Georgia Mourad Brooks, fondatrice et CEO du club féminin The Nine: « Je sens notre empowerment, on n’a plus peur »

© Aaron Lapeirre
Anne-Françoise Moyson

Elle a fondé The Nine, un club féminin basé à Bruxelles où il est forcément question des droits des femmes, d’émancipation, d’empuissancement, d’égalité. Dans le même temps, Georgia Brooks œuvre au Moyen-Orient en soutenant des projets de soins de santé et d’éducation pour les filles. Ses racines multiculturelles font d’elle une citoyenne du monde qui préfère le geste à la parole.

Un prénom, cela peut vous enfermer dans une case. Je suis enceinte et je m’interroge: vais-je donner un prénom anglais, égyptien ou libanais à mon bébé? Je ne sais pas encore. Ma mère m’a rappelé qu’enfant, je ne voulais pas qu’on m’appelle Georgia Mourad Brooks, j’étais embarrassée par mon nom arabe. Et encore plus après le 11 septembre. A posteriori, je trouve cela tellement triste parce c’était comme si je voulais cacher mes origines. Or, c’est mon essence, mon identité, mon lien avec ma famille.

Il ne faut pas toujours chercher loin pour trouver des modèles. Mes icônes, ce sont les femmes de ma vie, si proches de moi et qui m’ont montré la voie. Ma mère est égyptienne et libanaise, forte et puissante. Ma grand-mère paternelle aussi: elle vient de l’East London, parle Cockney, a été à l’école jusqu’à 11 ans seulement et pourtant, elle est hyper intelligente. J’ai toujours trouvé que ce n’était pas juste qu’elle n’ait pas pu poursuivre sa scolarité simplement parce qu’elle était une fille.

Mon féminisme s’est construit à travers des autrices. J’aime la substance si riche de Jane Austen, Charlotte Brontë et George Eliot, le pseudonyme masculin de Mary Ann Evans qui n’a jamais voulu se conformer aux rôles stéréotypés que la société victorienne imposait aux femmes. Je les conseille. Tout comme cet ouvrage récent, Invisible Women, exposing data bias in a world designed for men de la journaliste et activiste britannique Caroline Criado Perez. Elle y montre que les femmes sont tout simplement absentes de la majorité des études statistiques, au détriment de leur santé, parfois même de leur vie, parce que ce sont les hommes qui ont imaginé le monde dans lequel nous vivons, et qu’ils l’ont façonné pour eux, à leur image.

‘Nous sommes des êtres sociaux, fondamentalement.’

#MeToo a changé la donne. Et c’est tant mieux. On sait maintenant qu’il y a des comportements intolérables. Quand j’étais étudiante, j’ai été harcelée pendant des mois. Personne ne réagissait, ni l’université ni les profs masculins. On me disait même que ce n’était pas si grave. Jusqu’à ce que mon harceleur tente de me tuer… Plus tard, jeune journaliste, j’ai enduré des situations inacceptables, j’étais très mal à l’aise et pourtant je me taisais. Désormais, je sens notre empowerment, on n’a plus peur. J’ai trois belles-filles de 15, 18 et 20 ans, je suis pleine d’espoir pour elles, leur vie professionnelle sera différente, je pense. Elles ne vivront pas ce que j’ai vécu.

Quand on agit, on se doit de penser aux autres. Je n’ignore pas que dans le business, cela peut sembler incongru mais le profit ne m’intéresse pas, le pouvoir non plus. Je ne suis pas là pour être Première ministre, je m’en fous, mais j’ai à cœur d’être utile. Quand j’ai créé The Nine, il était important pour moi d’y adjoindre la branche Fempower Initiative, pour lever des fonds et soutenir des projets destinés aux filles et aux jeunes femmes au Moyen-Orient. Et pour qualifier le club, je préfère utiliser le mot «connexions» à celui de «networking», car dedans, il y a «work», or il s’agit surtout de créer des liens personnels. Nous sommes des êtres sociaux, fondamentalement et je veux de l’humain. Quand je suis arrivée à Bruxelles, je me suis sentie très seule, j’étais en burn-out et je voulais changer le monde. J’ai alors rêvé d’un espace pour les femmes, un peu protégé et en même temps élégant où l’on pourrait travailler, lire, manger, se faire des amies et même faire ce que l’on veut.

Le burn-out m’a appris que je n’étais pas une super woman. Que je ne peux pas tout faire en même temps. Que personne n’est invincible. Je suis restée alitée durant deux mois. Je n’avais rien vu venir, je me croyais indestructible. Mais il y a tant d’injonctions dans cette société, on peut très vite avoir l’impression qu’on n’en fait jamais assez et qu’on n’est pas à la hauteur. C’est mon corps finalement qui a dit non… Cela a été une belle leçon d’humilité.

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