Toronto et le boom du design

© Pascale Beroujon

Destination d’affaires, la capitale de l’Ontario est récemment entrée sur la scène du design. En à peine cinq ans, elle est devenue un passage quasi obligé pour les créateurs canadiens et nord-américains. Avec un trait commun torontois: l’humour.

Du haut de la célèbre CN Tower, l’un des monuments les plus élevés au monde, Toronto déploie son histoire, son opulence et son architecture éclectique. Mais c’est en parcourant à pied cette capitale provinciale, que l’on épouse les vibrations de cette ville paradoxale. En effet, loin d’être austère, le plus grand centre d’affaires du Canada où siègent les compagnies majeures du pays, se présente comme un patchwork cousu de villages pimentés aux couleurs bien marquées et aux styles variés.


Toronto étant la plus grande ville cosmopolite du Canada, on change de continent d’une avenue à l’autre. Chinatown se développe autour de Dundas Street, quartier clinquant, « néon-litique », bruyant et amusant. Plus loin, la musique du sirtaki qui s’envole des fenêtres blanches et bleues d’un restaurant nous indique, on ne peut plus clairement, que le quartier grec commence. Et c’est l’arôme d’origan et de café fraîchement torréfié qui marque le seuil de Little Italy autour de St-Clair Avenue West et les pubs boisés arborant le trèfle ardent qui délimitent le secteur irlandais.


Les immigrants d’Europe de l’Est ont investi la zone autour de Kensington Market. Un lieu génial où il faut se rendre pour admirer les maisons Art déco aux façades bariolées, les boutiques de produits bio, les magasins de fripes et de déco pour la maison. Un quartier alternatif, plein d’allant. Une formidable cacophonie multiethnique qui se traduit par la gastronomie et l’ouverture d’esprit surtout des Torontois. Alors, quand un projet apparemment un peu fou prend corps, c’est avec curiosité qu’il est accueilli plutôt qu’avec des hauts cris. Un bonheur pour les architectes et les créateurs en général.


De grands architectes de réputation internationale ont imprimé leur signature dans Toronto. L’Espagnol Santiago Calatrava, l’Américain Daniel Libeskind, le Canadien Raymond Moriyama, à qui l’on doit la grande boîte à chaussure qui renferme le génial musée Bata, ou encore le Torontois Pat Hanson, primé pour la réalisation du musée de l’art inuit évoquant un iceberg de verre…


Toronto l’audacieuse
Depuis le début du XXe siècle, Toronto n’a pas eu froid aux yeux dans son habillage. Ici, on peut voir un building moiré, comme la Banque du Canada, conçu avec de la poussière d’or. Là, vous pouvez imaginer la construction dans les années 30 d’un hôtel de ville en forme de soucoupe volante ceint de tours de verre et de béton… Audacieux, non ? Cette oeuvre du Finlandais Viljo Revell fit un vrai mini-scandale à l’époque.


Il manquait pourtant à Toronto la griffe d’un grand nom de l’architecture, comme Frank Gehry. Etonnante absence, lorsque l’on sait que ce génial bâtisseur est natif de la ville où il a grandi avant de partir aux Etats-Unis. Depuis quelques mois, l’une de ses oeuvres est enfin visible avec la naissance de l’AGO, l’Art Gallery of Ontario, magnifique écrin de courbes et de lumière dédié aux beaux-arts. On admire aussi l’extension biscornue et colorée de l’Ontario College of Art & Design. Un peu comme à Chicago, les fans d’architecture peuvent se régaler en se promenant, les yeux en l’air, dans cette ville où buildings modernes jouxtent édifices Art déco ou post-modernistes. Une des plus belles réussites s’observe aussi dans le quartier historique de Distillery. Tous les entrepôts en brique de la fin du XIXe siècle ont été rénovés avec harmonie pour donner naissance à une enclave branchée où se sont ouverts restaurants, boutiques de design, bars et galeries d’art. C’est ici du reste que fut tourné le film Chicago.


