Le théâtre de la mode a quelque chose de sacré. Pour en distinguer son caractère liturgique, il suffit de se pencher sur les Fashion Weeks du moment, qui font défiler le prêt-à-porter féminin saison automne-hiver 25-26. Après celles de New York et de Londres, celle de Milan bat encore son plein tandis que celle de Paris débutera le 3 mars prochain et s’étalera jusqu’au 11 mars – c’est la plus longue, la plus dense, la plus vénérée et la plus vénérable de toutes, pour des raisons historiques puisque c’est là qu’est né ce rituel au départ semi-annuel.
Il faut être immergée jusqu’au cou dans le maelström de ces semaines de défilés pour saisir ce qui s’y joue. Car vu d’en haut, ou plutôt scrollé sur un écran, impossible de distinguer avec finesse les enjeux et les cérémonials de ces grands messes. Mais en être in situ, en chair et en os, n’est pas donné à tout le monde: le profane lambda n’y a pas droit. Un adoubement est nécessaire, c’est la règle, il faut être invité pour assister à un show.
Et dans cette arène qui a parfois des airs de cathédrale, il faut mériter son rang. On y est placé selon un ordre bien établi: en «front row», les stars, les VIP, quelques clientes qui pèsent lourd, Anna Wintour et autres journalistes, on dit plutôt rédactrices ou fashion editor. Ensuite, cela se décline par ordre décroissant, jusqu’au «standing», un peu comme à l’opéra, sauf qu’ici, on ne peut pas acheter de billets pour entrer dans le saint des saints, on est «élu».
Il faut être immergée jusqu’au cou dans le maelström de ces semaines de défilés pour saisir ce qui s’y joue.
Dans ce milieu secret et codifié, si l’on veut en rendre compte, il importe d’être sur le terrain afin de comprendre les normes tacites, déjouer les clichés affichés, séparer les fantasmes de la réalité et prouver que la mode est un spectacle mais aussi matière à réflexion. C’est à cela que l’on s’emploie avec passion. On n’est pas la seule. Prenez Sophie Abriat, qui publie chez Grasset un essai comme une longue enquête, qu’elle a titré Danser sur le volcan et sous-titré «La mode et le luxe à la conquête de nos imaginaires».
Elle est journaliste, collaboratrice régulière de M Le Magazine du Monde notamment, elle connaît cet univers pour le fréquenter assidûment depuis plus d’une décennie. Et elle le connaît même de l’intérieur pour avoir été assistante de collection chez Balmain après s’être spécialisée en droit de la mode. Elle sait donc parfaitement comment on construit un vêtement. Elle sait la sueur, le sang, les larmes mais aussi la grande technicité et la beauté du geste. Elle sait la dualité de la mode, à la fois futile et grave. Elle sait qu’elle s’appuie sur notre déraison. Clairvoyante et passionnée, l’un n’empêche pas l’autre, elle analyse dans son ouvrage comment la mode et le luxe ont conquis nos imaginaires en quelques décennies foudroyantes.
A l’heure de l’anthropocène, il n’est pas inutile de se pencher sur ses constats, de les digérer, de se poser la question de notre rapport au matérialisme, au consumérisme paroxystique. Et puis, en toute liberté, en toute connaissance de cause, on peut danser sur le volcan, pieds nus, en baskets ou en escarpins griffés.
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