Nicolas Balmet
Chronique: Le «tsundoku» est un syndrome qui désigne l’habitude d’acheter des livres sans jamais les lire
Dans cette chronique, rien n’est en toc. Chaque vérité, cocasse ou sidérante, est décortiquée par un journaliste fouineur et (très) tatillon qui voit la curiosité comme un précieux défaut.
Préparez vos stylos et vos carnets de notes: ce n’est pas un mot que nous allons apprendre aujourd’hui. Et ce ne sont pas deux mots non plus. Non, le printemps me rend aussi charitable que généreux: j’ai décidé d’atteindre la rondelette somme de… trois mots. Trois mots qui, jusqu’ici, personnellement, ne m’avaient jamais caressé les tympans ni effleuré les iris. Trois mots qui vous permettront de casser la baraque au prochain barbec’, en les casant discrètement entre deux bouts de brochette de bœuf trop cuite.
Pour commencer, une observation universelle: on a tous chez nous un bouquin qu’on n’a jamais ouvert. Ce livre de recettes boliviennes, qui est sûrement très bien mais qui reste néanmoins un livre de recettes boliviennes. Ce roman signé par «le maître incontesté du thriller norvégien». Ou cet essai humoristique intitulé 74 profils Facebook insupportables(d’un certain Nicolas Balmet) qui a directement filé aux toilettes où, en réalité, personne ne lit jamais ce genre de choses – vous pouvez d’ailleurs arrêter dès maintenant de transférer vos livres idiots vers cette pièce intime qui, bien souvent, exige la plus grande concentration et non des éclats de rire.
Ces livres non lus ne font de mal à personne: ils restent dans leur petit coin, silencieux, en prenant tranquillement la poussière et en n’étant jamais caressés par vos doigts sales – je sais très bien que vous avez arrêté le gel hydroalcoolique, n’essayez même pas de me mentir. Mais attention! Parfois, il peut s’agir du premier symptôme d’un véritable syndrome qui, en japonais, s’appelle le «tsundoku» (oui, ça rime avec sudoku, bien vu, mais ce n’est pas une raison pour m’interrompre). D’où vient ce terme dont il n’existe pas d’équivalent francophone? Du mot «tsunde-oku» qui désigne le fait d’accumuler des choses, et du mot «doku-sho» signifiant simplement «livre». Traduction: les gens atteints de tsundoku entassent des livres par dizaines… sans jamais les lire.
Pas de panique: au Japon, cette affection a reçu son nom dès le XIXe siècle, et elle n’a jamais tué personne. Mais disons qu’elle intrigue forcément ceux qui n’en sont pas atteints. L’explication est pourtant assez simple: ceux qui accumulent des piles de bouquins sans les ouvrir chercheraient là une sorte de réconfort sécurisant, à l’instar des peluches dont les enfants s’entourent dans leur chambre. Une sorte de syndrome de Peter Pan, mais en version strictement littéraire. La manie prend même des proportions encore plus folles chez ceux qui «consomment» de la culture de façon boulimique, et qui n’ont tout simplement pas le temps d’enchaîner tous les tomes de leurs sagas préférées… mais pour qui il serait impensable de ne pas les posséder.
Notre deuxième mot de vocabulaire coule de source: «oniomanie», qui désigne un comportement caractérisé par des achats excessifs et impulsifs, souvent motivés par un besoin de soulagement émotionnel ou de gratification immédiate. Un trouble très actuel, puisqu’il concerne aujourd’hui les acheteurs de… vinyles. Personnellement, je m’en doutais depuis un bail, mais ça a été confirmé par une étude très sérieuse du Billboard américain: figurez-vous que 50% des acheteurs de vinyles n’ont même pas de platine pour les lire.
Alors non, je ne rentrerai pas dans une discussion sur ces étranges créatures venues de la planète Bobo qui, entre une partie de padel et un spritz, se sont procuré le 33-tours de Zaho de Sagazan uniquement pour la déco, ce n’est pas mon genre. Je préfère largement citer ce mec ultrabranché qu’est Victor Hugo, qui prétendait que «certaines personnes ont des bibliothèques comme les eunuques ont un harem». Voilà, c’est tout pour moi. J’espère que vous êtes restés jusqu’ici sans avoir souffert de pandiculation (ceci est le troisième mot de la leçon, mais hélas, je vais devoir vous laisser chercher sa définition, ce n’est pas que je n’ai pas envie de vous la donner, mais à force d’ouvrir des parenthèses pour écrire des longues phrases, je n’ai plus vraiment de place, et vous pensez bien que j’en suis sincèrement navré).
Retrouvez toutes les chroniques de Nicolas Balmet ici
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici