Nicolas Balmet
Chronique | Il y a cinquante ans, Abba remportait l’Eurovision grâce (entre autres) à une styliste de Stockholm
Dans cette chronique, rien n’est en toc. Chaque vérité, cocasse ou sidérante, est décortiquée par un journaliste fouineur et (très) tatillon qui voit la curiosité comme un précieux défaut.
Ne comptez pas sur moi pour crier à la manipulation, mais comme par hasard, c’est en Suède que se déroule, ce 11 mai, la nouvelle édition du Concours Eurovision de la Chanson. Pile-poil cinquante ans après la victoire d’Abba, dis donc. Coïncidence? Je ne sais pas, mais disons que l’année dernière, la Suède avait envoyé l’artillerie lourde pour que sa superstar Loreen, qui avait déjà remporté la compèt’ en 2012, récolte une salve de «Sweden twelve points». Bien sûr, aucun contrôle anti-dopage n’a été effectué, ça se saurait si l’organisation était à cheval sur les principes. La Belgique en est la preuve vivante: en 1986, Sandra Kim n’avait que 13 ans quand elle a gagné, alors que l’âge légal minimum pour participer est de… 16 ans. Un mensonge orchestré par ses managers, qui ont permis à la jeune Liégeoise de devenir – pour toujours et à jamais – la plus jeune gagnante de l’Eurovision. On a les records qu’on mérite.
Je vous interdis formellement, par contre, de penser qu’Abba a triché en 1974 avec son triomphant Waterloo. D’abord parce que je suis un grand fan d’Abba et que je n’ai pas peur de le dire (j’ai plus de mal à avouer pour Joe Dassin, mais un jour, promis, je passerai aux aveux). Ensuite parce qu’à l’époque, la Suède n’était pas encore devenue la bête de concours qu’elle est aujourd’hui: c’était même la première fois qu’elle décrochait le graal. Et quel graal! L’air de rien, la chanson est moins bête qu’elle en a l’air: si elle évoque bien entendu la bataille où Napoléon a regretté sa petite escapade dans notre pluvieux Brabant wallon en juin 1815, elle parle aussi d’une femme qui accepte de renoncer à un homme… comme Napo a dû capituler suite à sa défaite. Encore plus habile qu’une chanson de Vianney.
Comme je mets ma main à couper que, ce 11 mai, on aura droit à un magnéto en guise de souvenir, je vous suggère aussi d’ouvrir grand vos mirettes pour observer les… costumes portés par Agnetha, Benny, Björn et Anni-Frid (vous saviez, évidemment, que ce sont les initiales de leurs prénoms qui ont donné naissance au nom du groupe, hein oui? Oui, vous saviez. Et pour NTM, vous savez? Oui, vous savez aussi. Vous savez tout, en fait). Ces étranges accoutrements tout droit sortis d’un épisode de Star Trek sous acide ont, en réalité, été élaborés par une certaine Inger Svenneke, styliste et gérante d’une boutique de fringues à Stockholm. A l’époque, la chanteuse Anni-Frid adore y dénicher des pièces insolites et, quand elle apprend qu’Abba est sélectionné pour l’Eurovision, elle court demander à Inger Svenneke d’imaginer des parures qui vont marquer les esprits. Le résultat? Pour l’équivalent de 50 euros par tenue, la jeune femme va créer les habits les plus emblématiques du concours et, au passage, changer à elle seule la scintillante destinée d’Abba.
Si Waterloo marque aussi les esprits le 6 avril 1974, c’est parce que les autres pays n’en croient pas leurs oreilles. Pour la première fois dans l’histoire de l’Eurovision, un groupe s’autorise à ne pas chanter dans sa langue nationale. Non, ce n’est pas de la triche, mais bien un point du règlement alors tout récent. Même Olivia Newton-John, qui n’est autre que la représentante britannique cette année-là, applaudit l’audace.
La suite n’est que glamour et gloire sans fin. Au point qu’en 2021, Waterloo sera élue «Meilleure chanson de toute l’histoire de l’Eurovision» selon un vote réalisé par les habitants de quatorze nations européennes – ne me demandez pas pourquoi je trouve que ce verdict est à prendre avec des pincettes, mais le podium est complété par Loreen (oui, la Suédoise citée plus haut) et Mans Zelmerlöw (oh, tiens, un Suédois!).
Une histoire complètement dingue. Personne ne s’intéressait à Abba avant Waterloo, tandis qu’après, le groupe vendra plus de 400 millions de disques. Ni plus ni moins que la copie scandinave des Beatles. Quatre membres. Un succès stratosphérique. Une carrière fulgurante d’à peine dix ans. Et une influence sur plusieurs générations d’artistes. Comme quoi, l’habit peut parfois faire le patrimoine. Cette leçon vaut bien un Krisprolls, sans doute.
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