Miniatures mogholes à Kaboul

Michael Barry © AFP

Dans les jardins de l’Empereur Babur à Kaboul, une exposition d’agrandissements de miniatures mogholes du XVIe siècle rappelle à la capitale afghane, défigurée par 40 ans de conflit, la tolérance et l’ouverture d’un Empire dont elle fut le berceau.

Pour le concepteur et commissaire de l’exposition, l’historien américain Michael Barry, spécialiste de l’art islamique et de l’Afghanistan, « ce musée imaginaire » qui réunit en un même lieu des photographies de peintures rarement visibles habituellement, « restitue à Kaboul ce qui a fait sa gloire ».

« C’est une façon de restaurer la fierté d’un pays qui a tellement perdu, de montrer ce que ses ancêtres ont su créer et ce qu’ils ont apporté au monde », explique le Pr Barry. « Ces peintures étaient à l’origine de la fameuse Ecole indienne d’art moghol qui, tout le monde l’a oublié, prenait sa source à Kaboul », rappelle-t-il.

« Musée imaginaire » car les 63 oeuvres reproduites ici sont éparpillées dans plus d’une douzaine d’institutions à travers le monde, de Los Angeles à Berlin, des collections privées de l’Agha Khan à la bibliothèque nationale du Caire ou de Harvard, « conservées dans l’obscurité et exposées moins de trois mois tous les dix ans », insiste le Pr Barry.

Quatre peintres d’Herat (ouest) appelés à la cour de Kaboul entre 1545 et 1555 ont fondé cet art moghol qui plaçait à égalité le stylet et le pinceau, l’écriture et la peinture.

De la taille d’un cahier d’écolier, les miniatures richement détaillées n’ont pu être rendues accessibles au public que grâce à un prodige technologique: leur agrandissement en haute définition, réalisé par la Centrale Dupon Images, spécialiste à Paris des grands tirages argentiques et numériques.

– Babur, Houmayoun, Akbar –

Kaboul reste profondément marquée par son héritage moghol, où se donnent toujours les prénoms des empereurs Babur, Houmayoun ou Akbar qui régnèrent à l’apogée de l’Empire sur un cinquième de l’humanité – 115 millions d’habitants, contre 20 millions pour les Ottomans. La langue de Kaboul, une version locale du persan, était celle de l’administration et de la culture de cet ensemble qui couvrait le sous-continent indien.

Le jardin qui abrite l’exposition, l’un des derniers jardins moghols, a été dessiné par l’empereur Babur, fondateur de la dynastie, alors qu’il préparait la reconquête de l’Inde. Il s’y est fait enterrer parmi les roses et les grenadiers.

Dévasté par la guerre civile des années 90, ce site s’est relevé de ses ruines avec l’aide de la Fondation Agha Khan pour devenir un lieu populaire de promenade en famille.

Une peinture représentant Babur et son fils Homayoun dans le jardin ouvre d’ailleurs le parcours du visiteur.

Mais ce que veut aussi rappeler le Pr Barry aux Afghans, c’est à quel point ces empereurs tout-puissants surent créer « une accumulation de richesses extraordinaire, des arts extrêmement raffinés et plus que tout, une politique de tolérance religieuse sans pareille dans le monde ».

– « Paix universelle » –

Cette tolérance trouve notamment sa traduction dans la proclamation de « la Paix universelle » en 1579 par l’empereur Akbar qui décrète l’abolition de toute discrimination.

« Les généraux hindous et musulmans, sunnites et chiites, servaient tout autant l’empereur qui avait invité à la cour des jésuites portugais de Goa » dans le sud de l’Inde, souligne le Pr Barry devant une miniature présentant ces derniers.

Un rappel tout sauf innocent dans l’Afghanistan du début du XXIe siècle, République islamique traversée de tensions entre ses principales communautés –pachtounes, tadjikes et hazaras notamment — et dans laquelle le groupe extrémiste sunnite Etat Islamique multiplie depuis 2016 les attentats sanglants contre la minorité chiite.

Mais l’empire moghol, comme le montre cette exposition parrainée par l’American Institute of Afghan studies, était aussi connecté à l’Europe de la Renaissance. En témoignent les auréoles dorées qui flattent les portraits des empereurs et les angelots, joufflus et fessus, accrochés aux nuages poudrés qui les coiffent.

Dans un monde où les femmes ne sortent plus que voilées, voire grillagées sous une burqa, les miniatures dévoilent aussi les visages féminins de la Grâce, symboles de spiritualité.

« Cet art chargé de symbole est un merveilleux signal aux Afghans d’aujourd’hui sur le rôle qu’a joué un empire connu pour sa diversité, sa tolérance religieuse et sa profonde philosophie », relève l’historien qui assume d’avoir voulu délivrer un message à ses contemporains.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content