Une ville superactive En toute saison, les Torontois ont la bougeotte et aiment se divertir. La situation naturelle de la ville, posée sur les rives bleu marine du lac Ontario, si vaste qu’il évoque une mer intérieure, offre aux habitants de multiples loisirs. Les berges aménagées permettent de circuler à vélo, en patin, de jogger ou tout simplement de flâner. L’été, ils gréent les voiliers, les planches à voile, se dorent sur les longues plages de sable ou ils pique-niquent dans les nombreux parcs et jardins urbains.


Et durant les longs mois d’hiver, que font-ils ? Ils s’agitent encore, emmitouflés dans leurs parkas et mitaines. Aux journées superactives, succèdent les nuits bourdonnantes d’une frénésie festive vraiment sympathique. On troque les costumes sombres et les tailleurs stricts contre des vêtements plus casual ou carrément sexy et on se lance dans les scintillements des gratte-ciel pour de longues soirées étourdissantes. Réputée pour ses théâtres et ses salles de concert, mais aussi pour être un haut lieu du shopping, Toronto devient auprès des Canadiens mêmes une destination très tendance pour passer des week-ends « shop and fun ».


Ces cinq dernières années, celle que l’on surnomme « T.O. » (ti-o) s’est propulsée sur la planète design. Plate-forme de business international, avec son cortège de grands hôtels luxueux mais sans âme et de restaurants chics à l’ambiance un rien guindée, Toronto s’est réveillée, un matin glacé, avec d’audacieux projets architecturaux et des quartiers investis par des créateurs effrontés, coiffés de dreadlocks ou le denim flottant au-dessous des jeans délavés. Une sacrée bouffée d’oxygène qui la rend aujourd’hui irrésistible avec ses nouveaux atours moins maniérés. Un des responsables de cette métamorphose est, de l’avis de bien des designers rencontrés, l’événement annuel du Gladstone, « Come up to my room » (Montez chez moi). A cette occasion, des artistes et des architectes d’intérieur ont eu carte blanche pour relooker les chambres du deuxième étage de cet hôtel historique. Les pièces sont devenues de tels showrooms artistiques que clients et passants torontois sont invités à y jeter un coup d’oeil. Et la sauce a bien pris puisque désormais, dans la foulée, c’est tout le quartier de Queen Street West qui s’est transfiguré en « design district ».


Dans cette artère excentrique, les modes se font et se défont au gré des saisons, des tendances et des nouveaux venus. C’est aussi le coin où de jeunes artistes frappent aux portes des innombrables galeries et studios, dans l’espoir de faire partie de ce mouvement que rien ne semble pouvoir arrêter. Et où, à première vue, les immeubles victoriens et Art déco qui s’égrènent paraissent un peu défraîchis, voire parfois tagués avec talent mais dont la cote ne cesse de croître, malgré la crise. Un quartier très « arty » donc, avec de nombreux magasins, bars et restaurants très branchés, à la déco minimaliste ou baroque, hyperdesign ou superkitsch, mais surtout avec un point commun : une ambiance électrique, sans chichi, où chacun peut se fondre sans se sentir déplacé.


En matière de design comme de stylisme, la nouvelle religion torontoise s’appuie sur le « made in local ». Mais dans une ville où 49 % de la population vient d’Asie, d’Europe ou d’Afrique, qu’est-ce que cela signifie ?


100 % créatif, un nouveau credo
« Jouer subtilement avec les stéréotypes bien canadiens en les saupoudrant d’une touche d’humour bien torontoise », explique Shaun Moore qui, avec Julie Nicholson, a ouvert Made, un beau showroom de design. En gros, cela se traduit par des bibliothèques translucides dont la forme évoque un stère de bûches, des robes évanescentes parsemées de détails inspirés du hockey sur glace, des étagères montées avec des caisses de lait recyclées ou encore des castors stylisés en pieds de lampe… Un zeste d’espièglerie qui fait passer l’aspect un peu kitsch de certaines créations. En matière de mode, de plus en plus de stylistes torontois percent sur le marché canadien et nord-américain. Les nouveaux chouchous s’appellent Katerina Baloun, Arthur Mendonça et Lucian Matis. Avant, ils « testaient » leurs créations sur les belles de Montréal, passage obligé pour gagner le coeur des Canadiennes, Montréal étant un peu synonyme de Paris. « Ce n’est plus vraiment nécessaire » nous raconte un de ces stylistes de la nouvelle vague. « Les jeunes Torontoises sont moins snobs et accueillent favorablement les collections originales, voire excentriques, pourvu qu’elles restent sexy, chic et portables ! »

