Comment Dolce & Gabbana s’est racheté une réputation avec le mariage de Kourtney Kardashian
Ce dimanche 22 mai, le batteur Travis Barker a dit “oui” à l’aînée du clan Kardashian à Portofino, en Italie. Une échappée belle pour les natifs de Californie, mais aussi pour Dolce & Gabbana, sponsor de l’événement, qui a profité du mariage pour se racheter une image.
Une alliance a priori surprenante, mais qui prend tout son sens au regard des accrocs subis par la réputation de la maison de couture italienne ces dernières années. Longtemps synonyme d’opulence et d’une vision baroque de la dolce vita, Dolce & Gabbana est en effet désormais plus connu de la jeune génération de fashionistas pour une série de gaffes condamnées unanimement sur la toile, et pas uniquement par la cancel police.
Une spirale de négativité qui a coincidé avec l’ascension fulgurante du clan Kardashian, hier encore renvoyé à la vacuité de ses membres, “célèbres pour être célèbres” grâce à la sex tape de l’une d’entre elles, et aujourd’hui intégré dans le cercle très privé des faiseurs de tendances. Si le moindre doute subsistait encore, la présence de toutes les filles de la famille (ainsi que de sa matriarche) au dernier Met Gala aura suffi à entériner leur statut de figures de style. De quoi expliquer pourquoi, alors qu’il n’y a pas si longtemps, les couturiers refusaient de les habiller, Dolce & Gabbana a bondi sur l’opportunité de sponsoriser le mariage de Kourtney Kardashian au rockeur Travis Barker.
Voir rouge et noir
Pour rappel, en juillet 2018, Stefano Dolce avait pourtant suscité une mini-tempête médiatique après avoir commenté “la famille la plus vulgaire au monde” sous une photo Instagram des soeurs Kardashian. Un commentaire épinglé par le compte Diet Prada, pourfendeur des créateurs qui s’inspirent un peu trop des modèles d’autres labels, mais aussi de celles et ceux qui errent du mauvais coté du politiquement correct, Stefano Gabbana en tête.
Car lorsqu’il poste tout son dédain à l’égard de la famille la plus célèbre d’Amérique, l’Italien, qui forme une moitié du duo à l’origine du label éponyme avec son ex-compagnon Domenico Dolce, n’en est pas à son premier dérapage, loin de là.
En 2013, déjà, il avait fait partie de la cohorte de représentants du monde de la mode italien présente à une soirée sur le thème de “Disco Africa”. L’occasion pour Anna Dello Russo, journaliste iconique du Vogue Italia, de porter une accumulation d’imprimés animaliers. Mais aussi, de manière extrêmement regrettable, pour les designers de Dolce & Gabbana de se grimer le visage en noir, la pratique du blackface étant alors déjà pourtant largement dénoncée comme une relique raciste de l’ère colonialiste. Incident isolé? Un an plus tôt, les couturiers avaient déjà été critiqués pour leur décision de faire défiler des mannequins affublées de coiffes et de bijoux rappelant les sculptures mauresques et l’objectification de celles et ceux qu’on se permettait alors de qualifier de “nègres”.
Une controverse à laquelle Domenico Dolce et Stefano Gabbana répondent alors en évoquant les “artefacts précieux” inspirés par les Maures, “un terme utilisé pour désigner de nombreux peuples à travers l’histoire, à commencer par ceux qui ont conquis la Sicile et dirigé l’île de 827 à 902”.
Une explication qui convainc d’autant moins qu’en 2016, le label sort un modèle de chaussures appelé “sandale esclave”. Le vers est dans la pomme, les bruissements accusateurs enflent dans le petit monde de la mode, mais il faudra attendre le fiasco du “Grand Défilé” de Shangai en 2019 pour que le grand public prenne pleinement connaissance de l’image désormais plus sulfureuse que sensuelle de D&G.
