Le Designer de l’année 2016 est Vincent Van Duysen: « l’esthétique de l’essentiel »

Vincent Van Duysen
Mathieu Nguyen

Lorsque nous l’avions rencontré l’an dernier, il nous avouait être  » en plein boom « , avec une actu enthousiasmante, partagée entre projets architecturaux et nouveau mobilier. Pas du genre à se reposer sur ses lauriers, il a poursuivi sur son exceptionnelle lancée – à tel point qu’il nous accorde un nouvel entretien, cette fois en qualité de Designer de l’année.

Nous avions déjà évoqué dans ces pages sa quête de l’émotion à travers l’expression d’une élégance intemporelle. Son amour de l’Italie et sa fidélité à de grands éditeurs qui le lui rendent bien. L’admiration que lui vouent des célébrités telles que le styliste Alexander Wang, dont il a réalisé le flagship store londonien, ou son amie Julianne Moore, passionnée d’aménagement intérieur. C’était en octobre 2015 et le hasard a voulu qu’un an plus tard, nous retrouvions Vincent Van Duysen pour la traditionnelle interview accordée à notre Designer de l’année (*). Le hasard ? Ce serait rendre un bien piètre hommage à l’activité fertile de ce créateur d’une inébranlable intégrité, qui récolte aujourd’hui les fruits d’un travail entamé il y a déjà trente ans. Car bien qu’il se défende d’avoir orchestré cette soudaine explosion, l’homme est un bosseur acharné, qui trime sans relâche pour élargir encore ses horizons, bâtir toujours plus de ponts entre le design et l’architecture et conserver le facteur humain au centre d’une démarche globale, qui refuse obstinément d’isoler le dehors du dedans. A tel point que lorsqu’il s’est réuni pour élire le lauréat du prix 2016, notre jury a dû se rendre à l’évidence : le designer belge qui a marqué l’année, c’est lui. Il a plus de 40 ans, autrefois l’âge limite pour prétendre à ce titre ? Qu’à cela ne tienne, les conditions pour prétendre à cette prestigieuse récompense seront modifiées, tant le choix s’impose.

Tellement de choses se sont passées depuis notre rencontre de l’an dernier…

Oui, avec mon intronisation chez Molteni, toutes les nouveautés présentées à Milan, puis ce prix de Designer de l’année, 2016 a vraiment été spectaculaire. Et ce n’est pas encore terminé, ma première monographie japonaise vient de sortir, éditée par A+U, un magazine très connu des professionnels ; le seul autre Belge qui avait connu un tel honneur est Juliaan Lampens. C’est un événement, des Japonais viennent jusqu’à Anvers pour photographier mon bureau, ma maison, mon environnement. Et moi, je pars à Tokyo dans trois semaines, pour y donner une conférence et présenter une  » maison Vincent Van Duysen  » pour Molteni. Mais avant ça, j’ai encore tout un circuit qui passe par Milan, Bologne et Londres. Donc, oui, ça a vraiment été une année capitale et très chargée. Depuis le début de ma vie professionnelle, je n’ai jamais connu ça.

IL FAUT REVALORISER L’ARCHITECTURE D’INTÉRIEUR.

Venons-en au prix de Designer de l’année, que vous ne vous attendiez pas à recevoir…

J’en suis évidemment très fier et très flatté, même si au début, j’avoue avoir pensé que c’était  » un peu trop « , alors que j’avais déjà reçu beaucoup d’attention médiatique. Puis, on m’a expliqué les raisons du choix du jury et j’ai compris son raisonnement. Etre architecte et élu Designer de l’année, ça compte beaucoup pour moi, je suis très heureux d’être reconnu dans ce contexte-là, parce que dans le milieu de l’art de bâtir, on constate souvent une perception négative des intérieurs, de leur degré de sophistication ou simplement de leur beauté. Moi je suis un esthète, et je ne l’ai jamais caché.

