Patrick de Longrée (Festival de Villers-la-Ville): « Il faut savoir faire preuve d’inconscience »

© Aaron Lapeirre
Isabelle Willot

Pour sa 36e création au cœur de l’abbaye de Villers-la-Ville, il a choisi de monter Roméo et Juliette, signant ainsi le retour d’une super-production populaire. Depuis le début de l’aventure, un spectacle s’est joué chaque été dans les ruines qui ont vu défiler plus de 650 000 spectateurs séduits par les mises en scène généreuses des classiques du répertoire.

J’ai toujours eu la foi dans le théâtre collectif. J’ai grandi à Tourinnes-la-Grosse où se montaient chaque année dans l’église romane des spectacles amateurs dont on parlait même dans les pages culture des grands journaux. L’été, je filais dans le Sud, avec mes parents, nous allions là où ça se passait: Avignon, bien sûr, mais aussi Aix-en-Provence et Vaison-la-Romaine. C’est là que j’ai découvert la féerie des spectacles en plein air.

Il faut savoir faire preuve d’inconscience. Sans cela, un projet comme celui de Villers, qui ne s’est jamais interrompu depuis 1987, n’aurait jamais pu voir le jour. A aucun moment je n’aurais imaginé que cela deviendrait l’œuvre de toute une vie. Et en même temps, je ne me verrais pas faire autre chose. Avec Rinus Vanelslander, mon associé de la première heure, nous avons vécu cela comme un rêve, presque sans nous en rendre compte, il y avait une sorte de fulgurance. Le premier spectacle, Barabbas, c’était 6 000 personnes pour 6 représentations, il n’y avait pas de gradins, juste des chaises, il faisait froid. L’été était pourri mais le public était au rendez-vous et ne nous a jamais lâchés. Nous avons accueilli plus de 650 000 spectateurs depuis.

‘Quelle chance de côtoyer au quotidien des gens aussi riches et généreux humainement que les artistes.’

L’abbaye est le personnage principal de chaque création. A l’origine nous avions imaginé une sorte de spectacle narratif autour de son histoire. Mais cela manquait de force dramaturgique. Je voulais du vécu, des comédiens, une communion entre la scène et le public. Après toutes ces années, l’abbaye parvient encore à me surprendre, à cause du souffle qu’elle dégage sans doute. C’est elle qui impose sa loi même si au fil du temps et grâce aux avancées de la technique, elle se révèle toujours différente sous le feu des éclairages qui savent se faire de plus en plus subtils. Côté son, je préfère le contact de la voix directe. Sur scène, je refuse que les acteurs portent un micro, sauf pour les scènes intimes qui auront, grâce à ce coup de pouce, un rendu presque cinématographique.

Le métier d’artiste ne se brade pas. Sur nos spectacles, tout le monde est payé, même le jobiste qui vend les programmes à l’entrée. Chaque saison, le metteur en scène et la distribution changent, nous intégrons dans la troupe des jeunes qui sortent des écoles de théâtre et peuvent ainsi se frotter à de grands comédiens et metteurs en scène. Ils sont nombreux à revenir ensuite. Nous employons en moyenne 75 personnes et nous passons ensemble de très agréables étés.

Mon rôle n’est pas toujours aisé. Je suis celui qui parfois doit dire non, celui qui paye le chèque aussi. Mais quelle chance surtout de côtoyer au quotidien des gens aussi riches et généreux humainement que les artistes. Je suis là tous les soirs, à cette petite place unique au bord du gradin, entre l’acteur et le public, à observer la création de cette bulle si particulière aux arts vivants.

Produire des spectacles populaires n’empêche pas la prise de risque. Certains de nos choix – je pense à La balade du grand macabre de Ghelderode ou au Caligula mis en scène par Georges Lini… – peuvent déstabiliser des habitués et enchanter de nouveaux spectateurs à l’affût d’un regard plus contemporain. J’assume mon goût pour les mises en scène amples, généreuses, oniriques de grandes œuvres classiques, d’autant plus qu’elles ne sont plus que très rarement montées en Belgique. Grâce aux partenariats que nous avons pu nouer avec plusieurs institutions culturelles, nos pièces sont aussi présentées dans d’autres théâtres désormais. Assurer une plus longue vie à nos spectacles, c’est tout bénéfice pour les acteurs, les techniciens, les metteurs en scène mais c’est aussi le plaisir de toucher le public le plus large possible: Cyrano de Bergerac a été joué 75 fois, ce qui est énorme en Belgique.

L’art naît de la contrainte. Il faut plus de trois ans pour adapter un texte à la scénographie du lieu si particulier dans lequel nous jouons. Nous ne sommes pas dans un théâtre classique, avec sa scène et son rideau qu’il suffit de baisser pour réaliser un changement de décor. Dans ce métier, il faut toujours être agile, souple, en un mot… créatif. Nous avons connu des moments difficiles – les années trop pluvieuses, les remplacements au pied levé pour cause d’accident… – mais rien ne nous a à ce point forcés à l’agilité que le Covid! Il fallait improviser en permanence, devancer les décisions politiques. C’est le fait de jouer en plein air qui nous a finalement sauvés. A aucun moment pourtant, pendant ces trente-cinq ans, nous n’avons même pensé jeter le gant. Notre ambition? Atteindre les 50 créations.

Roméo et Juliette, à l’abbaye de Villers-la-Ville. romeoetjuliette2022.be A partir du 12 juillet.

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