Aline Zeler, footballeuse belge: « Que l’on m’aime ou pas, ça ne change pas ma vie »

© FRÉDÉRIC RAEVENS
Mathieu Nguyen

Légende vivante du foot belge, Aline Zeler a pavé le chemin pour la génération dorée de notre équipe nationale féminine, les Red Flames. Elle revient sur son parcours hors du commun avec la complicité de Thierry Lefèvre dans Aline Zeler – Le foot féminin de A à Z.

J’ai été très vite indépendante, c’est ce qui m’a permis de faire ce parcours. Mes parents travaillaient énormément. Dès 7 ans, je faisais donc mon sac toute seule et je partais au foot. Et puisque je n’avais ni papa, ni maman pour voir mes matchs et m’en parler, j’ai dû faire mon autocritique, me créer une discipline. Tout ça, je le retrouve dans l’éducation néerlandaise, ou néerlandophone, d’après ce que je constate dans mon entourage actuel. En Wallonie, l’éducation va être plus directive: « Fais ça, et surtout pas autrement. » Au Nord du pays, on insistera plus sur l’épanouissement, sur ce que l’enfant veut faire, on va l’aider, le laisser réfléchir, etc.

J’étais encore petite quand ma mère a abandonné l’idée de me mettre des jupes. Elle a bien vu que je ne me sentais pas à mon aise. A certaines occasions, il fallait bien s’habiller, et moi, je mettais mon maillot de l’Italie ou de l’AC Milan – j’avais coupé 11.000 ardoises pour les avoir, j’avais envie de les porter! Les cheveux longs, je ne trouvais pas ça pratique pour faire du sport, alors je les ai coupés court à partir de cet âge-là aussi, vers 6 ans. Je me sentais bien comme ça. Et ça n’empêche pas que certaines filles soient à la fois très féminines et très « garçon manqué », j’en connais.

Quand on est ardennais, on sait s’amuser, mais on sait aussi travailler. A la ferme de mes parents, chaque été, il fallait s’occuper des foins, de la remise en couleur, du nettoyage des écuries, de la maçonnerie; je faisais ça en écoutant la radio, puis j’allais voir mes copains. Ça demande une certaine force de caractère, un mental. Si tu fais la fête, le lendemain, tu te lèves tout de même pour travailler. En tant que garçon manqué de la famille, je m’occupais des travaux plus physiques avec mon papa, j’étais son manoeuvre – et cette résistance a certainement joué un grand rôle dans le fait d’avoir une carrière aussi longue et sans blessure. Niveau alimentation, les produits de la ferme ont dû avoir leur importance aussi.

u003cstrongu003eA certaines occasions, il fallait bien s’habiller, et moi, je mettais mon maillot de l’Italie ou de l’AC Milan – j’avais coupu0026#xE9; 11.000 ardoises pour les avoir, j’avais envie de les porter!u003c/strongu003e

Chaque province avance à son propre rythme. Je parle pour ma chapelle, le football, au niveau des moyens, des mentalités, de la médiatisation… Je pense que c’est typique de la Belgique, il faut connaître sa population pour essayer d’avancer et de créer quelque chose. La différence est encore plus grande avec la Flandre. Quand j’ai commencé à 7 ans, je devais jouer avec les garçons, alors qu’au même âge, mes copines flamandes jouaient déjà dans des équipes 100% féminines. Et pourtant, on parle des mêmes années 80, c’est dingue.

Dans mes projets, je m’inspire beaucoup du modèle néerlandais. Les Pays-Bas ont été champions d’Europe en 2017, et j’y ai été joueuse et entraîneuse, au PSV Eindhoven. Je trouve qu’ils font de bonnes choses dans l’enseignement et le sport: ils fixent un objectif ambitieux, ce qui force à adopter une approche collective, à réfléchir à un développement plus sociétal, moins individuel. L’argent et l’énergie sont dépensés en vue d’arriver au résultat prévu, sans regarder si le boulot est fait par un homme ou une femme. Cette ouverture d’esprit, que je n’ai pas forcément ressentie en Wallonie, je la retrouve beaucoup en Flandre. J’essaye donc d’amener chez nous un peu de cette vision, et ça devient tout doucement possible parce que les parents actuels sont de ma génération.

Je donne la même considération à tout le monde. Que je rencontre Philippe et Mathilde ou un quidam au supermarché, je mets les gens sur un pied d’égalité. Ça provoquera des interprétations, des jugements, et j’en suis consciente mais je n’en tiens pas compte. Je suis juste moi-même, et que l’on m’aime ou pas, ça ne change pas ma vie. Atteindre cet état d’esprit permet de se sentir léger, de se donner à fond pour ce qui compte vraiment.

J’ai troqué la recherche de la perfection pour celle de l’optimisation. Pendant longtemps, j’étais très perfectionniste, je voulais absolument être au top pour remporter des titres, pour jouer la Champions League, je courais partout comme une dingue – je n’étais pas invivable, mais j’étais déterminée. Et puis, j’ai décidé de ralentir, de changer mon organisation. Le déclic est arrivé vers 2012, et j’ai trouvé l’harmonie que je cherchais. C’est ça qui me permet de terminer ma carrière au sommet.

Aline Zeler – Le foot féminin de A à Z, par Thierry Lefèvre, éditions Memory.

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