Pourquoi ce malaise avec l’idée de beauté ?

C’est comme ça. On juge ça médiocre, pas sérieux, alors que pour moi c’est essentiel. Le rédacteur en chef du magazine Domus, un de mes grands amis, m’a dit  » Toi, tu travailles comme les architectes du passé « , et c’est vrai qu’auparavant, on accordait aussi beaucoup d’attention aux intérieurs et aux produits. Aujourd’hui, tout n’est plus qu’une question de geste, les starchitectes essayent de choquer avec des formes et un maniérisme gratuits, une approche trop théorique et trop compliquée qui n’a plus rien à voir avec l’humain. C’est pourquoi je trouve indispensable de revaloriser l’architecture d’intérieur, de rendre hommage à cette discipline, que l’on assimile encore souvent à de la décoration. Or il ne s’agit pas de cela, un architecte doit avoir un minimum d’intérêt pour la façon dont les gens vivent dans leur maison ; il est grand temps de faire passer ce message au public. Moi, je suis resté constant depuis le début de ma carrière. Je sais que cela a suscité des aversions, surtout en Belgique, des critiques sur ma façon d’envisager le métier, mais j’ai tenu bon. J’ai conservé le même fil rouge et continué à accorder autant d’attention à l’espace qu’à son contenu.

Vous avez déjà déclaré être mal à l’aise avec le terme  » design « …

Oui, pour deux raisons. D’abord parce qu’il implique qu’il faut forcément dessiner quelque chose. Alors que je préfère que mes créations soient animées par une charge humaine venue naturellement, une intuition, une façon de percevoir les intérieurs et le mobilier dépourvue de toute volonté artificielle de se rendre présent. J’aime les espaces essentiels mais cela ne les empêche pas d’être ergonomiques et attirants, tactiles et chaleureux. J’accorde beaucoup d’importance aux détails, parfois à peine visibles, et aux matériaux qui sont utilisés en juxtaposition pour donner une dimension supplémentaire, pour susciter des émotions sensuelles qui manquent parfois dans le monde du design.

 » JE SAVAIS QUE JE NE SERAIS PAS UN ARCHITECTE AU SENS STRICT, JE SUIS BIEN TROP CURIEUX. « 

Et la seconde raison ?

Le secteur est très matérialiste, il y a tant de consommation que parfois, on frôle l’overdose. Les idéaux du design sont un peu perdus de vue, alors que ce n’est pas la quantité de produits disponibles qui peut apporter de la joie à l’être humain, mais leur qualité.

Vous aviez prévu que l’année écoulée soit un tel tournant au niveau professionnel ?

Non, je ne m’y attendais pas du tout, c’est arrivé comme ça. Enfin pas  » comme ça « , j’ai oeuvré trente ans pour ça. Mais c’est un moment décisif de ma vie, oui, venu grâce à un mélange d’intuition et d’émotion. Je suis quelqu’un de très énergique, c’est l’une de mes principales caractéristiques. C’est cette énergie, ce talent que j’ai reçu, qui me donne l’envie de créer et m’a permis d’arriver là où je suis.

Certains parlent de réorientation de votre carrière mais il s’agit plutôt d’une évolution…

Exactement. Quand j’ai terminé mes études, je savais que je n’allais pas être un architecte au sens strict, j’étais bien trop curieux. Pour moi, l’archi allait plus loin que la construction en soi, j’ai toujours imaginé ça dans une perception plus ample que ce que l’on m’avait enseigné. Puis, je voulais aller en Italie, et cette synergie, cette infusion italo-belge, a clairement orienté mon parcours. Cette fonction de directeur artistique pour Molteni et Dada en est la récompense.

 » L’INFUSION ITALO-BELGE A CLAIREMENT ORIENTÉ MON PARCOURS. « 

Comment vous a-t-on proposé ce poste, vacant depuis si longtemps ?

