Nicolas Balmet

Chronique | Souffrez-vous d’agalmatorémaphobie ?

Nicolas Balmet Journaliste

Dans cette chronique, rien n’est en toc. Chaque vérité, cocasse ou sidérante, est décortiquée par un journaliste fouineur et (très) tatillon qui voit la curiosité comme un précieux défaut.    

Ne nous voilons pas la face: nous avons tous et toutes des petites peurs qui dictent notre quotidien. Peur que le réveil ne sonne pas. Peur que des bébêtes à six pattes surgissent de nulle part. Peur de prendre un rendez-vous chez le dentiste. Ou, la pire de toutes: peur d’avoir oublié de programmer l’enregistrement de Koh-Lanta. Pas de panique, c’est juste la preuve que nous sommes des êtres humains doués de sensibilité. Les fameux «héros sans peur et sans reproche», ça n’existe pas. Superman a peur de la kryptonite, Indiana Jones des serpents, et figurez-vous que le valeureux Jules César craignait les… chats – ça reste entre nous, je ne voudrais pas salir sa réputation, ce ne serait pas mérité pour cet homme qui a tant fait pour l’Humanité, à commencer par donner son nom à une délicieuse salade. 

Mais vous me voyez venir, puisque vous avez lu attentivement l’intitulé de cette chronique. Dès aujourd’hui, et pour le restant de votre vie, vous n’avez d’autre choix que d’arrêter de vous plaindre de toutes vos modestes craintes. Car vous savez désormais qu’il existe bien plus invivable: les gens qui ont peur de voir les statues se mettre à bouger. En ce qui me concerne, quand j’ai découvert l’existence de cette phobie, mon premier réflexe a été de rigoler à gorge déployée – j’ai toujours adoré cette expression magnifiquement gore. Puis je me suis mis à imaginer le quotidien des personnes qui en souffrent, et là, mon éducation catholique a soudainement fait taire mes gloussements. 

Car l’air de rien, je pense être bien peinard avec ma petite claustrophobie qui m’empêche juste d’emprunter un ascenseur rempli de gens (ce qui m’évite quand même 1 grippe et 2 Covid par an) ou d’être enterré vivant (ce qui arrive rarement dans une vie, Dieu merci). Avoir peur que les statues se mettent en mouvement, c’est bien plus cauchemardesque. Impossible, par exemple, de visiter une église sans être convaincu qu’une horde de gargouilles, d’évêques gothiques ou autres abbés (en) pierre se réveillent soudainement pour se mettre à votre poursuite en proférant des menaces beaucoup moins catholiques que mon éducation. Et je ne vous parle même pas des conversations qui doivent avoir lieu dans les chaumières. A la question «Dis, chou, histoire de décompresser un peu, on ne s’offrirait pas un citytrip à Rome un de ces jours?», la réponse doit ressembler à quelque chose comme «J’aimerais que tu t’étouffes en avalant un sécateur. Maintenant. Espèce de limace putrescente.»

Il ne faut surtout pas croire que ces gens-là mènent une existence facile, loin de là. Et même si l’agalmatorémaphobie ne touche qu’une infime partie de la population, elle n’est pas moins traumatisante que d’autres peurs dites «insolites». Par exemple? La podophobie qui est la peur des pieds (ou quand le moment le plus effrayant de la journée consiste à mettre des chaussettes), la carpophobie qui, contrairement à ce que son nom suggère, n’est pas la peur des carpes mais bien celle des… fruits (vous serez heureux d’apprendre qu’en grec, «karpo» signifie «fruit», cette chronique est tellement instructive, je n’en reviens pas moi-même) ou encore ma préférée de toutes les peurs qui s’appelle la nanopabulophobie et qui n’est autre que la peur… des nains de jardin à brouette, je vous promets, je n’invente rien, dites-moi quand vous avez fini de rire mais personnellement, ça m’a pris trois jours et demi.

Bien sûr, la morale de cette histoire, c’est qu’on a le droit de se bidonner (surtout en cette époque maussade, hein, mes aïeuls), mais pas de se moquer. On peut s’en amuser, mais pas s’en réjouir. Cela pour une raison très simple: personne, absolument personne, n’aurait envie de se retrouver à la place d’une personne souffrant d’agalmatorémaphobie et qui, pour faire plaisir à sa belle-famille venue de très loin pour visiter Bruxelles, est obligée d’aller prendre la pose devant Manneken-Pis. On est d’accord: éprouver une profonde terreur face à un minuscule gamin qui pisse tranquillement derrière une grille, ça ne doit pas être comique du tout, il n’est même pas nécessaire de statuer là-dessus. 

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