Show devant
La raison de la discorde? La campagne d’annonce de ce défilé, annoncé comme un show spectaculaire réunissant le gratin de la mode et des célébrités à l’Expo Centre de Shanghai, et montrant des mannequins d’origine asiatique peinant à manger des spécialités italiennes à l’aide de baguettes. Le tout, accompagné d’une voix off multipliant les sous-entendus graveleux, notamment au sujet de la taille d’un cannolo, toute ressemblance avec un autre cylindre, de chair cette fois, étant laissée à l’appréciation de chacun.
Très vite, une meute d’internautes se déchaîne, entre accusations de sexisme, de racisme et (on y revient) d’objectification des femmes asiatiques. Une colère collective nullement apaisée par la réaction de Stefano Gabbana à la polémique, ce dernier ayant en effet publié une série de commentaires injurieux en réaction avant d’affirmer que son profil Instagram avait été hacké. Las, le mal est fait, le défilé, annulé, et dans un procès qui l’oppose aujourd’hui au duo qui se cache derrière Diet Prada, instrumental selon D&G dans l’inflation de la polémique, la maison de couture italienne accuse plusieurs millions d’euros de pertes sèches.
Pour éponger les coûts d’un événement pour la préparation duquel aucune dépense n’avait été épargnée, mais aussi pour réparer les dommages faits à leur réputation, et donc forcément leur chiffre de ventes. Lequel n’a pas été aidé autant que souhaité par la réponse faite en 2017 déjà par les couturiers à leurs critiques, qui leur avaient inspiré une ligne de t-shirts estampillés “Boycott Dolce & Gabbana”. C’était sans compter sur la formidable ascension du clan Kardashian, et la magnanimité de ses membres envers les designers déchus.
Rancunière, “la famille la plus vulgaire au monde”? Visiblement pas, puisqu’en 2019, quelques mois seulement après cette sortie de Stefano Gabbana, Kim Kardashian se fend en remerciement dans une série de stories Instagram où elle montre méticuleusement les paquets de vêtements et accessoires offerts par les couturiers. Avant de rapidement les effacer, pléthore d’internautes s’étant empressés d’exhumer l’insulte faite à la famille par un des créateurs de D&G et s’offusquant de voir que Kim Kardashian semblait lui avoir pardonné un peu trop vite son manque de respect.
Qu’à cela ne tienne, cette fois, la maison semble avoir retenu certaines leçons de l’ampleur de sa débâcle chinoise, et une campagne de réhabilitation est en oeuvre. D’abord, en élargissant le panel de tailles proposées jusqu’à un confortable 54, à mille lieues de la taille 32 prisée de certains autres couturiers, tandis que dans la foulée, le compte Instagram de Stefano Gabbana est supprimé. Les controverses entourant les créateurs auxquels elle doit son nom ont terni l’image de la maison? Pour son retour au runway après le fiasco de #DGLovesChina, Dolce & Gabbana entame la présentation par une vidéo montrant le processus créatif au sein de l’atelier, tandis que le défilé suivant est pensé comme une ode aux “petites mains” qui se cachent derrière chaque détail ouvragé.
Retour aux sources
Là où les codes de la modernité ont fait vaciller D&G, les réseaux sociaux ayant été la cause de nombre des accrocs à son image de marque ces dernières années, en choisissant de mettre l’accent sur l’Alta Moda, sa conception de la haute-couture, le label italien s’offre lentement mais sûrement une rédemption que peu auraient prédite. New York, Florence, et plus récemment, Venise, deviennent ainsi tour à tour les théâtres de shows somptueux, tenant plus de l’opéra de Monteverdi que du défilé de mode.
Au premier rang de leur fantaisie vénitienne à l’été 2021? Travis Barker et Kourtney Kardashian, qui se contentent d’un siège pour deux pour admirer le spectacle, pour le plus grand plaisir des paparazzi, des fans du couple qu’ils surnomment “Kravis”, mais aussi de Dolce & Gabbana, qui s’offre au passage une formidable campagne commando, chaque cliché volé des tourtereaux s’accompagnant d’une mention de la marque.