Sandrine Gayet/ photos: Pascale Beroujon


Toronto en pratique


Renseignements
Ambassade du Canada, 2, avenue de Tervueren, à 1040 Bruxelles. Tél. : 02 741 06 11.
www. ambassade-canada.be
Sur place : Office du Tourisme de l’Ontario : Ontario Travel Queen’s Park, Toronto. Tél. : + 1 800 268 3736. www.ontariotravel.net et www.torontotourism.com

Y aller
Aucun vol direct à partir de la Belgique. Air Canada propose, au départ de Roissy CDG, des vols quotidiens à destination de Toronto, sans escale ou via Montréal (environ 8h de vol). www.aircanada.com

Décalage horaire En hiver, on compte moins 7 heures par rapport à la Belgique et moins 6 heures en été et au printemps.


Monnaie
Le dollar canadien (CAD) équivaut à 0,70 euro environ.


Téléphoner Pour téléphoner de Belgique vers Toronto, composez le code régional 416 suivi du numéro de votre correspondant.


Se loger
The Hazelton Hotel. Les gourous du design torontois, George Yabu et Glenn Pushelberg, ont créé avec cet hôtel haut de gamme (le premier 5-étoiles), un hot spot incontournable à Toronto. Il offre 77 chambres et suites, les plus vastes de la ville. Outre un centre de fitness en pointe, l’hôtel cache un très chouette spa. Par ailleurs, The Hazelton étant situé au coeur de Yorkville, le quartier ultrachic, vous êtes à deux pas des galeries d’art et des principaux musées.
118, Yorkville Avenue. Tél. : + 416 963 6300. www.thehazeltonhotel.com

The Gladstone Hotel. Sur l’artère branchée de Queen Street West, le Gladstone cache quelques petits bijoux artistiques de style Art nouveau. Cet hôtel est connu dans le milieu du design puisque c’est ici que chaque année, en février, se déroule le Design Show. L’établissement abrite également une scène culturelle, une petite galerie d’art qui présente des installations permanentes, organise des expos et accueille des spectacles. Son « Art Bar » datant des années 1940, au style kitsch et pop est l’un des plus courus de Toronto.
1214, Queen Street West. Tél. : + 416 531 4635. www.gladstonehotel.com Shopping

Umbra Concept Store Quand on cherche une bonne adresse pour dénicher des objets design pour la maison, c’est Umbra qui vient de suite à l’esprit des Torontois.
165, John Street. Tél. : + 416 599 0088. www.umbra.com


Studio Brillantine (SB) Dans le quartier de ceux qui font et défont les modes, cette petite boutique reste une valeur sûre. Des tas d’articles de déco créés par des designers canadiens, américains et scandinaves
1082, Queen Street West. Tél. : + 416 536 6521.


Milli Ce lieu magnifique, conçu par Dan Menchions et Keith Rushbrook, a été récompensé par le premier prix du design intérieur. Un écrin luxueux mais pas tapageur qui a un côté Fifth Avenue de New York, pour une mode féminine glam et sexy.
100, Bloor West. Tél. : + 416 944 2233.


Bergo Design Dans le quartier historique The Distillery, cette belle galerie décline une large palette d’objets de design industriel et d’articles pour la maison.
55, Mill Street, Bldg 47A. Tél. : 416 861 1821. www.bergo.ca


Hazel. La boutique chic pour les riches fashionistas qui trouvent ici les dernières créations des grands stylistes européens mais aussi de créateurs locaux comme Katerina Baloun ou Brian Bailey.
116, Yorkville Avenue. Tél. : + 416 513 0333.


Se restaurer
Lee La déco est une harmonie de murs aux teintes framboise écrasée, de tables en Plexi et de bois. Les assiettes de tapas sont belles, goûteuses et audacieuses. Très bonne ambiance. Vraiment une excellente adresse torontoise.
603, King Street West. Tél. : + 416 504 7867.

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