Rawabi, une ville palestinienne s’éveille

Rawabi © AFP

Avec ses vastes boulevards, ses boutiques à la mode et son amphithéâtre romanisant, la ville nouvelle de Rawabi en Cisjordanie réalise le rêve de son créateur, mais reste pour certains Palestiniens une incongruité à l’avenir indécis.

Les critiques mésestiment les Palestiniens, dit l’homme d’affaires américano-palestinien Bashar al-Masri, qui a inventé Rawabi, la première ville nouvelle palestinienne située en Cisjordanie, à une dizaine de kilomètres de Ramallah.

Neuf ans après le début des travaux, les tours d’une dizaine de niveaux s’étagent le long de routes proprement asphaltées sinuant jusqu’en haut d’une des collines caractéristiques de Cisjordanie.

Le contraste est frappant avec la construction anarchique des localités alentour.

Quarante mille habitants sont censés vivre un jour à Rawabi (qui signifie « collines » en arabe). Idéalement, ils n’auront qu’à descendre de chez eux pour aller travailler et trouver ce dont ils ont besoin: produits de première nécessité et de luxe, loisirs, services…

Mais depuis que les premiers appartements ont été mis sur le marché en 2015, seuls 3.000 résidents se sont installés, ce qui n’empêche pas de continuer à couler le béton.

La réussite et la pérennité de cet investissement audacieux supposé atteindre 1,4 milliard de dollars au total dans une région en pleins tumultes restent cependant à démontrer.

Un centre de sports extrêmes ainsi qu’un amphithéâtre de 15.000 places arborant des affiches géantes d’artistes comme Elvis Presley et des stars de l’âge d’or du cinéma arabe fonctionnent déjà. Mais, le soir, Rawabi a des airs de ville fantôme.

– Q comme Qatar –

Pour M. Masri, entrepreneur réputé multimillionnaire, l’existence de Rawabi est déjà un succès en soi.

Il a fallu des années pour obtenir d’Israël l’autorisation d’ouvrir la principale route entre Rawabi et Ramallah en Cisjordanie, territoire supposé s’inscrire un jour dans un Etat palestinien indépendant et occupé depuis 50 ans par l’armée israélienne. Et la cité a dû attendre longtemps avant d’être raccordée au réseau d’eau.

Originaire de Naplouse et revenu des Etats-Unis en 1994, M. Masri est le fondateur de Massar International, un groupe engagé dans l’immobilier, les services financiers ou les médias, au Proche-Orient et en Afrique du Nord notamment. Sa vision proclamée: intégrer l’économie palestinienne dans le marché mondial, avec les pratiques de gestion occidentales pour référence.

« Rawabi est devenue un but de visite pour les Palestiniens. Chaque mois, au moins 100.000 Palestiniens font le déplacement et repartent impressionnés », dit l’homme d’affaires de 56 ans, assis dans un café du Q Centre.

Le Q Centre – Q comme Qatar ou Qatari Diar, filiale du fonds souverain de l’émirat et partenaire majeur du programme – concentre les accusations de ville pour les riches. Le centre commercial ouvert en mai vend des marques comme Max Mara, Juicy Couture, Armani Jeans ou Lacoste, quasiment introuvables ailleurs en Cisjordanie.

D’autres grandes marques sont annoncées. Mais nombre de pas de porte attendent de trouver preneur.

Les prix au Q Centre font jaser.

« Tout le monde n’a pas les mêmes moyens », se défend M. Masri, « il y a des gens qui veulent des marques. Aujourd’hui, ils n’ont plus besoin d’aller à Amman ou dans les centres commerciaux israéliens ».

« Tout est à portée de main au même endroit: les vêtements, les jouets », dit Saed Abou Fkheida, un client venu de Ramallah. « Chez nous, il faudrait aller d’un endroit à l’autre pour trouver ce qu’on cherche. »

– ‘Pas de géant’ –

M. Masri rejette les objections de ceux qui disent que les Palestiniens ont besoin d’autre chose que de ce luxe.

Le chômage reste bloqué à 29% en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, où une personne sur cinq gagne moins de 1.450 shekels (354 euros) par mois selon les statistiques officielles.

Les critiques ne se limitent pas au standing de Rawabi.

Le mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), qui mène une campagne internationale de boycott contre Israël et l’occupation, avait reproché à M. Masri en 2012 de « traiter avec les élites politiques et économiques israéliennes au nom de son intérêt personnel et du profit, aux dépens des droits des Palestiniens ».

BDS n’a pas souhaité répondre aux sollicitations de l’AFP concernant ces critiques, renvoyant à cette déclaration de 2012.

M. Masri estime que ses détracteurs sont une « toute petite minorité » active sur les réseaux sociaux, qui tire « sur tout ce qui est constructif, pas seulement sur Rawabi » .

Mais « je pense que la majorité des Palestiniens aiment Rawabi », dit-il.

Iyad et Fatima Nazzal et leurs trois filles se sont installées là, en provenance d’Arabie saoudite.

« Nous trouvons ici les mêmes choses (qu’en Arabie saoudite) en termes d’infrastructures, de confort et de mode de vie », dit Iyad Nazzal.

Son épouse admet avoir été frappée par l’impression de « vide » à son arrivée. « Mais maintenant, avec le Q Centre, les gens viennent et il y a des activités ».

L’objectif de M. Masri: construire d’autres Rawabi pour faire pièce à l’expansion des colonies israéliennes.

« Les Palestiniens méritent de vivre mieux. Ce n’est pas parce que nous vivons sous occupation que nous devons vivre opprimés ». Le temps prouvera que Rawabi est « un pas de géant vers la création de notre Etat ».

sy/lal/tp/ak

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content