Pas étonnant, donc, que ses fondateurs aient sauté sur l’occasion de jouer les bienfaiteurs pour les noces italiennes de Kourtney Kardashian et Travis Barker, qui ont pu bénéficier d’une générosité virtuellement sans limites pour l’occasion. Là où Monsieur et Madame Tout-le-monde s’offre resto et soirée imbibée voire, si le budget le permet, quelques jours à l’étranger pour enterrer sa vie de célibataire, pour Kravis et son entourage, c’est dolce farniente à bord du Regina d’Italia, le superyacht de Stefano Gabbana, d’une valeur estimée à environ 60 millions d’euros. Tant les mariés que leurs invités ont été vêtus par la maison de couture italienne, qui a installé pour l’occasion une boutique pop-up et s’est offert une exposition incroyable, les moindres faits et gestes de la famille ayant été immortalisés, vêtus à chaque sortie des pieds à la tête en D&G. Qui refuse toutefois l’appelation de “sponsor” et a fait savoir par le biais d’un porte-parole que Stefano Gabbana et Domenico Dolce étaient tout simplement “les hôtes de cet heureux événement”. Des hôtes qui, à l’inverse de la plupart des parents mettant la main au portefeuille pour le mariage de leurs enfants, peuvent s’attendre à ce que leur générosité soit récompensée en retombées sonnantes et trébuchantes.
Lors de son mariage au chanteur Fedez en 2018, l’influenceuse italienne Chiara Ferragni aurait ainsi généré 2.5 millions de dollars de ventes pour la maison Dior, qui l’habillait pour l’occasion.
“Dolce & Gabbana a beau avoir perdu l’aura de coolitude qui l’entourait au début des années 2000, la marque a prouvé qu’elle n’allait pas disparaître pour autant. Parce qu’ils ont de l’argent, et l’argent, c’est le pouvoir”
Evan Ross Katz
À titre de comparaison, là où l’influenceuse compte 27 millions de followers sur Instagram, Kim Kardashian en a à elle seule dix fois plus tandis que le clan Jenner-Kardashian, lui, dépasse ensemble les 1,6 milliards (!) d’abonnés. On ne peut donc qu’imaginer l’exposition offerte à Dolce & Gabbana, qui séduit au passage un public certes probablement moins fortuné mais aussi plus jeune et connecté que sa clientèle habituelle.
Cousu de fil blanc
Un coup de marketing de génie, qui positionne la maison italienne comme précurseur dans le secteur et laisse supposer qu’à l’avenir, d’autres marques pourraient s’empresser de régler l’addition de mariages médiatisés afin de s’offrir un niveau de visibilité sans précédent. Même si, le jeu n’est pas sans péril: dans le respect de l’allure pop punk qui caractérise le couple qu’elle forme avec Travis Barker, qui a contribué à populariser le style avec Blink-182 dans les 90s, Kourtney Kardashian a opté pour une mini robe moulante façon corset pour rejoindre son batteur tatoué à l’hôtel. Un choix audacieux qui lui a valu les foudres de la police du style, nombre d’internautes ayant fustigé le manque d’élégance de sa tenue, qualifiée tantôt de “gigantesque déception”, tantôt de “monstruosité”. En bien ou en mal, pourvu qu’on en parle? Si la seule controverse qui l’entoure désormais est le manque de pudeur de discrétion, nul doute que Dolce & Gabbana poussera un soupir de soulagement.
Après tout, avant les accusations de racisme, sexisme voire même, le comble, homophobie (longtemps en couple Stefano Gabbana et Domenico Dolce avaient jeté un pavé dans la mare en se disant opposés à l’adoption par des couples homosexuels), la maison de couture italienne était surtout épinglée pour la sensualité outrancière qui se dégageait de ses créations. Ainsi que l’a résumé le commentateur mode Evan Ross Katz, critique vocal des faux-pas des créateurs de la marque, “Dolce & Gabbana a beau avoir perdu l’aura de coolitude qui l’entourait au début des années 2000, la marque a prouvé qu’elle n’allait pas disparaître pour autant. Parce qu’ils ont de l’argent, et l’argent, c’est le pouvoir”. Les Kardashian en savant aussi quelque chose…
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