En travaillant sur un projet de bureau de 10 000 m² à Ryad, je suis entré en contact avec Carlo Molteni, qui aimait déjà beaucoup ce que j’avais fait pour Unifor – et mon boulot en général. Il m’a demandé si je voulais dessiner pour lui, d’abord le système Gliss Master et ensuite le lit Ribbon, puis petit à petit, j’ai senti qu’il en voulait davantage. Il m’a proposé d’imaginer leur stand au salon de Cologne, ainsi que d’autres pièces de mobilier qui ont été présentées cette année. Il n’arrêtait pas de me demander des conseils, sur une boutique, un showroom, une image, un contenu éditorial… Et en avril dernier, il est venu me voir ici, découvrir ma ville, mon bureau, ma maison, et il en est tombé amoureux. Quelques jours avant la foire, il m’a demandé de devenir D.A. de Molteni et Dada. J’ai accepté et j’en suis très, très fier. Pour un non-Italien, assurer la direction artistique d’une marque aussi iconique, c’est très prestigieux, ça a donné une nouvelle dimension à ma carrière.

En quoi consiste votre mission ?

Mon rôle est de rebooster la marque, de la remettre en valeur alors qu’elle avait tendance à se chercher ces dernières années. Elle n’avait plus vraiment de direction et restait un peu dans le vague. Mon boulot concerne les produits, mais aussi toute l’identité, à travers les salons, les boutiques, ou encore les images des pubs et des catalogues, que je viens d’ailleurs de terminer.

Etre en charge du stand a dû avoir une résonance particulière, puisque vous citez souvent celui de Molteni parmi les éléments qui vous ont marqué lors de vos études à Milan…

A la fin des années 80, j’adorais voir leurs superbes stands. Il y avait Aldo Rossi, Alberto Meda, Jean Nouvel et ses pièces, cette élégance italienne que l’on ne retrouvait nulle part ailleurs, des couleurs très sophistiquées, une intemporalité moderne et architecturale. Et il est vrai que ces derniers temps, il était difficile de retrouver la même âme, la même poésie, cette expression architecturale douce, élégante et recherchée. C’est pour cela qu’ils ont fait appel à moi – il faut dire qu’ils ont toujours collaboré avec des architectes, dont Tobia Scarpa, parce que leur perception est beaucoup plus ample que celle des designers. Et mes projets englobent la construction et l’art de vivre, l’espace et la lumière, mais aussi le confort et le bien-être. Ça fait partie intégrante de mon vocabulaire.

Vous avez donné à vos dernières créations pour Molteni des noms bien de chez nous : Paul, Jan et Quinten.

C’est juste une petite idée ludique, un clin d’oeil en référence au Belge qui intègre une structure italienne. Ces noms évoquent l’échange culturel entre l’Italie et les primitifs flamands, qui allaient à Florence pour apprendre de nouvelles techniques de peinture durant la Renaissance.

L’année passée, vous nous disiez votre fierté d’être l’un des ambassadeurs de la culture belge. C’est plus que jamais le cas.

(Longue hésitation) J’ai besoin d’instants de silence, de réflexion, car parfois je suis moi-même étonné par la qualité et la quantité des choses que j’ai pu réaliser en trois décennies. Il y a des moments où je me demande d’où ça vient, comment ça se fait. Et je me rends compte que tout est arrivé grâce à la vitalité, la passion, l’envie d’inspirer et d’être inspiré. Et puisque j’ai tout hérité de ma culture et de mon éducation, je dois ça à la Belgique aussi. J’y suis né, j’y ai étudié et j’y vis encore, tout comme mes parents et mes amis. Donc oui, je suis très fier, en tant que Belge, d’échanger avec le monde entier.

(*) Décerné pour la première fois en 2006, le Prix du Designer de l’année est une initiative de la Biennale Interieur et des rédactions du Vif Weekend et de Knack Weekend, soutenue par Bozar, le Centre d’Innovation et de Design (CID) et le Design Museum de Gand.

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