WhatsApp, l’appli qui resserre les liens
Plus de 3 Belges sur 10 utilisent la messagerie instantanée WhatsApp. Autorisée à partir de 16 ans, elle boosterait la communication familiale et intergénérationnelle. Explications.
Dédramatiser le dialogue, apprivoiser la pudeur, banaliser l’expression de ressentis et des sentiments : l’appli gratuite WhatsApp aurait plus d’un tour dans son sac pour renforcer les liens familiaux. Alors que chaque tribu est différente – couples recomposés, parent expatrié, scolarité à l’étranger, secrets de fratrie… -, il semblerait que les membres d’un même clan n’aient jamais autant communiqué qu’aujourd’hui. Une façon de se réapproprier des échanges sur le mode de la spontanéité.
Cela permet une communication assez intime, axée sur de petits groupes
L’outil, racheté par Facebook en 2014, connaît en effet un succès grandissant. Chez nous, son utilisation est passée de 30 à 41 % en un an et touche toutes les générations, même si le SMS continue à avoir la cote dans le royaume (1). Pas étonnant, selon Pascal Minotte, psychologue et chercheur au CRéSaM (centre de référence en santé mentale) : » Cela permet une communication assez intime, axée sur de petits groupes, comme celui de la famille. On peut dire les choses sans que cela sorte du cercle privé, ce n’est pas public, on est entre soi. »
D’autant que la discussion, surtout avec les ados, est souvent un terrain glissant, autant pour eux que pour les adultes, régulièrement démunis face aux mots qu’ils ne trouvent pas pour se dire les choses. Et c’est là l’un des points forts de l’application : les messages visuels y sont fondamentaux. C’est une alternative de taille pour s’exprimer autrement, sans pudeur ni tabou. » Dans beaucoup de maisons, on ne se dit par exemple pas » Je t’aime » facilement. Pouvoir envoyer un émoticon en forme de coeur à la place de l’écrire permet de déplacer des montagnes entre parents et enfants… quel que soit l’âge de chacun. L’appli revisite ces liens de façon inattendue « , analyse Virginie Tyou, auteure de deux bouquins sur le sujet (2). Car WhatsApp ne manque pas d’émojis, ces centaines d’images symboles adulées par les moins de 30 ans. Timidité, orgueil, peur, conflit… autant de situations qu’elles permettent de dépasser, pour renouer avec un dialogue parfois rare, voire inexistant au sein des familles.
C’est tout le rapport au manque qui est modifié. La notion même de séparation est en pleine mutation…
» WhatsApp propose non seulement de s’exprimer via les smileys, mais aussi de s’envoyer des photos, des vidéos, des morceaux musicaux… L’avantage du multimédia est qu’il facilite les moyens d’exprimer ses sentiments, ses émotions, et aussi de partager ce qu’on apprécie. Il s’agit d’un langage enrichi. Dire les choses qu’on n’avait pas l’habitude de verbaliser devient » banal » et » normal « .
La distance ne sépare plus
Ça peut révolutionner certaines familles, d’autant que l’outil est réellement intergénérationnel. Si le rapport d’intimité change avec ce genre de messagerie instantanée, c’est également une alternative intéressante en cas de conflits. Médiateur 2.0 à la rescousse de situations difficiles, le chat entre proches permet de tenter un dialogue sous un angle différent, souvent constructif, note Virginie Tyou.
Autre conséquence : l’interface rapproche, où que l’on soit. » L’écart géographique et physique ne sont plus synonymes d’éloignement. C’est tout le rapport au manque qui est modifié. La notion même de séparation est en pleine mutation… Et même si l’on vit sous le même toit, on est parfois plus proche sur la messagerie instantanée que dans le réel. Cette communication originale et ludique permet d’apprivoiser l’autre différemment « , ajoute Pascal Minotte.
Revers de la médaille ? La sur-communication, voire l’intrusion. » C’est une façon de garder un certain contrôle sur son môme ou son père et sa mère, même de façon inconsciente. » Je t’ai à l’oeil « , en quelque sorte. Idem pour l’excès d’images. Poster sans cesse des photos de soi change aussi le rapport à l’absence, on a l’impression que l’autre est » tout le temps là « . Il faut rester vigilant : partager n’est pas fliquer ! L’appli permet le lien, ce n’est pas une laisse « , rappelle Virginie Tyou. Quant à Pascal Minotte, il met en garde contre le potentiel aspect lisse de ces échanges. » Méfions-nous parfois du côté rose bonbon de ce genre de chats. L’ » extimité « , cette intimité hyper contrôlée et dénoncée par le psychiatre Serge Tisseron, rappelle à quel point beaucoup d’entre nous travaillons notre image. Photo tout sauf spontanée, voire retouchée, situations idéalisées… Dans les groupes de discussion en famille aussi, gardons un regard critique et du recul, et ne soyons pas dupes des » bonnes » nouvelles que chacun se donne ! »
(1) Les données chiffrées proviennent de l’étude annuelle We are Social/Hootsuite 2018.
(2) Cliky, l’énigme numérique et Cliky, le crack des réseaux, par Virginie Tyou, Ker Editions, 112 et 120 pages.
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