Nicolas Balmet
Arthur Conan Doyle n’a jamais écrit la phrase « Elémentaire mon cher Watson »
Dans cette chronique, rien n’est en toc. Chaque vérité, cocasse ou sidérante, est décortiquée par un journaliste fouineur et (très) tatillon qui voit la curiosité comme un précieux défaut.
Je sais ce que vous êtes en train de vous dire : « Evidemment qu’Arthur Conan Doyle n’a jamais écrit la phrase « Elémentaire mon cher Watson », vu qu’Arthur Conan Doyle écrivait en anglais ! » Et vous n’avez pas tort. Mais permettez-moi de développer quand même, j’imagine que vous n’êtes pas à deux minutes près, installez-vous, prenez un thé, c’est moi qui régale.
Soyons donc précis : Arthur Conan Doyle n’a pas non plus écrit « Elementary my dear Watson ». Jamais. Never. Oui, l’auteur a souvent placé le mot « élémentaire » dans la bouche de Sherlock Holmes, tandis que ce même Sherlock Holmes adorait appeler son fidèle comparse « mon cher Watson ». Mais le mariage des deux termes n’a jamais été consommé. D’où vient la confusion, dès lors ? Tout simplement d’un film réalisé en 1929 qui s’intitule Le retour de Sherlock Holmes, dans lequel le fringant détective répète plusieurs fois ce qui allait devenir l’illustre « Elémentaire mon cher Watson », savant assemblage de deux tics de langage bien distincts.
C’est connu : un apocryphe peut en cacher un autre. Poursuivons donc cette petite promenade au pays des phrases mal lues par l’Histoire. Après l’Angleterre, direction… la Lune, et plus particulièrement la mission Apollo 13 qui, en avril 1970, transporte trois astronautes américains dans les étoiles. Lors du trajet, l’explosion d’un réservoir d’oxygène contraint l’équipage à se réfugier dans un module de secours et à appliquer un régime drastique en matière de consommation d’eau et d’énergie jusqu’à leur retour précipité sur Terre. Un objectif Lune transformé en objectif nul, n’ayons pas peur des mots. Mais surtout, cette phrase devenue mythique : « Houston, we have a problem ! »
Ladies and gentlemen, j’espère que vous êtes bien assis : cette phrase… est erronée, ou du moins en partie, puisqu’en réalité, l’astronaute Jack Swigert a précisément prononcé les mots suivants : « Okay, Houston, I believe we’ve had a problem here ! » Traduction : nous avons eu un problème ! Au passé, donc, puisqu’à ce moment-là, l’équipage a déjà « géré » le souci et le signale poliment à la Nasa.
Je pose donc la question pour la deuxième fois de cette chronique (et ce n’est pas fini, croyez-moi) : d’où vient la confusion, dès lors ? Et la réponse vient à nouveau… du cinéma, ce vil profanateur de phrases qui aurait décidément mieux fait d’en rester au muet. C’est dans le film Apollo 13, sorti en 1995, que l’on entend Tom Hanks dire la phrase au présent. Le scénariste a d’ailleurs fini par se justifier, en affirmant que ça permettait d’accentuer toute la tension narrative de la scène. Perso, je trouve l’explication un peu lunaire, mais au moins, elle est honnête.
Vous en voulez encore ? Restez donc bien assis et attachez vos ceintures. Ouvrez également une petite porte dans votre esprit afin de vous remémorer le film Le tour du monde en 80 jours et cette scène merveilleuse dans laquelle Phileas Fogg et son domestique Jean Passepartout empruntent une montgolfière pour survoler notre belle planète… Magique. Féerique, même. Et parfaitement… calomnieux. Je n’irai pas par quatre-vingt chemins : dans le livre publié en 1872, il n’existe aucun moment où les héros montent à bord d’une montgolfière. Je suis navré de le dire aussi crûment, voire de choquer quelques mômes au passage, mais c’est la vérité.
Pour la troisième fois, je pose donc la question : d’où vient la confusion, dès lors ? Simplement d’un… autre roman de Jules Verne intitulé Cinq semaines en ballon, sorti une décennie plus tôt. De là à dire que le cinéma est le pire mystificateur de l’histoire de l’humanité, il n’y a qu’un pas. Bien sûr, je ne le franchirai pas, car je l’aime beaucoup trop pour ça. Mais bon. Si je le croise à l’occase, je lui dirai quand même de faire un effort. Surtout depuis que je sais que, dans le livre original Les aventures de Pinocchio rédigé en 1881 par Carlo Collodi, le personnage de Jiminy Cricket est tué à coups de marteau par un Pinocchio présenté comme un insupportable pantin, et que Pinocchio lui-même finit pendu à un arbre… Mais nous reparlerons de Disney une autre fois, vous n’êtes pas prêts pour ça.
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