s’effectue en hiver et au printemps. Avec les données que j’ai enregistrées, je réalise un catalogue comprenant les spécifications du bois. En septembre et octobre, je transmets ces informations aux marchands de bois. Et les lots sont finalement mis en vente publique. Ce n’est que l’année suivante que les arbres sont abattus, ramassés et transportés vers la scierie. »

Des géants au sein de la salle de culture Nous faisons une halte à proximité d’une parcelle de forêt « naturelle ». Il y pousse pêle-mêle des petits et grands arbres de toutes tailles.

« Ceci est une autre manière de gérer une parcelle », explique le garde forestier. « Chaque jeune pousse ensemencée est laissée en place, tandis que les grands arbres environnants sont déracinés. Ce n’est que lorsque tous les pins ont disparu que nous passons à la sélection et que des lignes sont tirées. Mais, par hectare, nous laissons toujours en place deux exemplaires endommagés par la foudre ou rongés par la maladie pour les insectes, les oiseaux et autres animaux. »

Marco me réserve encore une surprise. Il me conduit à l’endroit où se trouvent les plus grands sapins de Douglas du pays. Nous nous arrêtons près d’une parcelle de bois sombre. D’énormes troncs d’arbres s’élèvent vers le ciel. Leur écorce striée trahit leur âge.

« Ces superbes sapins mesurent environ 55 m de haut et ont 130 ans. Ici, vous vous trouvez en quelque sorte dans notre salle de culture », explique-t-il, rayonnant. « Pour s’assurer que les semences proviennent bel et bien de ces supers sapins, les pépiniéristes grimpent au sommet des plus grands spécimens pour y cueillir des pommes de pin. C’est ainsi qu’ils s’approvisionnent en semences de haute qualité. »

Tout va trop vite
Dans le lointain, le bruit d’une scie forestière se fait entendre, signe que des bûcherons sont à l’£uvre. Nous nous dirigeons dans leur direction. A l’aide de lames dentées bien placées, les hommes arrivent à abattre les arbres en un temps record. La terre tremble sous le poids de ces géants d’une quarantaine de mètres qui s’abattent lourdement sur le sol de la forêt.

« Le métier de bûcheron est rude. Il y a 20 ans, des chevaux de trait étaient encore utilisés pour extraire les arbres de la forêt. Actuellement, on fait surtout appel à des machines car celles-ci traitent jusqu’à dix fois plus de bois. »

Mais peut-être que de nos jours, tout va un peu trop vite. C’est également l’avis des bûcherons. Avec le rythme économique qui leur est imposé pour rester rentable, la forêt ne dispose plus du temps nécessaire pour arriver à maturité. Le travail impitoyable effectué par tous les temps ne rapporte qu’un euro et demi par mètre cube.

« Un gros arbre fournit en moyenne près de 2 m3 de bois et cela peut aller jusqu’à environ 11 m3 pour un arbre de 80 ans. Mais le travail est aussi à l’avenant. Ce métier ne permet donc pas de devenir riche ! »

Nest

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