Kathleen Wuyard-Jadot
Edito | Le mot de la faim
Faut-il manger 5 portions de fruits et légumes par jour, ou plutôt tabler sur 20 à 30 fruits et légumes différents par semaine? Le glucose, «carburant du cerveau», doit-il vraiment être précédé de la part de légumes recommandée par la Glucose Goddess et ses disciples? Le gras est-il à bannir «pour protéger les artères», ou bien à savourer (insaturé) pour ses effets positifs sur le système cardiovasculaire? Si la circulation toujours plus rapide de l’information a de quoi faire tourner la tête, quand il s’agit de la manière de s’alimenter, cet enchaînement est d’autant plus indigeste que la plupart des injonctions qu’on veut nous faire avaler sont contradictoires.
Résultat: on ne sait plus ni ce qu’il faut manger, ni comment, et la situation ne risque malheureusement pas de se clarifier dans les années qui viennent. C’est qu’entre la hausse des températures et celle de la population mondiale, dans un futur pas si lointain, notre diète devra changer pour répondre à des contraintes complexes. Un challenge de taille, auquel les entrepreneurs innovants que nous mettons en lumière dans ce numéro ont déjà décidé de s’attaquer, qui en trouvant une (délicieuse) utilité à certains déchets alimentaires, qui en repensant nos modes de cultivation. L’ingrédient commun à tous leurs projets: la gourmandise, certainement pas sacrifiée sur l’autel de l’utilité.
Et si c’était ça, la clé pour (ré)apprendre à bien s’alimenter? Souvent, les personnes qui ont le rapport le plus sain à la nourriture sont celles qui l’envisagent pour ce qu’elle est, soit une source d’énergie et de plaisir, plutôt que de lui tailler des rôles qui ne lui vont pas, à commencer par celui de l’ennemie dont il faudrait traquer chaque bouchée. Et si l’adage veut qu’on atteigne le cœur de l’homme en passant par son estomac, il semblerait qu’une fois celui-ci alimenté comme il se doit, ce soit le corps tout entier, mental compris, qui en bénéficie.
Dans son TED Talk dédié à l’apaisement de notre rapport parfois très conflictuel à notre alimentation, la nutritionniste américaine Eve Lahijani (UCLA), elle-même passée par là, détaille comment le fait de «faire la paix avec la nourriture» a impacté d’autres domaines de sa vie. «En apprenant à m’écouter, j’ai appris à mieux écouter les autres. Je suis devenue plus empathique. En prenant soin de me faire confiance, je suis devenue plus confiante dans mes relations. Et en devenant plus aimante envers moi-même, j’ai appris ce que signifiait aimer quelqu’un d’autre. Je suis devenue celle que je voulais être, tant sur le plan personnel que professionnel. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que faire la paix avec la nourriture allait au-delà de ma santé physique. Il ne s’agissait pas seulement de la façon dont je mangeais mais bien de ma façon de vivre», assure-t-elle.
Changer de vie, une bouchée à la fois? En voilà une résolution qu’on prend avec délice. Bonne lecture, et puis bon appétit aussi!
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