Yves Saint Laurent : fantômes esthétiques

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Un homme ravagé peine à contenir les tremblements de son corps, on voudrait implorer : « De grâce, les mains, laissez-le tranquille. »

Il porte les mêmes lunettes dirait-on que celles qui marquaient son visage à 21 ans, en 1958, il était alors la nouvelle coqueluche, si timide, de Christian Dior. L’heure est aux adieux, il n’est plus que l’ombre de lui-même, usé mais digne, qui lit son texte la gorge sèche. « J’ai vécu pour mon métier et par mon métier. » S’ensuit la liste de ses fulgurances et de ses errances – le smoking, le caban, le trench- coat, « les fantômes esthétiques », « l’enfer », les stupéfiants, les tranquillisants, « la lignée fatale des faiseurs de feu ».

En janvier 2002, Yves Saint Laurent fermait boutique, quittait ce métier qu’il avait « tant aimé », un dernier défilé rétrospectif et puis rideau, avant de mourir six ans plus tard, d’un cancer du cerveau, laissant son compagnon Pierre Bergé et son chien Moujik sur le carreau. Ainsi débute le film de Pierre Thoretton – il a choisi la fin pour édifier son Yves Saint Laurent L’amour fou, il n’a pas tort, Dieu que c’est romanesque, d’autant qu’il y a là un parti pris de noir et blanc. La magie des archives opère, forcément. Surtout en matière de mode – un demi-siècle d’images, et quelles images, cela file des frissons.

D’où vient alors cet agacement à regarder L’Amour fou ? D’une promesse, contenue dans le titre – il serait question d’aimer, de folie, d’YSL – guère tenue. D’un portrait en creux où le couturier dépressif brille par son absence, étrangement. D’un projet hybride démarré comme un documentaire sur les maisons où avait vécu le couple Bergé/Saint Laurent, puis d’un catalogue raisonné de leurs goûts et de leur collection d’art pour finir par le récit de leur histoire d’amour, détaillée face caméra par le seul survivant de ce duo mystérieux, quoi qu’on en dise. Il faut pourtant regarder ce film jusqu’au bout. Parce que le dernier plan, mer et Normandie en toile de fond, avec Pierre Bergé en grand marionnettiste tendance Méphisto donne la mesure de son pouvoir. Mais surtout, surtout, parce que l’oeuvre de Monsieur Saint Laurent transcende tout.

Yves Saint Laurent L’amour fou , de Pierre Thoretton, sortie en salle ce 22 septembre.

Anne-Françoise Moyson

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